Comment ne plus opérer le mauvais côté - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Marie Fuks  

En préopératoire comme au bloc, différentes mesures peuvent être mises en place afin de sécuriser au maximum le geste chirurgical. Les programmes opératoires en ambulatoire doivent, eux, faire l’objet d’une réflexion spécifique.

L’erreur de côté illustrée par ce cas clinique met en cause une succession d’évènements porteurs de risque et de dysfonctionnements comme évoqué ci-dessus : présence de cicatrices bilatérales ; interrogatoire patient non réalisé car patient prémédiqué ; marquage non fait, dossier incomplet ; check-list non partagée ; recours à l’amplificateur de brillance tardif ; programme opératoire non différencié et optimiste.

Leur analyse a posteriori met en évidence des pistes d’amélioration possibles aux différents temps de la prise en charge pré-opératoire et opératoire.

Phase préopératoire

Prévoir une alerte « cicatrice bilatérale »

La présence d’une cicatrice sur les deux pieds est une source de confusion que l’on peut anticiper :

• dès la consultation pré-opératoire en mentionnant, selon une procédure remarquable validée (inscription au stylo rouge dans le dossier patient au niveau de son identité par exemple), « Présence d’une cicatrice sur les deux pieds. Attention : matériel d’ostéosynthèse à retirer sur le pied gauche » ;

• lors de la consultation pré-anesthésique en confirmant l’information sur le dossier anesthésique après contrôle ;

• si les dossiers sont informatisés, en faisant apparaître à l’ouverture du dossier patient une alerte sous forme de clignotant qui comprendra les indications sur les facteurs porteurs de risque à contrôler particulièrement.

Systématiser l’interrogatoire du patient en chambre avant prémédication

Le patient est un acteur de sa propre sécurité et peut, dans le cadre d’un interrogatoire bien conduit, signaler la présence de cicatrices bilatérales et confirmer le pied à opérer pour ablation du matériel chirurgical.

• Réaliser impérativement l’interrogatoire patient avant la prémédication si celle-ci est prévue ou nécessaire (patient anxieux par exemple) en chambre ou à l’arrivée au bloc.

• Reporter la validation patient sur la fiche de liaison.

À noter : pour optimiser l’intérêt de cette mesure, il est important de former les professionnels à la manière de poser les questions aux patients (les questions doivent être ouvertes) afin d’éviter les erreurs de confirmation de données erronées mal comprises, mal entendues, mal interprétées(1).

Au-delà de l’identification du membre à opérer, l’interrogatoire est indispensable pour vérifier l’identité du patient. Associée à l’utilisation du bracelet d’identification, cette mesure contribue à renforcer la sécurité identitaire. Particulièrement importante en ambulatoire, en raison des flux multiples qu’il convient de gérer et synchroniser (patients, professionnels de santé, brancardiers, logistiques…), elle doit tenir compte chez l’adulte du nom patronymique et du nom d’usage, et du nom de famille chez les enfants. Rassurante, la tendance à appeler les enfants par leur prénom, peut engendrer des erreurs lorsque dans le même programme opératoire il y a par exemple deux Kevin, l’un pour une extraction de matériel sur le bras droit et l’autre sur la jambe gauche.

À retenir : le bracelet d’identification ne doit en aucun cas être utilisé comme élément de marquage ou aide au marquage du site/côté à opérer(2).

Réaliser le marquage du site opératoire

Le marquage systématique du site/côté à opérer est une étape clé pour prévenir les erreurs de site. Il peut être réalisé selon les principes du Guide du marquage du site chirurgical(3). Il doit :

• faire l’objet d’une procédure institutionnelle formalisée et harmonisée ;

• être réalisé après information sur sa nécessité au regard de la sécurisation de l’acte chirurgical, et avec l’implication active du patient éveillé et conscient (lorsque son état le permet). De même, en présence d’enfants ou adultes handicapés, la famille doit pouvoir être impliquée dans le processus. Le patient a le droit de refuser le marquage. Ce cas, très rare, doit être traité comme tout refus de soin : rappel de l’intérêt de l’acte, documentation dans la check-list sur le refus, rédaction d’une procédure. L’opération n’est pas annulée pour autant ;

• être effectué avant l’entrée au bloc, à l’aide d’un marqueur cutané suffisamment tenace pour rester visible après la préparation du patient, idéalement après la douche et avant toute prémédication ;

• être réalisé après que toutes les informations disponibles concernant l’identité du patient, la procédure et le site/côté de l’intervention (dires du patient, dossier médical, notes, imagerie, consentement…) ont été vérifiées et croisées ;

• utiliser un même symbole pour tous les professionnels et pour l’ensemble des spécialités chirurgicales (l’utilisation de la croix est prohibée car ambiguë : elle pourrait être interprétée comme « n’opérez pas là »).

