Le danger de la prématurité - L'Infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

AFSANÉ SABOUHI  

Il naît chaque année en France près de 60 000 bébés prématurés. Si les progrès de la néonatologie ont formidablement accru leur chance de survie, c’est aussi au prix de séquelles encore difficiles à comprendre et à prévenir.

Une grossesse menée à terme dure normalement 39 semaines, soit 41 semaines d’aménorrhée (SA). Toute naissance survenant avant 37 SA, c’est-à-dire 8 mois de grossesse, est considérée comme prématurée. On distingue les grands prématurés, nés avant 33 SA, et les très grands prématurés, nés entre 22 et 28 SA. Selon la dernière enquête périnatale menée en 2010, la part de ces naissances prématurées est en hausse en France. Elle est passée de 5,9 % en 1995 à 7,4 % quinze ans plus tard. L’âge maternel plus tardif, l’augmentation des grossesses multiples accentuée par le recours à l’aide médicale à la procréation ou encore la précarisation des conditions de vie des futures mères se conjuguent pour expliquer cette hausse. Malgré les progrès exceptionnels de la néonatologie et le développement des maternités de niveau 3, la prématurité reste une menace de sombre pronostic. Moins d’un enfant sur deux naît vivant lorsque l’accouchement se produit avant 28 SA, selon les chiffres 2013 de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). La mortinatalité est de 5,1 % chez les bébés prématurés, contre 1,4 % pour les enfants nés à terme. À l’échelle de la planète, la prématurité est même devenue la première cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans. Selon une étude financée par la fondation Bill et Melinda Gates, publiée dans le Lancet en septembre dernier, elle a tué 965 000 enfants en 2013.

Les cinq grands facteurs

La prématurité peut être spontanée ou médicalement induite, lorsque l’équipe obstétricale décide de provoquer l’accouchement avant terme en raison de risques pour la mère ou l’enfant. « En 1995, 40 % des accouchements prématurés avaient été provoqués. Aujourd’hui, c’est au moins une naissance prématurée sur deux qui a été médicalement induite », précise Albane Tresse, porte-parole de la fondation PremUp, réseau scientifique et médical consacré à la prématurité. Les causes de la prématurité, notamment lorsqu’elle est spontanée, sont souvent multiples et encore mal comprises. Certaines situations cliniques sont toutefois identifiées comme étant à haut risque.

→ L’hypertension artérielle et ses complications : Un grand prématuré sur cinq est né avant 33 SA en raison de la tension artérielle trop élevée de sa mère. Cette hypertension est dite gestationnelle, car elle apparaît et disparaît entre la 20e semaine de grossesse et la 6e semaine après l’accouchement. Elle témoigne d’une mauvaise fabrication du placenta au cours du 1er trimestre. Elle ne peut pas être traitée comme une hypertension classique, car faire baisser la pression artérielle de la mère réduirait d’autant la pression de perfusion sanguine au fœtus, l’exposant au retard de croissance intra-utérin. La décision de donner des antihypertenseurs et/ou de provoquer l’accouchement dépend donc de l’avancement de la grossesse, du chiffre de pression systolique et des risques de complications pour la mère. L’hypertension peut en effet se compliquer d’un hématome rétro-placentaire, d’une atteinte rénale, d’une pré-éclampsie, de souffrances cérébrales, des convulsions de l’éclampsie, plus rarement, d’une défaillance hématologique, le Hellp syndrom.

→ Les hémorragies : 20 % des accouchements ayant lieu avant 33 SA sont dûs à des saignements abondants mettant en danger la mère et l’enfant. Il peut s’agir d’un placenta prævia, lorsque la mauvaise insertion du placenta se complique d’une hémorragie, d’un hématome rétro-placentaire – qui peut aussi survenir chez les futures mamans n’ayant aucun trouble de la tension artérielle –, ou de toute autre hémorragie du 3e trimestre, dont l’origine n’est pas toujours identifiée.

→ La rupture prématurée des membranes : Dans 25 à 35 % des cas, les naissances de grands prématurés s’expliquent par une rupture de la poche des eaux avant le terme normal. Une infection intra-utérine comme la chorioamniotite pourrait expliquer au moins un tiers de ces prématurités spontanées. D’autres facteurs comme les conditions socio-économiques défavorables ou la consommation de tabac semblent aussi impliqués.

→ Le travail prématuré spontané : Il correspond à un début de travail avant le terme normal de la grossesse alors que les membranes sont encore intactes. Plus d’un quart des grands prématurés naissent à l’issue de cette mise en travail trop précoce. Le rôle des infections comme la chorioamniotite est là encore fortement suspecté. Mais des conditions de vie difficiles et le stress de la future mère pourraient également être en cause.

→ Le retard de croissance intra-utérin : Généralement repérée grâce aux échographies pendant la grossesse, cette croissance insuffisante in utero est en partie liée à des anomalies de la vascularisation entre l’utérus et le placenta. Les apports nutritionnels et en oxygène deviennent insuffisants, jusqu’à mettre en danger le fœtus, ce qui peut conduire les équipes médicales à provoquer l’accouchement prématuré, le plus souvent par césarienne. L’hypertension artérielle et certaines maladies malformatives ou génétiques du fœtus peuvent aggraver le retard de croissance intra-utérin.

