Clash des clans - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

SIMULATION

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Aussi ludique qu’éducatif ou thérapeutique, le « serious game » Clash Back enjambe les frontières relationnelles et facilite les échanges entre l’adolescent et les soignants.

Un soir de mars, vers 21 heures. Chloé, 16 ans, vit avec son père, « un peu relou, mais un brave type », sa belle-mère Lise et son demi-frère Tom. Mais ce n’est pas toujours simple pour l’adolescente : disputes incessantes avec sa famille, boulimie, histoires d’amour qui finissent mal… Ce soir, elle veut négocier avec son père l’autorisation de se faire tatouer une salamandre sur sa hanche gauche, « à 40 degrés de latitude nord ». Comment va-t-elle le convaincre ? Entre le père, plutôt hostile à l’idée, et l’adolescente, impulsive et déterminée, le clash semble inévitable…

Une histoire de conflits

Simulateur de comportement adolescent, Clash Back a été lancé en janvier après trois ans de développement et un test auprès de 500 adolescents. « Les jeunes sont de plus en plus réticents à parler librement lors d’un entretien classique. Par peur d’être étiquetés, jugés, explique le Dr Xavier Pommereau, psychiatre et chef du Pôle aquitain de l’adolescent au centre Abadie du CHU de Bordeaux, à l’origine du projet. Cet outil s’inscrit dans la relation thérapeutique et devient un support de communication entre un groupe de jeunes, entre l’adolescent et un professionnel de santé, ou entre l’ado et ses parents. »

Suivant une prescription du médecin traitant, l’infirmière ou l’aide-soignante, par délégation, accompagne l’adolescent, lui en explique le concept, et reste à ses côtés pendant la durée du jeu. Le jeune joue le rôle de Chloé, découvre son monde, et choisit ses répliques selon les réactions du père. À chaque échange, il a ainsi le choix entre trois options qui sont ensuite cotées selon cinq paramètres : la sincérité, l’adaptabilité à la question posée, l’impulsivité, l’expression des émotions, et la compréhension de la situation. Tout au long du jeu, l’avatar du Dr Pommereau commente en direct la réaction du jeune et propose, dans un onglet « savoir plus », des fiches techniques sur les nombreux enjeux de l’adolescence. Selon la réaction de l’adolescent, la partie peut s’achever en 10 minutes par un vrai « clash » ou s’étirer sur près de 45 minutes. À la fin du jeu, le profil du joueur est établi sous la forme d’un diagramme (voir encadré), accompagné d’un bilan complet, commenté par le psychiatre, réplique par réplique. Un bilan qui pourra être repris par le soignant, en séance individuelle avec le jeune ou en groupe de parole.

Facilitateur de dialogue

Les soignants sont au cœur de ce simulateur interactif, créé par les équipes soignantes du centre Abadie. Car ce sont eux, le premier public cible de Clash Back : « Les professionnels ayant en charge des ados, qu’ils soient soignants, éducateurs, ou enseignants, sont demandeurs d’outils pour mieux communiquer avec ceux que j’appelle les “ados.com” », poursuit le psychiatre. Et ce simulateur de prise de tête peut devenir un réel facilitateur de dialogue. Monique Labat est infirmière depuis 22 ans à l’unité des adolescents suicidants et suicidaires du centre Abadie : « Quand on propose le jeu à l’adolescent, il est souvent amusé, car c’est un support qu’il connaît. Derrière la simple histoire du tatouage, nous pouvons aborder plusieurs aspects : troubles du comportement alimentaire, problèmes sentimentaux, malaise familial, etc. C’est un support qui participe à la mise en parole du jeune, et nous permet, à nous soignants, de mettre du sens dans sa réactivité ou sa non-réactivité. »

Après la sortie de « Tattoo or not tattoo », un deuxième épisode, qui met en scène Guillaume, 15 ans, convoqué par le proviseur pour soupçon de vente de cannabis, est attendu pour l’an prochain. Un troisième volet est d’ores et déjà prévu fin 2016 ; cette fois, le joueur incarnera le rôle du père face à un adolescent difficile.

BILAN

À chaque joueur son profil

Clash Back utilise cinq paramètres – sincérité, adaptabilité, impulsivité, expression des émotions, et compréhension de la situation – qui, cotés, permettent d’établir un premier profil du patient lorsqu’on lui demande de « jouer » comme il l’entend. Le soignant peut également faire varier la consigne de départ pour évaluer la souplesse adaptative de l’ado, par exemple, en lui demandant de jouer en mode hypocrite ou « trash » sans aller jusqu’au clash. Deux études sont actuellement en cours au CHU de Bordeaux et de Brest pour confronter les résultats obtenus dans le simulateur.