Une EPP pour harmoniser les pratiques - L'Infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

FORMATION

À la suite d’un événement indésirable, effectuer une évaluation des pratiques professionnelles (EPP) permet de relever les dysfonctionnements d’un service et de réfléchir à des axes d’amélioration.

1. POURQUOI UNE EPP ?

Dans le service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Armand Trousseau, la surveillance des malades est assurée 24 h/24, 7 j/7 par le personnel infirmier. Le personnel aide soignant/auxiliaire de puériculture et médical est présent quant à lui 12 h/24, 7 j/7, avec une astreinte médicale joignable la nuit par téléphone. Un médecin de garde est présent aux urgences de l’hopital. Les patients pris en charge sont atteints de cancers. Le plus représenté est la leucémie, pathologie à haut risque infectieux. D’ailleurs, l’infection chez l’enfant neutropénique(1) est une comorbidité fréquente à l’importance cruciale.

Dans ce contexte, des événements indésirables(2) ont été identifiés dans les pratiques professionnelles, à savoir : des réponses téléphoniques inadéquates aux parents (encouragement à donner du paracétamol sans demander l’avis médical au préalable), des transmissions retardées au médecin, ou encore des protocoles de soin non respectés. Ces incidents peuvent léser la qualité des soins par :

• L’altération de la gestion du risque(3) d’événements infectieux graves qui s’en trouve ainsi majoré.

• Un retard dans la prise en charge thérapeutique, pourtant urgente, de la neutropénie fébrile(4) (lire p. 49). Tout ceci est susceptible de mettre le pronostic vital en jeu.

Deux problématiques essentielles en découlent :

• Le risque infectieux est-il bien connu et compris des professions paramédicales (aides-soignants, auxiliaires de puériculture et infirmiers) ?

• Le protocole de prise en charge de la neutropénie fébrile ainsi que les prescriptions médicales sont-ils recherchés, pris en compte et assimilés ? Si oui, pourquoi ne sont-ils pas respectés ?

2. LE SERVICE MÈNE L’ENQUÊTE

Pour répondre à ces questions, trouver des causes aux dysfonctionnements constatés et tenter de trouver des leviers d’amélioration, l’équipe a décidé de réaliser une enquête auprès des professionnels paramédicaux du service.

Construction de l’échantillon

Pour cela, 49 infirmières (IDE) et infirmières puéricultrices (IPDE) ont reçu un questionnaire par e-mail, soit quasiment la totalité de l’équipe infirmière en janvier 2014. 71 % (35 personnes) ont répondu. L’échantillon est homogène car représentatif de la dynamique de l’équipe d’alors, à savoir une majorité :

– d’IDE (32/35) par rapport aux IPDE (3/35) ;

– de personnel de jour (22/35), comparativement à celui de nuit (13/35) ;

– de paramédicaux ayant une ancienneté de moins de deux ans (66 % des effectifs).

Résultats de l’enquête

Pratique de soins

Dans la séquence des soins mis en œuvre lors de l’accueil d’un enfant en aplasie fébrile, 100 % de l’échantillon s’accorde à mesurer les paramètres vitaux, puis à prélever une hémoculture.

Par la suite, les pratiques diffèrent : près de la moitié des infirmiers interrogés administrent l’antipyrétique avant de débuter l’antibiothérapie. Gardons à l’esprit que ces résultats ne sont pas tout à fait représentatifs des pratiques réellement exercées dans le service, car certains professionnels avouent dans les commentaires libres avoir modifié récemment (avant le début de l’enquête) leur séquence de soins (antibiotique IV avant antipyrétique), suite à une sensibilisation des médecins. Certains expliquent mettre en place l’antipyrétique en même temps que le paracétamol chez un enfant qui est porteur d’une voie veineuse centrale.

Le délai d’action entre l’arrivée du patient et la première administration d’antibiotique est hétérogène. La médiane est de 30 minutes mais le délai va de 10 à 60 minutes selon les répondants.

Prise en charge de l’hyperthermie

L’enquête révèle que les principaux moyens utilisés pour faire baisser la température sont le paracétamol, découvrir l’enfant et glacer les tubulures.

