Il faut dédiaboliser le cannabis - L'Infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

Martine Schachtel Ancienne infirmière, auteure de Cannabis sur ordonnance, publié en janvier 2015 aux éditions Albin Michel

EXPRESSION LIBRE

Le Sativex, dérivé du cannabis(1), sera bientôt délivré sur prescription dans les cas de spasticité provoquée par la sclérose en plaques (SEP). Cela ne concernera que 2 000 patients environ, la prescription pour cette seule indication étant très restrictive. Or, de nombreuses études médico-scientifiques signalent un éventail beaucoup plus large de réponses thérapeutiques très positives au cannabis(2). En Suisse, on le prescrit non seulement pour les malades atteints de la SEP, mais aussi pour ceux qui souffrent de cancers ou du sida. Malgré l’interdiction du cannabis en France, un nombre croissant de patients le consomment à des fins thérapeutiques, en recourant à l’autoproduction d’herbes naturelles bio, parce que leurs traitements habituels ne sont plus d’aucun effet, ou qu’ils ne sont pas ou mal tolérés. Pourquoi les feuilles de cannabis ne pourraient-elles pas être délivrées en pharmacie, sur ordonnance ? Certains médecins, en réfutant catégoriquement l’idée de son usage thérapeutique, ne diaboliseraient-ils pas le cannabis, objet de lourds préjugés, confondant délibérément usage médical et usage récréatif ? Et que penser des prescriptions banalisées de morphine dérivée de l’opium, comme ci ce stupéfiant-là ne comportait pas de risque d’intolérance, d’addiction ou d’effets secondaires ?

Alors que je n’avais aucun a priori sur le cannabis, l’expérience vécue auprès de ma sœur Alice m’a confortée dans l’idée que, dans le cas d’un cancer en phase terminale, cette plante, associée à un traitement conventionnel, assure une fonction relaxante et antalgique permettant de mieux supporter les dernières semaines de la vie, de pouvoir rester debout jusqu’au bout. Déprimée, épuisée physiquement et moralement, Alice avait décidé de baisser les doses de morphine qui la rendaient plus malade que son cancer du poumon lui-même, pour essayer autre chose. Elle se fit confectionner des petits sablés au cannabis dosés à 0,5 g de THC, qu’elle ingérait à raison de trois par jour. Les vomissements disparurent et elle se remit à manger avec appétit. Au bout de trois jours, elle avait même repris deux kilos. La douleur, l’angoisse s’amenuisaient de jour en jour, lui redonnant l’envie de se promener sur ses deux jambes quand, sous morphine, elle ne se déplaçait plus qu’avec un déambulateur. Son humeur, sa relation avec son entourage et ses enfants se normalisait, alors qu’avant elle était toujours en colère. Les petits sablés au cannabis lui redonnèrent une existence presque normale. On sait à quel point la qualité de vie d’un patient joue un rôle important dans le combat contre la maladie et la douleur.

1- Spray buccal associant du tétrahydrocannabinol (THC) et du cannabidiol (CBD).

2- Anti-vomitif en post-chimiothérapie, stimulant pour l’appétit, relaxant et somnifère pour l’angoisse et la fin de vie, analgésique contre les douleurs chroniques. Une étude récente du Journal of Clinical Psychopharmacology : « Therapeutic satisfaction and subjective effects of différent strains of pharmaceutical-grade cannabis », juin 2014.