Faire face à l’erreur - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

FORMATION

RÉFLEXION

Marie Fucks  

Que l’on soit le patient qui subit l’erreur ou le soignant qui l’inflige, il est difficile de sortir indemne d’une erreur de côté. De la maîtrise du stress au bloc lorsque l’on s’en aperçoit à la gestion de l’annonce de l’erreur au patient, les équipes sont mises à rude épreuve.

Qu’elle concerne le mauvais côté, le mauvais site ou encore, le mauvais orteil ou doigt ou le mauvais niveau (erreur de disque), l’erreur de côté ou de site provoque chez les patients des réactions très variables. Des réactions qui ne sont d’ailleurs pas forcément proportionnelles aux conséquences cicatricielles ou fonctionnelles induites.

Faute avouée… à moitié pardonnée

Si la colère, l’abattement et l’agressivité sont légitimes, ces réactions font curieusement souvent place à une compréhension inattendue dans de telles circonstances. « Tant que l’erreur n’induit aucune séquelles fonctionnelles et se limite, au pire, à la gestion d’une cicatrice en plus (la majorité des cas fort heureusement), le fait de reconnaître l’erreur et d’en informer immédiatement le patient désamorce souvent les réactions violentes auxquels on pourrait s’attendre, explique le Dr Henri Bonfait, chirurgien orthopédiste à Levallois-Perret et directeur d’Orthorisq, organisme professionnel de gestion des risques en orthopédie agréé pour l’accréditation des médecins exerçant une spécialité à risque. Prendre le temps d’expliquer, ne rien cacher de ce qui s’est passé, s’excuser des désagréments occasionnés (durée d’intervention et d’anesthésie prolongée, sortie retardée, douleurs et soins majorés, préjudice cicatriciel…) permet au patient de comprendre, de relativiser et de prendre du recul malgré l’impact émotionnel de cet évènement indésirable. Indépendamment des accidents qui font la Une des journaux, les retours dont nous disposons montrent, dans l’ensemble, des patients relativement peu revendicatifs. »

Cela dit, ces évènements laissent immanquablement des traces qui se traduisent notamment par une perte de confiance et des répercussions sur l’image de l’établissement. « Je n’ai pas particulièrement mal vécu cette expérience, explique Jean S., victime d’une erreur de côté au niveau du genou droit, car le chirurgien a particulièrement soigné la cicatrice et m’a très bien suivi dans les suites opératoires, notamment quant à la gestion de la douleur. Toutefois, je reconnais que si je devais me faire réopérer, je réfléchirais à deux fois quant au choix de l’établissement. Cette mésaventure m’a en effet exposé à un risque que je n’aurais jamais imaginé et a, malgré tout, ébranlé ma confiance. » Curieusement, alors que c’est le ?chirurgien qui incise et qui annonce l’erreur aux patients, ceux-ci réagissent en incriminant davantage les failles d’organisation et leurs conséquences sur les personnels opératoires que les personnels eux-mêmes. Une manière de dire qu’ils « comprennent » l’erreur humaine, mais n’acceptent pas la défaillance institutionnelle. Dont acte.

« Deuxième victime »

Néanmoins, il serait vain de croire que tout se passe toujours avec autant de bienveillance. Si le risque zéro, en chirurgie orthopédique comme dans tout acte chirurgical, n’existe pas, force est d’admettre que la réaction et le vécu sont intimement liés à l’individu et qu’en fonction de la personnalité du patient, dans le même contexte, certains vont relativiser et d’autres vont dramatiser mettant les soignants à rude épreuve. Mais ce n’est rien au regard de ce que les patients et les soignants vivent lorsque les suites opératoires se compliquent nécessitant une prolongation des soins, de l’immobilisation et de la convalescence.

Et que dire, lorsque l’erreur n’est pas réversible et que l’intervention « définitive », certes rarissime, se solde par l’amputation ou l’exérèse du côté sain (rein à Strasbourg en mars 2012, sein à Lyon en octobre 2009, par exemple). Dans ce cas, le patient a légitimement le sentiment d’être victime de la « double peine » et le droit d’exprimer sa colère. Difficile à vivre pour l’équipe opératoire qui paye aussi un lourd tribut à ce constat d’échec, en particulier lorsque l’Autorité régionale de santé, la justice et la presse s’en mêlent. « La médiatisation fait beaucoup de tort aux équipes, commente le Dr Régine Leculée, responsable de la Prage, la plateforme régionale d’appui à la gestion des évènements indésirables en Aquitaine. On rencontre des soignants et des équipes dévastés. Une erreur grave atteint chacun au plus profond de lui-même au point qu’on a l’habitude de parler de “deuxième victime”. Pour autant, nous constatons que c’est souvent dans ces moments difficiles que l’on peut initier toutes ces démarches d’amélioration, de réflexion approfondie sur les causes, d’analyse en commun, de mise en place de barrières qui fondent la culture de sécurité dans un établissement. »

