LA SOCIO-ESTHÉTIQUE, UNE PRATIQUE SUR-MESURE - L'Infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

ONCOLOGIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Souvent sensibilisé par la maladie et ses traitements, le corps est au cœur de la prise en charge esthétique proposée par le service d’oncologie de l’hôpital Louis Mourier. Une démarche qui contribue au travail infirmier.

L’évolution de la maladie cancéreuse entraîne souvent des perturbations de l’estime de soi liées aux multiples changements physiques tels que la perte des cheveux, des cils, des sourcils, l’altération de la peau ou l’amaigrissement. À l’hôpital Louis Mourier (Hauts-de-Seine), l’accompagnement des personnes fragilisées passe aussi par la socio-esthétique, une démarche visant à proposer une prise en charge esthétique personnalisée, conjointement aux traitements spécifiques. Destinés tant aux hommes qu’aux femmes, ces soins offrent aux patients un lieu d’évasion à travers un toucher non médicalisé qui devient vecteur d’apaisement, de détente et, souvent, de communication.

MORGANE BAUVAIS-GHISLAIN

SOCIO-ESTHÉTICIENNE

La socio-esthétique est la pratique professionnelle de soins esthétiques adaptés à une population fragilisée par une atteinte à son intégrité physique (maladie, accident, vieillesse), psychique (maladie mentale, addiction) ou en détresse sociale (précarité, détention). Ces séances permettent aux patients de reprendre contact avec leur corps, devenu un lieu de soins médicaux, d’examens et de traitements. L’approche sensorielle apportée par la socio-esthétique les amène donc à réinvestir autrement leur corps, et non plus uniquement en tant qu’objet de souffrance ou de maladie.

La peau a une fonction sensorielle. Elle permet un échange avec le monde extérieur et amène à parler de soi, même inconsciemment. L’atteinte portée à leur peau et à leur corps, induite par la maladie et les traitements médicaux, amène souvent les patients à se replier sur eux-mêmes, jusqu’à ne plus oser se regarder dans un miroir. Il est donc essentiel de créer un espace adapté afin de leur procurer une forme de bien-être, de douceur, de confort et de réconfort. Différents soins peuvent être proposés aux patients en fonction de ce qu’ils souhaitent recevoir. Il est important de leur laisser le choix afin qu’ils puissent exprimer leurs désirs et leurs attentes. Pour certains, les séances peuvent être l’occasion d’un vrai lâcher-prise et de détente. Pour d’autres, c’est un espace qui les amène à parler de sujets plus intimes, qu’ils n’osent souvent pas aborder avec leurs proches. Ou tout simplement pour discuter d’autre chose que de la maladie.

Conseils et prévention

Les soins des mains sont souvent proposés en première intention car c’est un moyen de se mettre en lien avec les patients et de créer un climat de confiance. C’est aussi par ce biais que la socio-esthéticienne peut donner des conseils en prévention de l’altération des ongles et de la peau. Les soins du visage et les séances de maquillage favorisent un meilleur confort cutané et aident au réinvestissement de l’image corporelle. Les soins du corps – modelage du dos, des jambes, soins des pieds – permettent de soulager les patients de certaines douleurs corporelles. Ces pratiques les aident à retrouver des sensations agréables et de renouer avec des sensations de plaisir. Il m’arrive aussi de conseiller les patientes dans le choix des perruques et des couleurs, afin de susciter chez elles l’envie de reprendre soin de leur corps.

Ces soins de confort sont souvent vécus comme un vecteur d’apaisement qui favorise une image de soi positive. La séance est un temps d’écoute privilégié où le patient parle de son rapport à son corps, des effets de la maladie et des traitements.

Expression d’un mal-être

J’ai suivi Mme M. durant plusieurs mois et nous avons pu constater qu’elle s’est rapidement saisie de ces rendez-vous. Dès les premières séances, elle s’est confiée sur sa crainte de partir et de laisser ses enfants. Les soins du visage et le maquillage l’ont aidée à exprimer les difficultés rencontrées. Elle avait notamment du mal à accepter les difficultés liées à son intimité et la perte d’autonomie. C’était une dame très coquette mais, avec sa maladie, elle ne se préoccupait plus de son apparence. Les soins de socio-esthétique lui ont ainsi permis de renouer avec sa féminité. Elle a, par exemple, demandé à ses proches de lui ramener ses crayons de maquillage et les utilisait désormais le matin après sa toilette. Quant aux modelages des mains, ils lui ont été bénéfiques car elle a pu retrouver des sensations jusqu’ici oubliées.

En touchant à la notion du corps et de sa vulnérabilité, la socio-esthétique permet d’accéder à l’intimité des patients, qui profitent du soin pour partager leurs angoisses ou leurs craintes. À la fin de chaque séance, je prépare un travail de transmission dans le dossier des patients afin de laisser une trace écrite. Je fais également un bilan auprès des équipes pour amorcer un travail de réflexion sur une prise en charge plus adaptée. Le dialogue qui s’instaure entre les infirmières et les socio-esthéticiennes permet de verbaliser les difficultés de l’accompagnement. Ce lien apporte une plus grande cohésion et permet d’assurer la transmission des soins pour un meilleur suivi des patients.