Face à ces causes multiples, la prévention de la prématurité reste délicate. D’autant plus que les jeunes femmes ont perdu l’habitude de consulter leur médecin traitant lorsqu’elles ont un projet de grossesse. Un sondage publié en novembre dernier par OpinionWay pour la fondation PremUp a révélé que seule une femme sur dix consulte son médecin avant d’arrêter la contraception. Or, les modifications de mode de vie et d’alimentation qui pourraient permettre de réduire les risques de prématurité doivent être adoptées dès le début de la grossesse, voire même avant que celle-ci ne soit effectivement entamée.

Vigilance et précautions spécifiques

Les premiers jours et les premières semaines d’un prématuré sont souvent un combat pour sa survie lors duquel la situation peut basculer très rapidement. La surveillance des infirmières est donc plus que cruciale. « On est beaucoup dans l’observationnel, on note la couleur, l’état de conscience, le regard, la communication avec l’entourage », explique Anne Dumas-Laussinotte, cadre puéricultrice au Chu de Bordeaux. Être né avant terme se traduit pour le bébé par l’immaturité de nombreux organes, ce qui modifie les soins infirmiers dans les premiers jours de vie. L’immaturité cutanée empêche la thermorégulation. Pour éviter la déperdition de chaleur, ces nouveau-nés sont donc placés en couveuse et habillés des pieds à la tête, bonnet compris. Leur température est surveillée en axillaire toutes les quatre heures en moyenne. « Leur peau est très fragile, l’hygiène n’est pas la priorité. Dans un premier temps, au lieu du bain, on ne fait que de petites toilettes dans l’incubateur pour éviter au maximum que le bébé ne se refroidisse », explique Delphine Mentec, infirmière puéricultrice en réanimation à l’hôpital Armand Trousseau à Paris.

L’immaturité de leurs poumons, qui peut être prévenue par une cure maternelle de corticoïdes lorsque la prématurité est médicalement induite, nécessite souvent que les grands prématurés soient intubés ou placés sous ventilation non invasive et monitorés sous scope cardio-respiratoire. Leur système digestif n’est pas parvenu à maturité non plus, et le réflexe de succion-déglutition n’est généralement opérationnel qu’à partir de 35 SA. Il faut donc mettre en place un cathéter pour perfusion, puis une sonde gastrique. Pour éviter qu’ils ne les arrachent, les petits prématurés portent généralement des moufles, qui les protègent aussi de la déperdition de chaleur. « Ne pas pouvoir donner le biberon ou le sein à leur bébé, c’est vraiment une douleur de plus pour les parents. Normalement, l’alimentation est au cœur du lien parents-enfant, surtout dans les premiers jours. Et là, même ce geste simple leur est interdit, c’est très dur », témoigne Delphine Mentec. Une surveillance très régulière de la tolérance digestive, des régurgitations et reflux doit être assurée par les infirmières.

L’immaturité des prématurés est aussi hépatique, ce qui explique un ictère physiologique pendant une quinzaine de jours et des risques d’hypoglycémie. Le taux de bilirubine et la glycémie sont donc surveillés toutes les trois heures en moyenne. Face à l’immaturité du système immunitaire, qui expose notamment à l’entérocolite nécrosante (lire p. 54), l’une des complications les plus redoutées de la prématurité, les précautions en termes d’asepsie sont décuplées. Soignants, parents et visiteurs doivent être extrêmement rigoureux sur le lavage des mains. Le système nerveux n’est pas non plus épargné par la naissance précoce, et le risque d’hémorragie intra-ventriculaire n’est pas écarté. La surveillance se fait par échographie transfontanellaire et par EEG. Les infirmières doivent également être attentives au tonus et aux éventuels mouvements anormaux du bébé. Le respect de son sommeil et de son besoin de calme est important. Les équipes s’attachent donc à préserver les moments de repos sans soins et à limiter l’éclairage agressif.

Une parentalité fragilisée

« Les parents sont les bienvenus à tout moment. C’est très important pour qu’ils puissent établir le lien avec leur bébé », soulignent toutes les puéricultrices. Car l’arrivée prématurée d’un enfant, qu’elle soit spontanée ou médicalement induite, est toujours un choc pour les parents. La culpabilité maternelle, la crainte pour la survie du bébé, le hiatus parfois gigantesque entre le bébé rêvé et ce prématuré minuscule et fragile sont autant d’émotions qui submergent les parents. Les soignants, et particulièrement les infirmières qui sont souvent leurs premières interlocutrices, les accompagnent pas à pas dans l’acceptation de leur bébé et répondent à leurs angoisses. Il est en effet fondamental de donner régulièrement aux parents des informations claires et précises sur l’évolution de leur enfant, afin de dissiper tout malentendu et éviter un stress supplémentaire et inutile. « Tout ce qui est affectif nous aide également à intégrer les parents, à les investir dans la relation avec leur enfant. On leur demande d’apporter un petit doudou, un lange avec l’odeur de la maman. On les rassure sur le fait que leur bébé reconnaît leur voix, celle de sa maman et celle de son papa. Et dès que les bébés ont passé la phase de menace vitale, on propose des peau à peau. Ces heures de câlins sont très bénéfique, pour les bébés comme pour les parents », rapporte Delphine Mentec.