De l’erreur à l’opportunité

L’erreur peut arriver à tout le monde. Comme le dit James Reason, psychologue expert en facteurs humains, « elle n’a jamais une seule cause, mais résulte d’un défaut de système et non de la simple faute d’une personne ou d’un ensemble de personnes ». Il est donc important de dédramatiser pour libérer les énergies qui vont permettre à la culpabilité de laisser place à une remise en question des pratiques et à la solidarité de remplacer la stigmatisation de la faute. Autrement dit, transformer l’erreur et la crise en opportunité pour construire ensemble les barrières qui permettront de « ne pas revivre ça » (lire témoignage ci-contre). « Il est important de donner à l’équipe les moyens d’assumer l’erreur sans perdre confiance, poursuit le Dr Leculée. Les débriefings, la RMM (revue de mortalité et de morbidité) et les cellules RPS (risques psycho-sociaux) peuvent être un recours pour aider l’équipe, voire le service à mettre en mots et à exprimer les ressentis, les émotions, les non-dits… et à faire face à cette situation anxiogène et déstabilisante. Par ailleurs, les structures extérieures d’appui à la gestion des évènements indésirables peuvent également intervenir dans le cadre d’actions prioritaires pour assurer des formations à la gestion des risques et au travail en équipe. »

Une démarche incontournable si l’on veut aller vers des équipes de soins plus sûres, indique en substance la HAS, qui a mis en place une expérimentation de gestion des risques en équipes (Medical Team Training – MTT) reposant sur le Programme d’amélioration continue du travail en équipe (Pacte) et inspirée du Crew Ressource Management (CRM) utilisé pour améliorer le fonctionnement des équipages de l’aviation civile(1). Ce modèle, centré sur le facteur humain, privilégie l’acquisition de compétences cognitives et interpersonnelles pour améliorer la communication, la prise de conscience des situations à risques, la résolution de problèmes, la prise de décision et globalement la performance ce l’équipe. Lorsqu’on sait que les défaillances de fonctionnement des équipes de soins (communication, coopérations, etc.) sont les causes les plus fréquemment retrouvées(2) dans l’analyse approfondie des évènements indésirables en santé, on ne peut qu’appeler de nos vœux le déploiement du MTT en chirurgie, dans l’intérêt des patients et des équipes de soins.

1- http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1295656/fr/medical-team-training-pour-reduire-les-risques-associes-aux-soins.

2- C’est la première cause profonde retrouvée dans les 9 000 évènements porteurs de risque enregistrés en 2011 dans la base de l’accréditation des médecins.

TÉMOIGNAGE

« Ne jamais revivre ça »

Isabelle Martin(1) Ibode dans un hôpital parisien

« L’intervention avait été préparée dans les règles de l’art, les vérifications patients (confirmation de l’intervention et du côté) faites, et toutes les étapes réalisées selon les protocoles validés. La table avait été préparée du bon côté, le champ posé avec le chirurgien et le time out avait bien confirmé, par l’accord à voix haute des personnels présents, la nature et le côté de l’intervention.

J’ai donc été totalement effarée, lorsqu’après quelques minutes d’intervention, en regardant le champ opératoire, je me suis aperçue qu’il était positionné du côté gauche et j’ai crié “mais c’est le côté droit qu’il faut opérer” !

Cet instant de sidération passé, le chirurgien m’a regardé, a juré, puis donné l’ordre “on ferme et on recommence”. L’ambiance était lourde. Personnellement, il m’a fallu quelques minutes pour me ressaisir tellement j’étais secouée.

Fort heureusement, cette erreur n’a pas eu de conséquence pour le patient qui s’est montré très compréhensif. En revanche, pour l’équipe, elle a fait l’effet d’une bombe car elle nous a obligés, après une analyse partagée, à prendre conscience que dans un contexte où le travail et les procédures sont bien maîtrisés, personne n’est à l’abri d’un biais cognitif, d’une simple « erreur humaine ». En fait, ainsi que l’explique très bien René Amalberti (expert HAS), l’absence de perturbation liée au sentiment de tout faire dans les règles renforce la confiance générale, ce qui, en retour, relâche le niveau de contrôle attentionnel sur les gestes, expliquant l’erreur au moment de la pose du champ opératoire. Nous avons donc décidé d’intégrer, au niveau de la check-list, une vérification complémentaire de la posedu champ opératoire dans les vérifications « ultimes » croisées avant incision.

Et nous avons assimilé quela maîtrise des procédures ne doit pas endormir notre vigilance.

En espérant que ces pistes d’amélioration nous permettront de renforcer la sécurité des patients et de ne jamais revivre une telle expérience. »

1- Le nom a été changé.