Cependant, plus de la moitié de l’échantillon interrogé (63 %) n’administre pas systématiquement du paracétamol (IV ou per os) lors d’une aplasie fébrile. Les personnes qui administrent automatiquement du paracétamol le font essentiellement pour le confort du patient, faire diminuer la fièvre, en cas de mauvaise tolérance et pour limiter le risque de convulsion. Pour d’autres, il s’agit d’éviter ainsi un choc septique ou les lésions d’organes (cerveau notamment), de réduire la consommation d’oxygène ou le risque de déshydratation par excès des pertes insensibles liées à l’hyperthermie, ou encore de répondre à l’inquiétude des parents. Les raisons pour lesquelles la majeure partie du personnel n’administre pas systématiquement le paracétamol sont : en raison d’une bonne tolérance de la fièvre, respect du protocole et des prescriptions médicales (si température inférieure à 38,3° C, contrôle 1 heure après ; fréquences et délais d’administration du traitement), priorité donnée à l’antibiotique, selon l’origine de la fièvre (ex. : allergique) et son intensité, d’autres thérapeutiques peuvent être mises en place sur décision médicale (ex. : corticoïdes), choix d’un autre antipyrétique si le patient a une pathologie hépatique.

Presque un infirmier sur deux questionné administre du paracétamol IV sur sa propre initiative alors que celui-ci est prescrit per os. Raisons : refus/difficultés de la prise per os (nausées/vomissements, mucite, tranquillité de l’enfant, sommeil, altération de l’état général, douleur…), peur d’être jugé comme incompétent par le corps médical.

Analyse quantitative et qualitative

De manière générale, l’analyse des résultats met en relief le caractère hétérogène des pratiques professionnelles, notamment sur trois points essentiels :

• La première action thérapeutique/curative à initier face à une neutropénie fébrile.

• Le délai d’action entre l’arrivée du patient et la première administration d’antibiotiques, bien que ce temps soit en grande majorité correct et acceptable.

• La majorité des infirmiers substitue le paracétamol per os par la forme intraveineuse, sans prescription médicale en pensant qu’il y a une stricte adéquation de la posologie per os et intraveineuse, alors qu’une adaptation de dose est nécessaire chez l’enfant de moins de 10 kg.

3. LES LEVIERS D’AMÉLIORATION

L’évaluation des pratiques professionnelles a permis de dégager plusieurs axes d’amélioration.

Une vérification systématique des prescriptions et prescriptions conditionnelles par l’équipe de jour lorsque les médecins et internes sont présents dans le service.

Une mise à jour des connaissances relatives à la neutropénie fébrile, au risque infectieux et au traitement associé (protocole et fiche technique sur la prise en charge paramédicale de la neutropénie fébrile et fiche paracétamol en cours de préparation). Une fiche « Prise en charge de la neutropénie » a été réalisée depuis, avec arbre décisionnel simple à l’usage des IDE/IPDE, afin d’homogénéiser les pratiques. Un protocole de soins Médecin-IPDE autorisant la substitution autonome par l’IDE/IPDE du paracétamol per os/IV, en l’absence de prescription sur le logiciel Phedra, a également été rédigé.

Hiérarchisation systématique des prescriptions médicales (ex. : paracétamol si douleur ou si fièvre après début antibiothérapie ; Pipéracilline/tazobactam si fièvre, en première intention).

Intégrer systématiquement le sujet dans le séminaire d’intégration des nouveaux professionnels.

De la connaissance de soi vers une prise en charge de qualité : mener une réflexion personnelle sur son propre travail, dans l’objectif d’adapter les habitudes du service. Nécessité d’identifier ses processus de pensées et ses représentations, de réfléchir sur la conscience de ses propres limites. Se questionner sur ce que représente, pour soi, le concept du soin et être infirmier :

• Quel infirmier suis-je ?

• Quelle doit être ma pratique ?

• Que signifie pour soi être compétent, efficace ?

• Que demande la société à l’infirmier ?

• Existe-t-il une banalisation du risque vital lié à l’aplasie fébrile dans les pratiques et consciences professionnelles ?

1- Neutropénie = un nombre absolu de PNN inférieurs à 1 500/mm3 chez l’enfant de plus de un an. Toute neutropénie expose le patient à une infection bactérienne.

