LA PÉNIBILITÉ RECONNUE ? - L'Infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

FONCTION PUBLIQUE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Une négociation s’est ouverte dans les trois fonctions publiques. Faut-il adopter le compte pénibilité, mis en œuvre dans le secteur privé le 1er janvier ? Les infirmières, qui sont en train de sortir de la catégorie active, seront au cœur des débats.

Nathalie Pain « Une reconnaissance de la pénibilité liée au poste de travail, non à un métier »

Quel regard porte la CFDT sur la catégorie active dans la fonction publique hospitalière ?

Ce statut a ses limites, notamment parce que les infirmières sont en train d’en sortir, alors que leurs conditions de travail remplissent de nombreux critères de pénibilité : elles travaillent souvent de nuit, ont des horaires atypiques, des tâches qui impliquent une manutention des patients, etc. Plus largement, la catégorie active doit mieux répondre aux contraintes réelles du travail, qui ont évolué. L’arrêté du 12 novembre 1969, qui détermine les listes des emplois en catégorie active, mentionne des matelassiers, des garçons d’amphithéâtre… À la CFDT, nous souhaitons que soit reconnue la pénibilité réellement subie, liée au poste de travail, et non à un métier. Une infirmière qui travaille dans un service de consultation externe ne subit pas les mêmes contraintes que celle qui travaille en Ehpad.

Les négociations peuvent-elles aboutir à une transposition du compte personnel de prévention de la pénibilité, effectif en 2016 dans le privé ?

Les négociations, communes aux fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière, ont débuté l’an dernier. Elles ont été suspendues, dans l’attente de la parution des décrets sur le compte personnel de prévention de la pénibilité. Elles vont porter sur la prise en compte des dix critères de pénibilité définis par la réforme des retraites de 2010 : les manutentions manuelles, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition à des agents chimiques, au bruit, à des températures extrêmes, le travail en milieu hyperbare, le travail de nuit, alterné et répétitif. Pour chacun de ces critères ont été fixés par décrets des seuils et des durées d’exposition. Dans le privé, les employeurs doivent évaluer tous les ans l’exposition de chacun de leurs salariés. Lorsqu’un seuil de pénibilité est dépassé, un compte par points est ouvert. Il donne droit à une formation pour se réorienter vers un travail moins pénible, à une réduction du temps de travail ou à un départ anticipé en retraite. On est très loin de ce mécanisme dans la fonction publique, qui se contente d’une approche des différents risques par métier.

Peut-on envisager un abandon de la catégorie active ?

Je ne pense pas. Le nœud de la discussion portera sur la révision des critères de la catégorie active. Le ministère semble déterminé à mener cette négociation. Dans les premières discussions, il semblait vouloir rester sur une approche métier, mais les choses peuvent évoluer. Il faut aussi éclaircir le fonctionnement actuel de la catégorie active car la CNRACL(1) en a une approche restrictive : si un agent sort de la catégorie active en fin de carrière, il perd ses droits à une retraite anticipée. J’espère que nous parviendrons à un accord syndical. Les élections professionnelles sont passées, le contexte est aujourd’hui un peu plus serein.

Francis Delattre « Des problèmes de fin de carrière vont se poser »

Vous êtes l’auteur du rapport sénatorial sur la retraite des agents de catégorie active dans la fonction publique. Quel en est l’état des lieux, en particulier pour les infirmières ?

La catégorie active accorde un droit au départ anticipé à la retraite aux agents qui occupent un emploi présentant « un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles ». Ce statut fait écho à la notion de pénibilité utilisée aujourd’hui en droit du travail. Depuis une dizaine d’années, on observe, dans l’ensemble de la fonction publique, une baisse de la proportion de départs à la retraite avec le bénéfice de la catégorie active, passée de 37 % en 2004 à 27 % en 2012. C’est l’effet de la disparition de certains corps : instituteurs, fonctionnaires de la Poste, etc. La fonction publique hospitalière demeure la première concernée par la catégorie active, mais on observe aussi cette baisse : 69 % de catégorie active en 2004, 63 % en 2012. Elle va s’accélérer avec l’extinction de la catégorie active pour les infirmières. Environ 50 % d’entre elles auraient opté pour le nouveau statut de catégorie A, sédentaire.

La pénibilité est pourtant une réalité dans le métier infirmier…

Aujourd’hui, près de 84 % des agents hospitaliers classés en catégorie active sont des personnels infirmiers et paramédicaux. Ils sont en effet concernés par le travail de nuit, ont des horaires tournants, sont exposés à des substances dangereuses et, surtout, sont en contact direct avec les malades. Pour les infirmières, il est certain que des problèmes de fin de carrière vont se poser.

Pensez-vous que la catégorie active doit évoluer ?

Il faut rappeler que la prise en compte de la pénibilité est bien plus en avance dans la fonction publique que dans le privé. La mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité comblera en partie cette différence de traitement. Mais, dans le privé, le départ à la retraite ne pourra être anticipé que de deux ans tout au plus, alors que les agents en catégorie active peuvent, de leur côté, liquider leur pension cinq ans plus tôt. Le système des catégories actives comporte certains défauts, mais il fonctionne correctement, et il est beaucoup moins lourd à mettre en œuvre que le dispositif qui entrera en vigueur dans le secteur privé. La question d’une transposition du compte personnel de prévention de la pénibilité dans la fonction publique ne doit cependant pas être taboue. À terme, il faut viser la définition d’un cadre commun aux secteurs public et privé, en matière de compensation et de prévention de la pénibilité. En principe, les employeurs publics devraient déjà établir des fiches individuelles de prévention des expositions aux dix facteurs de pénibilité. Ce qui est, hélas, rarement le cas.

1- Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Lire l’article « Pas de répit pour les agents actifs », paru dans le numéro 354, daté de novembre 2014.

NATHALIE PAIN

SECRÉTAIRE FÉDÉRALE CHARGÉE DE LA SANTÉ AU TRAVAIL À LA CFDT SANTÉ SOCIAUX

→ 1987-2000 : IDE aux CH de Montmorency puis de Joigny

→ 2000-2006 : Secrétaire fédérale chargée du développement à la CFDT

FRANCIS DELATTRE

SÉNATEUR UMP DU VAL D’OISE

→ Auteur du rapport sur la retraite des agents de catégorie active dans la fonction publique, publié en juillet 2014

→ Rapporteur de la mission santé

→ Maire de Franconville-la-Garenne

POINTS CLÉS

→ La catégorie active existe dans la fonction publique depuis le XIXe siècle. Elle encadre des emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles justifiant un départ à la retraite avancé de cinq ans par rapport à la catégorie sédentaire. La réforme du statut infirmier en 2010 prévoit le passage automatique en catégorie A, donc sédentaire, des nouvelles infirmières, et un droit d’option pour les infirmières en poste entre la catégorie A ou le maintien en catégorie active.

→ La réforme des retraites de 2010 a arrêté dix critères de pénibilité. Mais elle a surtout repoussé l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 55 à 57 ans pour la catégorie active, et de 60 à 62 ans pour la catégorie sédentaire. La limite d’âge, à partir de laquelle le fonctionnaire part d’office à la retraite, est portée à 62 ans pour la catégorie active et à 67 ans pour la catégorie sédentaire.

→ Le compte pénibilité a été créé par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite. Pour les salariés du secteur privé exposés à des facteurs de pénibilité, il ouvre droit, notamment, à une retraite anticipée. Quatre facteurs sont entrés en vigueur en janvier 2015 (le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif, les activités exercées en milieu hyperbare) et six autres le seront en janvier 2016.