Une vie sans séquelles ?

Une fois gagné le combat pour la survie, les enfants prématurés restent sous surveillance et les parents dans l’angoisse de futures séquelles. Les raisons de s’inquiéter sont en effet très objectives. Dans le cadre de l’étude Epipage 1, des chercheurs de l’Inserm ont suivi plus de 2 000 grands prématurés nés en 1997. Leurs résultats mettent en évidence que le cerveau paye un lourd tribut à cette naissance anticipée. À l’âge de 5 ans, 12 % des grands prématurés souffraient de déficiences intellectuelles modérées à sévères, 9 % d’une déficience motrice, 2 % d’une déficience visuelle et 1 % de troubles auditifs. Compte tenu des progrès de la réanimation et de la prise en charge des nouveau-nés prématurés, une nouvelle vague de l’étude a été lancée depuis. 5 000 bébés nés prématurés et grands prématurés en 2011 vont être suivis par les chercheurs de l’étude Epipage 2. Des bilans médicaux et cognitifs détaillés sont prévus à 1, 2, 5, 8 et 12 ans, pour mieux connaître le devenir de ces petits prématurés et pouvoir le comparer à celui de 1 000 enfants nés à terme et suivis dans les mêmes conditions. En décembre dernier, une autre étude française, publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, venait encore noircir le tableau en montrant que les bébés nés seulement 2 ou 3 semaines avant le terme n’étaient pas à l’abri de séquelles, même si elles ne sont pas du même ordre que chez les grands prématurés. Il ressort par exemple de cette étude effectuée sur 680 000 naissances qu’accoucher dans le courant du 8e mois multiplie par quinze le risque d’hospitalisation en réanimation du bébé. Et, jusqu’à l’âge d’un an, ces enfants ont encore deux fois plus de risque d’être hospitalisés, en général pour des infections (bronchiolites, gastros ou problèmes ORL).

ÉTUDE

Les garçons plus vulnérables

→ Selon une étude britannique parue en novembre 2013 dans la revue Pediatric Research, les garçons ont un risque de prématurité augmenté de 14 % par rapport aux filles. Les spécialistes soulignent en effet que les femmes qui attendent des garçons ont davantage de problèmes de placenta, de pré-éclampsie et d’hypertension, trois causes de naissance prématurée.

→ Par ailleurs, les prématurés de sexe masculin sont plus vulnérables aux infections et aux complications néonatales. Un phénomène qui, selon les auteurs, s’explique par le développement légèrement plus rapide des fœtus féminins au cours de la grossesse. En cas de naissance prématurée, ces demoiselles sont donc avantagées car leurs organes, notamment leurs poumons, sont plus développés.

TÉMOIGNAGE PR VASSILIS TSATSARIS RESPONSABLE DE L’UNITÉ DE MÉDECINE FŒTALE DU CHU PORT-ROYAL À PARIS ET MEMBRE DE LA FONDATION PREMUP

« La formation des infirmières est parcellaire et datée »

« La formation des personnels paramédicaux sur la périnatalité est lacunaire et rarement réactualisée depuis la formation initiale. Les actions de formation continue concernent le circuit du médicament ou l’hygiène, beaucoup plus souvent que les problématiques médicales transversales comme la prématurité ou le retard de croissance, lesquelles sont pourtant le cœur de métier des infirmières. Nous organisons donc des formations en interne que nous essayons d’ouvrir aux soignants extérieurs. Nous intervenons au salon infirmier avec un atelier-formation autour de l’accouchement et un autre autour de la réanimation du nouveau-né, grâce à des mannequins qui permettent de simuler les gestes. Pour une infirmière qui suit les mères en maternité, bien comprendre ce qui se passe en termes de mécanique obstétricale, même si l’on ne travaille pas en salle de naissance, permet d’être plus efficace dans le suivi des patientes, de faire attention à de nouveaux détails. Notre autre défi serait de former le personnel intérimaire qui arrive dans nos services sans connaître la spécificité de la prise en charge des femmes enceintes. »

ÉTHIQUE

Acharnement thérapeutique ou réanimation d’attente ?

En septembre dernier, les parents du petit Titouan né quatre mois avant terme à moins de 900 g ont saisi les médias pour dénoncer « l’acharnement thérapeutique » dont faisait preuve, selon eux, l’équipe du CHU de Poitiers où leur enfant avait été transféré. L’émotion suscitée par cette affaire a permis de faire connaître au grand public la procédure de réanimation d’attente : pendant quelques semaines, en général pas plus d’un mois, le nourrisson est placé sous assistance ventilatoire et des examens réguliers (encéphalogrammes, échographies cérébrales, IRM, etc.) permettent d’estimer l’ampleur des séquelles prévisibles. Les parents sont consultés et l’équipe se pose collégialement la question de savoir si elle est, ou pas, dans ce que la loi Leonetti appelle « l’obstination déraisonnable ».