• être marqué préférentiellement par le chirurgien qui réalisera l’intervention. La personne qui marque le site est identifiée dans le dossier médical (de préférence dans la check-list de vérifications préopératoires).

À noter : lorsqu’il n’est pas en mesure de le faire lui-même (cas de l’ambulatoire notamment), le chirurgien peut déléguer le marquage du site opératoire à une infirmière (ou un médecin) qui participe à l’intervention ou qui est directement impliquée dans le processus de préparation du patient. L’établissement doit alors préciser les qualifications minimales et le rôle de la personne à qui la responsabilité du marquage est déléguée. Cette délégation est faite sous la responsabilité du chirurgien dans le cadre d’un protocole d’établissement validé. Ce dernier doit par ailleurs former les infirmières au marquage conformément à la procédure de marquage institutionnelle mise en place par l’établissement. Au moindre doute, l’IDE doit contacter le chirurgien ou s’abstenir de marquer. En fonction de l’organisation de l’établissement et du type de chirurgie (ambulatoire ou institutionnelle), le marquage délégué peut être prévu à différents moments, pré- ou peropératoires. Il n’exonère aucunement le chirurgien de procéder aux vérifications de la conformité du marquage en préopératoire par l’intermédiaire de la check-list.

Phase pré-interventionnelle au bloc

Il est nécessaire de mettre en place les dispositions permettant de ne pas commencer l’intervention sans avoir validé ?par tous les moyens possibles le côté et le site de l’intervention.

Contrôle visuel des éléments radiologiques

Rendue impossible par l’absence des radios dans le dossier, la vérification radiologique du côté à opérer peut être mieux assurée par :

• un contrôle pré-opératoire du dossier pour vérifier qu’il est complet. Ce contrôle pourrait être assuré par une IDE de chirurgie ambulatoire lors d’une consultation infirmière consécutive à la consultation d’anesthésie. Il faut pour cela donner le temps de rechercher d’éventuelles pièces manquantes avant l’arrivée du patient au bloc le jour J ;

• l’élévation du niveau d’exigence des personnels de bloc quant à l’obtention des éléments d’imagerie, et dans le cas où ceux-ci restent introuvables, compenser par :

– la recherche du marquage avant l’installation du patient ;

– le contrôle systématique par amplificateur de brillance du site marqué ou du côté inscrit au dossier.

Informatisation des données radiologiques

Des logiciels type PACS (Picture Archiving and Communication System) sont mis en place dans le bloc opératoire. La télé-imagerie permet d’archiver, de partager et de disposer de tous les éléments d’imagerie disponibles dans le dossier du patient sur appel de son nom et de sa date de naissance. Elle élimine le risque de perte des documents. Toutefois, ainsi que le font remarquer la Haute autorité de santé (HAS) et Orthorisq(4), l’informatisation des données du dossier patient et la programmation informatisée des interventions exposent à des risques nouveaux (oubli d’inscription ou de programmation, erreur dans l’utilisation de l’outil, manque de formation des utilisateurs/défaut de connaissance des logiciels, non respect de l’identitovigilance, panne informatique…) ; des risques confirmés par les spécialistes de l’accréditation au vu de la progression des déclarations d’évènements indésirables mettant directement ou indirectement en cause l’utilisation des supports informatiques. C’est la raison pour laquelle ces mésusages et défauts conceptuels de l’outil informatique font, depuis deux ans, l’objet d’une expertise Orthorisq dans le but d’élaborer des recommandations en vue de sécuriser ces pratiques.

Validation partagée de la « check-list »

Communiquer est une condition sine qua none pour que l’équipe puisse constituer un rempart à l’erreur et jouer pleinement son rôle de gestion des risques. À ce titre, le processus standardisé ( « La prévention des erreurs de procédure et de site en chirurgie »), élaboré par l’OMS et déployé en France par la HAS et le Ceppral (Coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en santé en Rhône-Alpes) dans le cadre du projet international High 5s(5), comprend l’association du marquage, des vérifications systématiques (identité, site, côté) à chaque étape clé du parcours patient et le « temps de pause avant incision » ou time out.

