QUATRE ANS APRÈS, L’ACCOMPLISSEMENT - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

RECHERCHE INFIRMIÈRE

ACTUALITÉS

À LA UNE

MARIE-CAPUCINE DISS  

Les premiers projets sélectionnés par le ministère arrivent à leur terme. Les trois années initialement prévues pour la réalisation de ces travaux n’ont pas été de trop.

Avec 104 projets soutenus et 10 millions d’euros engagés par le ministère, la recherche paramédicale, qui fête ses quatre ans d’existence, a fait ses preuves. Les établissements se sont dotés d’instances ayant pour but de favoriser et d’accompagner la recherche. De leur côté, le jury de sélection et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) soulignent la qualité croissante des projets qui leur sont soumis (voir encadré). Pour le moment, le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) ne fait l’objet d’aucune centralisation permettant de connaître la progression des recherches ; le nouveau mode d’attribution des financements de la DGOS, délivrés en fonction de l’avancement des travaux, devrait y remédier.

Arrivés à maturité, une dizaine de projets, sélectionnés en 2010 ou en 2011, sont en cours de rédaction. Une recherche fait exception : parfaitement achevée et intégrée à une thèse en sciences et ingénierie soutenue en 2012 à l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), elle porte sur l’étude de la flore bactérienne dans les plaies tumorales du sein et sur l’incidence des biofilms. Isabelle Fromantin, responsable de la consultation infirmière plaies et cicatrisation à l’Institut Curie (Paris 5e) et chercheuse chevronnée, a avancé à un rythme plus rapide que ses consœurs néophytes. L’étape de la rédaction en vue d’une publication scientifique, qui devrait être celle de la libération, n’est pas forcément la plus aisée ni la plus courte. Bruno Garrigue, Iade cadre de santé au Samu-Smur du CH sud-francilien (Corbeil-Essonnes), a mené sans encombre sa recherche portant sur l’évaluation des concentrations et de l’homogénéité des principes actifs dans une seringue électrique. L’écriture a été plus longue : « L’étude était relativement simple à mener, essentiellement en laboratoire, sans demande d’autorisation ; nous n’avons pas rencontré de difficulté technique majeure. Mais la rédaction est une phase délicate, difficile et chronophage. L’article a fait d’incessants va-et-vient pour corrections. »

Embûches

Avant de parvenir à cette ultime étape, le chemin peut être long et semé d’embûches. Même appuyés par des professionnels de la recherche clinique, les porteurs de projets se sont frottés à un monde et à une logique qu’ils ont dû apprivoiser peu à peu. Valérie Berger, cadre supérieure de santé et responsable de la mission Recherche paramédicale au CHU de Bordeaux (Gironde), a elle-même porté un projet. Sélectionnée en 2010, son étude porte sur la validation d’une échelle d’évaluation du risque de constipation des patients hospitalisés. « Après la sélection de mon projet, j’ai dû réécrire mon protocole de recherche dans son intégralité. Il devait correspondre au support fourni par la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation (DRCI). À présent, pour les projets que j’accompagne, nous nous inspirons directement des cadres édictés par la DRCI. » Pour Pascale Beloni, cadre supérieure au CHU de Limoges (Haute-Vienne) et responsable de la mission transversale Recherche paramédicale-formation, « entre l’écriture du protocole et la réalité des choses, il peut y avoir une marge ». Un projet qu’elle a accompagné, sélectionné en 2010 et portant sur l’usage de la musicothérapie pour réduire la douleur lors de la réfection de pansements chez les patients artéritiques de stade 4, a dû évoluer en cours de route : « Nous nous sommes aperçus que nous avions choisi des critères d’inclusion beaucoup trop restrictifs. Il était possible d’inclure des patients relevant d’autres chirurgies que celle que nous avions initialement envisagée. Nous avons dû revoir le protocole et faire des amendements, ce qui a rallongé la réalisation du projet. » Les inclusions de cette recherche sont encore en cours. Si aucune limite de temps n’a été véritablement fixée aux premiers porteurs de projets, ceux-ci ont dû apprendre à s’organiser pour éviter d’en perdre trop. Bien que des postes d’attaché de recherche clinique aient été budgétisés pour certaines recherches, aucun temps spécifique n’a été dégagé pour les investigateurs principaux. À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, un appui leur a été apporté via les unités de recherche clinique, assurant le suivi administratif. Après la formalisation des documents nécessaires, la phase de demande d’autorisations, auprès d’instances comme la Cnil(1) ou les comités de protection des patients, peut exiger de longs délais d’attente.

