« PARFOIS, ON S’OCCUPE DAVANTAGE DES PARENTS » - L'Infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

DELPHINE MENTEC INFIRMIÈRE PUÉRICULTRICE EN RÉANIMATION À L’HÔPITAL ARMAND TROUSSEAU (AP-HP) À PARIS

FORMATION

INTERVIEW

A. S.  

En réanimation néonatale, les parents ont un accès illimité au service. Comment gère-t-on ces regards braqués sur soi pendant qu’on fait son travail ?

En fait, les parents ne sont jamais vraiment dans l’observation, car je leur donne un rôle essentiel, celui de rassurer leur bébé, par des paroles, des caresses… Donc ce n’est pas moi qu’ils regardent, c’est lui. Quand ils se sentent prêts, je leur propose de faire certains soins comme nettoyer les yeux et la bouche de leur bébé, changer sa couche, etc. Je garde les gestes infirmiers (les aspirations, la glycémie, les changements de capteurs de scope, etc.) mais, là aussi, leur rôle sécurisant est très important. Avant, lorsque l’enfant faisait un gros malaise et qu’il fallait l’intuber, par exemple, on avait tendance à brusquer un peu les parents pour les faire sortir vite. Mais aujourd’hui, dans les congrès de réanimation, on répète qu’il est plus traumatisant pour les parents d’être éjectés de la chambre, plutôt que de rester et de voir que l’équipe fait tout pour sauver leur bébé, quelle que soit l’issue.

Peut-on dire que vous prenez en charge un nouveau-né ET ses parents ?

Oui, c’est certain. Par moments, on se préoccupe même davantage des parents. Ils sont sous le choc de ce bébé né trop tôt, qui ne correspond pas à celui dont ils rêvent depuis quelques mois. Le service de réanimation est un environnement anxiogène. Nous sommes leurs premiers interlocuteurs et, une fois que le choc est passé, au cours de la première semaine, ils ont des dizaines de questions à nous poser. Ils veulent tout savoir, tout comprendre de ces machines qui entourent leur bébé, des alarmes qui se déclenchent… Finalement, on revient au cœur de notre métier. Nous sommes formées à la relation d’aide, c’est elle qu’il faut mettre en pratique le plus vite possible, même si le contexte est délicat. Les réactions sont très différentes : on peut avoir un parent, souvent la maman, qui est très en demande pour prendre son bébé dans les bras, et un papa bloqué, préférant attendre que ce bébé si fragile soit « guéri » avant d’oser le toucher. Mais, dans tous les cas, ils ont besoin de notre aide. Le rôle des psychologues est aussi très important. La pluridisciplinarité des équipes est un atout précieux.

Vous devez aussi faire face au deuil de certains parents. Est-ce une chose à laquelle on peut se préparer, en équipe, en formation ?

Nous en parlons beaucoup entre nous, mais pas de manière formelle. Certains services ont des réunions pour échanger sur les enfants qui sont partis. Il n’y en a pas ici, sauf si un décès s’est très mal passé et qu’on souhaite en discuter entre nous et avec la psychologue du service. Cela est vécu différemment d’un infirmier à l’autre, d’un décès à l’autre et d’un parent à l’autre. Certains fondent en larmes, d’autres sont mutiques ou ont envie de parler. Nous n’avons pas de formation pour ça, mais il n’y a pas de recette miracle. On a une procédure, dans les grandes lignes, qui nous aide à ne pas être complètement submergés : retirer tous les fils des scopes et des cathéters, proposer aux parents de faire avec nous la toilette du bébé et de l’habiller, avant de l’emmener dans une petite salle où on laisse les parents seuls avec lui. J’ai tendance à laisser les parents venir vers moi et parler s’ils en ont envie, plutôt que de les prendre dans mes bras, ce que font certaines collègues plus tactiles. Chacun fait les choses avec sa sensibilité.