2- Événement indésirable = situation qui s’écarte de procédures ou de résultats escomptés dans une situation habituelle, et qui est ou qui serait potentiellement source de dommages. Il existe plusieurs types d’événements indésirables : dysfonctionnements, incidents, événements sentinelles, précurseurs, presque accidents, accidents.

3- Situation à risques = état susceptible de générer un accident ou un incident.

4- Fièvre = un pic fébrile ≥ 38,3°C une fois, ou un fébricule > 38°C deux fois à une heure d’intervalle (sans prise d’antipyrétique).

5- Les erreurs de routine correspondent à des défaillances dans la surveillance de l’exécution (fonctionnement fondé sur les habitudes). L’action se déroule sans contrôle conscient, dans le cadre de problèmes familiers.

Diagramme d’Ishikawa

Il s’agit là d’un événement indésirable grave pour lequel on observe, à la fois, des défaillances patentes (l’acteur de première ligne commet une erreur qui va être en lien direct avec l’accident) et latentes (plusieurs éléments du système ont contribué, en amont, à la survenue de l’accident).

Le diagramme d’Ishikawa consiste, dans notre cas, en la réalisation d’une cartographie des risques a posteriori permettant une identification exhaustive de ces derniers, ainsi qu’une analyse rigoureuse de leurs causes. Grâce à ce diagramme, des recommandations/mesures correctives peuvent être trouvées et proposées, afin d’éviter que l’accident ne se reproduise.

ENQUÊTE : ANALYSE DES RÉSULTATS

Trois points mis en évidence par l’enquête ont été analysés, révélant l’hétérogénité des pratiques au regard de l’application des protocoles et son incidence sur la qualité des soins.

VERBATIM

EXTRAITS DE RÉPONSES

Concernant le paracétamol prescrit sous forme de Doliprane ou d’Efferalgan, vous arrive-t-il d’administrer de votre propre chef du Perfalgan IV ?

« Oui, lorsque le patient refuse catégoriquement le per os. Ou volonté de ne pas réveiller un enfant qui a déjà passé une nuit quasi blanche dans un état de fébrilité notable. »

« Oui, c’est la même dose, quelle que soit la voie d’administration. »

« Je m’autorise à convertir la dose en intraveineux si l’enfant refuse le per os car il faut le traiter, mais j’en réfère assez vite au medecin. »

« Lorsque l’enfant refuse de prendre le Doliprane per os, je le passe en IV sans demander l’avis du médecin, car si je lui demande l’autorisation, je risque de passer pour une incompétente ! »

En cas de fièvre, administrez-vous systématiquement du paracétamol (IV ou per os) ?

« Non, on traite l’hyperthermie par du paracétamol au bout de la seconde prise de température, 1 heure après, si celle ci n’est pas redescendue. »

« Je passe le paracetamol uniquement s’il est sous prescrit et si des antibiotiques ont été débutés. S’il s’agit du premier pic de température, je ne le passe pas tout de suite. Mais si la température est trop élevée et mal tolérée, je passe systématiquement le paracétamol pour éviter un choc. »

« Non, pas de paracétamol si la température est inférieure à 38,5 °C, si les constantes vitales sont ok et si absence de frissons. »

« Oui, il existe des risques liés à l’hyperthermie. »

« Oui, pour soulager l’enfant, après administration des antibiotiques. »

Quelle est, dans votre pratique, votre estimation du délai moyen (en minutes) entre l’arrivée du patient et la première administration d’antibiotiques ?

« 60 minutes : je sais que je devrais passer les antibiotiques avant le paracétamol, mais c’est une habitude de service de faire comme ça. En général, j’ai le temps de passer le paracétamol pendant que je récupère et prépare mes antibiotiques. »

« 45 minutes : je passe le Perfalgan et l’antibiotique en IV ensemble. »

« Entre 30 minutes et 1 heure selon la charge de travail : réunir le dossier de l’enfant, installation du patient, préparation de la perfusion, réassurance de l’enfant et des parents… »

« 30 minutes : j’ai du mal à laisser un enfant ayant beaucoup de fièvre sans antipyrétique. C’est inquiétant pour les parents et le risque de convulsion est présent chez les tout-petits. »