Arrive ensuite le moment de la rencontre avec les patients. « Parfois, quand on arrive dans le service, le patient est là, mais ce n’est pas le moment, témoigne Valérie Berger. Ou alors la prise en charge évolue, par exemple avec le changement de médecin et de patientèle. On parvient à inclure moins de patients que ce que l’on avait prévu initialement et il faut parfois les chercher dans d’autres centres. » C’est ce qui est arrivé à Laurence Fontaine, infirmière au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes (Hauts-de-Seine). Lors de l’inclusion de son étude sur le sujet « La prise en charge de la fin de vie par les équipes soignantes : que pourrait-on faire de moins, que devrait-on faire de plus ? », elle a dû associer un cinquième établissement. Plus le nombre de patients à inclure est important et plus la recherche s’avère ardue. De même, la participation d’autres établissements, si elle permet de bénéficier d’une base scientifique plus solide, complexifie le travail de recherche. « Nous avons été confrontés à ce problème pour l’un de nos projets, témoigne Pascale Beloni. Le centre que nous avions associé à notre recherche était moins réactif que ce à quoi nous nous étions attendus. Cela nous a fait prendre du retard. Nous savons à présent qu’il faut à l’origine avoir des contacts très formalisés avec ces centres, leur montrer le protocole et nous assurer qu’ils sont capables de reproduire notre recherche à l’identique. »

Imprévus

Les retards peuvent également provenir de problèmes techniques ou matériels. Bruno Garrigue, lors d’un second projet portant sur la prévention de l’hypothermie chez les victimes de traumatisme (PHRIP 2013), a été confronté à la disparition du marché d’un thermomètre, après le décès de son fabricant. Plusieurs mois ont été nécessaires pour trouver un équipement équivalent, indispensable à la prise de température des patients dans les conditions prévues par la recherche.

Autre imprévu : une conclusion de la recherche non conforme aux propositions de départ. C’est le cas de l’étude Linipoche, menée par Charles Lamy à Limoges, portant sur le vécu douloureux de l’enfant de moins de 3 ans lors du retrait de la poche collectrice d’urine aux urgences (PHRIP 2011).

En finir avec les a priori

Une expérience fondatrice, pour Pascale Beloni : « Les infirmières, qui em?ployaient du liniment oléo-calcaire pour réduire la douleur des patients, se demandaient pourquoi on menait cette étude. Pour elles, le résultat était connu d’avance. Puis nous sommes parvenus à la conclusion, scientifiquement prouvée, que son usage était sans effet sur la douleur. » Après un premier moment de déception, l’équipe s’est aperçue de l’intérêt de remettre en cause ses a priori et de se questionner. Sans oublier que Linipoche a permis de montrer que le retrait de la poche collectrice d’urine était douloureux, ce qu’aucune étude n’avait prouvé jusque-là. L’équipe réunie autour de Charles Lamy est déjà en train de plancher sur un nouveau projet de recherche pour trouver une réponse appropriée à cette douleur.

Les projets de recherche permettent d’aiguiser l’esprit scientifique au sein des services, d’initier des questionnements collectifs. « À présent, tout le monde ici rédige des interventions pour le congrès Urgences », s’amuse Bruno Garrigue. Le cadre de santé du CH sud-francilien se félicite d’avoir fait intégrer un infirmier à l’unité de recherche clinique qui s’est montée dans son établissement : « Parvenir au bout de sa recherche apporte une légitimité. » Par leur simple réalisation, certains projets de recherche ont, de fait, imposé une pratique. Ainsi, à l’hôpital Robert-Debré (Paris 19e), l’expérimentation d’une consultation infirmière d’hypnose en vue de réduire l’angoisse des enfants avant une opération a d’elle-même imposé cet entretien infirmier. Mis en place à l’occasion de la recherche, il a été pérennisé, alors que les conclusions du travail sont en cours de rédaction.

1- Commission nationale de l’informatique et des libertés.

BUDGET

Le ministère déploie les grands moyens

En 2014, la promesse d’engagement budgétaire du ministère de la Santé pour la recherche paramédicale a été multipliée par deux par rapport à 2013. Avec un financement de 4,4 millions d’euros, le PHRIP atteint une somme record et quatre fois supérieure au financement régulièrement octroyé lors des débuts du programme de recherche. Cette hausse représente une véritable reconnaissance de la recherche paramédicale, saluée par la DGOS pour « sa valeur ajoutée par rapport aux autres appels d’offres du ministère : la proximité avec les patients ». Cette année, 28 projets ont été primés, un chiffre sensiblement supérieur à ceux des années précédentes. Avec 13 études sélectionnées, un nombre un peu inférieur à celui de l’an dernier et légèrement supérieur à celui de 2012, la recherche infirmière avance avec constance.

Pour en savoir plus sur les projets infirmiers sélectionnés en 2014, lire notre article sur Espaceinfirmier.fr