MICHELLE NOGUES

INFIRMIÈRE

Du fait de la situation géographique de l’hôpital Louis Mourier, notre équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs intervient auprès de personnes malades qui sont souvent en grande précarité sociale et familiale. Outre la gestion des symptômes et la prise en charge psychologique, nous veillons aussi au bien-être des patients. Après plusieurs années de réflexion et grâce à la collaboration de l’association La Ligue contre le cancer, nous avons pu mettre en place une vacation de socio-esthéticienne. Cela a nécessité, en amont, un travail d’information auprès des soignants sur la spécificité de son travail et les bénéfices attendus. Morgane a rejoint l’équipe mobile depuis dix mois, à raison d’une vacation de six heures tous les quinze jours. Elle intervient auprès de certains patients sur notre indication et après concertation avec les soignants référents dans les services d’oncologie (hospitalisation classique et hôpital de jour).

En service hospitalier, la technicité de la prise en charge oncologique – les examens, les traitements, etc. – peut entraîner une altération de la relation soignant-soigné, une prise en charge morcelée et non individualisée. Les soins socio-esthétiques replacent le patient au cœur de sa prise en charge, l’aident à se détendre tout en l’amenant à exprimer toutes les difficultés rencontrées face à la maladie : la modification de l’image corporelle, la perte d’autonomie, l’altération de l’état cutané, le vieillissement prématuré, les difficultés relationnelles avec la famille (le conjoint et les enfants), ou le regard des autres. Basée sur le bien-être – modelages, manucure, maquillage correcteur, etc. –, cette approche favorise l’acceptation du corps abîmé et le goût de reprendre soin de soi. Elle établit aussi un contact non médical avec le patient et facilite l’émergence de difficultés non diagnostiquées, contribuant ainsi à notre travail infirmier. Ces soins se sont également intégrés dans les traitements de support, plus particulièrement en hôpital de jour pour les patients débutant le traitement chimiothérapique.

La technicité de la prise en charge peut aussi entraîner un cloisonnement des soignants qui aboutit à un manque d’échange entre les médecins, les infirmières et les aides-soignantes. Après quelques mois, les soignants prennent une part active dans l’orientation des patients susceptibles de pouvoir bénéficier d’un soin socio-esthétique. La fonction de l’aide-soignante axée sur le soin du corps se trouve valorisée. Sa parole est prise en compte, ce qui n’est pas toujours le cas dans la technicité des soins. La socio-esthéticienne est considérée comme une partenaire à part entière.

Une plus-value au travail infirmier

Les soins socio-esthétiques ont également eu un impact sur notre mode d’intervention. En effet, les infirmières des équipes mobiles de soins palliatifs ne soignent pas directement les patients mais contribuent à leur prise en charge en dispensant conseils et formation. Ce rôle peut parfois être mal perçu par les soignants directs, qui peuvent se sentir jugés. Cette pratique, basée sur le soin du corps et le bien-être, a permis de créer une nouvelle dynamique dans les liens entre les infirmières de l’équipe mobile et les soignants prenant en charge ces patientes.

Dans le cas de Mme M., nous avons pu observer plusieurs améliorations : un réinvestissement de son image corporelle par le maquillage, un apaisement et un confort à travers les modelages corporels, une diminution des sensations de fourmillements dans les mains et un confort cutané au niveau du visage. Par ailleurs, ces soins ont permis l’instauration d’un dialogue entre les membres de l’équipe soignante, lesquels ont pu verbaliser les difficultés de la prise en charge, notamment émotionnelle.

CAS DE DÉPART

Mme M., 49 ans, en échappement thérapeutique d’un cancer ovarien, est suivie dans un service d’oncologie depuis quelques mois. Elle rencontre de nombreux problèmes induits par la maladie et les traitements chimiothérapiques : déni de la réalité palliative, perte de poids, modification de l’image corporelle, perte d’autonomie pour les soins d’hygiène et difficulté à accepter la sonde naso-gastrique qui modifie son visage. Elle ressent également des fourmillements au niveau des mains.

FORMATION

→ Pour pratiquer, une socio-esthéticienne doit être diplômée par un titre reconnu par l’État et doit avoir suivi une formation complète lui permettant d’intervenir auprès de personnes fragilisées. « Après trois ans d’expérience en tant qu’esthéticienne, je me suis formée à la socio-esthétique au CODES (Cours d’Esthétique à option humanitaire et sociale). Durant huit mois, j’ai suivi la formation dispensée par des professionnels de terrain, au sein du CHRU de Tours, mêlant cours théoriques et stages pratiques dans les secteurs sanitaires, du médico-social ou du social », explique Morgane Bauvais-Ghislain.