• Le time out est un temps au cours duquel l’ensemble des membres de l’équipe opératoire s’arrête et répond à voix haute aux questions du coordonnateur de la check-list HAS (lire p. 49). Il permet de valider que tout le monde est d’accord sur la personne à opérer, l’objet et le côté de l’intervention, l’installation du patient et le placement du champ opératoire au regard du côté à opérer, les risques particuliers à prendre en compte, la présence du marquage…

• Le temps du « chacun pour soi » est donc révolu, même si la culture du partage doit encore faire son chemin dans de nombreux blocs opératoires. « Jusqu’à ce que nous nous engagions dans cette expérimentation, explique le Dr Sylvie Fritsh, chirurgien viscéral au centre hospitalier Joseph Ducuing (Toulouse), le time out était vécu comme une contrainte extérieure “subie”. Grâce au travail en équipe que nous avons conduit dans le cadre de l’expérimentation High 5s, nous avons découvert son sens, comme son intérêt médical et chirurgical. En fait, il s’agit d’obtenir durant un laps de temps relativement court, une concentration totale de chacun vers le malade pour sécuriser parfaitement le geste chirurgical. » Cela dit, cette expérimentation a aussi permis de révéler que l’une des difficultés à la mise en œuvre efficace du time out vient de la nécessité de trouver les mots simples, efficaces, concis pour optimiser ce temps d’échange afin de passer en revue tous les items sans ralentir le programme opératoire. Pour éviter les « oublis », certains établissements ont choisi d’informatiser la check-list, ce qui permet d’intégrer des alertes bloquantes obligeant à remplir chacune des étapes pour pouvoir passer à la suivante.

La prise en charge en ambulatoire

Il convient de différencier les programmes opératoires ambulatoires des programmes conventionnels et mieux anticiper les difficultés techniques pouvant contrarier la programmation opératoire prévisionnelle. La spécificité de la chirurgie ambulatoire est un temps de prise en charge réduit au maximum à 12 heures de présence du patient dans la structure. Cette contrainte de temps impose d’optimiser les flux à chaque étape du processus tout en anticipant les risques au maximum, ce qui peut être favorisé par la mise en place de blocs opératoires dédiés à la chirurgie ambulatoire ou, à défaut, par une réorganisation du programme opératoire permettant de réserver certains jours à cette chirurgie. Cela permettrait :

• d’enchaîner les interventions de manière plus fluide ;

• de ne pas être tributaire des retards pris par certaines chirurgies lourdes hyperaseptiques ;

• d’établir des programmes plus fiables en termes de timing permettant :

– de ménager des pauses (réduire la fatigue et ses risques) ;

– d’éviter la précipitation induite par le souci de rattraper le retard pour permettre au patient de sortir dans les délais annoncés ;

– de supprimer les facteurs préjudiciables au geste opératoire : contrôle du dossier bâclé, installation du patient réalisée par le seul chirurgien sans vérifications d’usage, check-list non renseignée dans le cadre d’une communication interprofessionnelle…

1- H. Mendizabal, G.Bollini et cols., « Evènements porteurs de risques déclarés sur le thème “Erreurs de site opératoire” en chirurgie orthopédique », Risques & qualité, 2013, Volume X, n° 1.

2- Alerte Orthorisq (www.orthorisq.fr), voir « Savoir + », p. 62.

3- « Guide de marquage du site chirurgical, Projet High 5s, La prévention des erreurs de procédure et de site en chirurgie », HAS, Ceppral, octobre 2012.

4- Sécurité du patient & pratiques, n° 34, mai-juin 2014 ; Sécurité du patient & pratique, n° 38, mars-avril 2015.

5- Projet de l’OMS piloté en France par la HAS dans huit établissements.

MÉTHODE

Le Crex : analyser pour mieux prévenir

Initialement développé dans l’aviation civile, le Comité de retour d’expérience (Crex) est une méthode de gestion de la sécurité des soins reposant sur un groupe de professionnels chargé d’analyser rétrospectivement les événements indésirables liés aux soins détectés et signalés par les équipes soignantes. Ceux jugés prioritaires font l’objet d’une analyse systémique qui donne lieu à un rapport présenté en réunion afin que des actions d’amélioration soient étudiées, retenues, planifiées et mises en œuvre par les équipes. Cette démarche pluriprofessionnelle d’évaluation, de prévention des situations à risques et d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins s’inscrit dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et constitue un outil majeur pour élargir une culture sécurité collective au sein des établissements de soins.

Source : Haute autorité de Santé.

POINT DE VUE

« Transformer l’erreur en “histoire à succès” »

Dr Claire Chabloz* médecin coordonnateur du Ceppral (coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en Santé en Rhône-Alpes)

« À l’occasion de l’expérimentation de ce protocole dans huit établissements français, 29?évènements porteurs de risque d’erreur ont été interceptés en l’espace d’un an par six établissements grâce à l’utilisation systématique de la check-list. 90 % des erreurs concernaient des erreurs de côté principalement liées à une erreur de transcription du chirurgien sur le dossier patient malgré une consultation réalisée du bon côté validée par le patient. L’analyse a posteriori nous a permis de constater que ces erreurs peuvent rester dans le circuit sur une, deux ou trois étapes avant d’être interceptées grâce aux vérifications systématiques (croisement des informations par le professionnel avec le patient) prévues aux différents temps de la prise en charge sur les principaux items : identité, site, procédure chirurgicale, côté. Parce qu’elles ont pu être repérées à temps et corrigées, ces erreurs sont devenues des « histoires à succès » que nous célébrons avec les équipes pour leur faire prendre conscience que si chacun peut être à l’origine d’une erreur, chacun peut aussi contribuer à son repérage et qu’il est important qu’une conscience collective s’élabore autour de cet objectif commun et partagé. L’un « ne flique » pas l’autre mais participe au système de prévention des erreurs et d’amélioration continue de la sécurité des patients. C’est la condition sine qua non pour que cette dynamique de vérification devienne naturelle et s’installe durablement dans les services. Mais aussi pour qu’un travail constructif soit réalisé afin de comprendre comment l’erreur s’est insinuée, et trouver des parades. La publication du rapport High 5s en France est prévue dans le courant de l’été prochain. Ses conclusions ne seront pas assorties d’une obligation de mise en œuvre du processus standardisé High 5s dans les établissements.

Toutefois, des décrets sont en préparation concernant les autorisations d’opérer qui prévoient de renforcer les exigences quant aux efforts à mettre en œuvre pour améliorer la qualité et la sécurité des patients. Prévus pour la fin d’année, ces décrets feront reposer ces autorisations non plus sur les moyens, le nombre d’actes et les équipements, mais sur la démarche de sécurisation du patient opéré. Ce qui va dans le sens de l’intégration, à terme, du processus standardisé High 5s dans la pratique courante de prévention des erreurs de côté en chirurgie orthopédique ambulatoire, entre autres. »

* Le Dr Claire Chabloz est chargée d’accompagner les équipes participant à l’expérimentation du processus standardisé High 5s.

ANALYSE

La méthode Orion

La méthode Orion est une analyse systémique simple et efficace des événements cliniques et des précurseurs survenant en pratique hospitalière. Fondée sur l’expérience de l’aéronautique, elle est divisée en quatre étapes :

1 collecter les données ;

2 reconstituer la chronologie de l’événement ;

3 identifier les écarts ;

4 identifier les facteurs contributifs et les facteurs influents (domaine technique, environnement du travail, organisation, procédures et facteurs humains).

Cette analyse, confiée à un pilote, vise à préciser les différents facteurs de risques pouvant avoir favorisé la survenue de cet événement.

ORGANISATION

Le rôle de l’encadrement

Le cadre du bloc opératoire est responsable de l’organisation. de l’activité opératoire. il y participe notamment dans la mise en place des moyens matériels et humains pour assurer une prise en charge de qualité et la sécurité pour tout patient.

→ Il doit régulièrement sensibiliser les équipes au remplissage correct de la check-list et leur rappeler que tout dysfonctionnement doit être signalé, tracé voire déclaré si ce dysfonctionnement est un événement indésirable.

Comme le précise l’article L. 1413-14 du code de la santé publique, « tout professionnel ou établissement ayant constaté ou suspecté la survenue d ’un accident médical, d’une affection iatrogène, d’une infection nosocomiale ou d’un événement indésirable associé à un produit de santé doit en faire la déclaration à l’autorité administrative compétente ».

→ La culture « Gestion des risques » doit être une priorité et rentrer dans le cadre du plan de formation de l’établissement. Il faut savoir :

– que l’on tire des leçons de nos erreurs pour admettre que c’est probable ;

– pour savoir comment c’est arrivé ;

– pour comprendre pourquoi c’est arrivé ;

– pour mettre en place des parades pour que ça n’arrive plus.

DANY GAUDELET