Le détachement - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

Les fonctionnaires peuvent exercer temporairement dans une autre fonction publique que la leur. Dans certains cas, cela mène à une reconversion en douceur. Quelques conseils pour utiliser le dispositif à bon escient.

Le détachement permet à un fonctionnaire de quitter momentanément sa fonction publique (hospitalière, territoriale ou d’État) pour occuper un emploi de niveau similaire (à grade et échelon équivalents) dans une autre fonction publique. L’agent détaché conserve les droits à l’avancement et à la retraite acquis dans son corps d’origine. « Le plus souvent, les infirmières de la fonction publique hospitalière profitent du détachement pour intégrer l’éducation nationale, le secteur de la protection maternelle et infantile ou les conseils généraux », observe Éric Audouy, vice-président de la Coordination nationale infirmière (CNI).

Horizons variés

• Les lieux de détachement possibles sont listés à l’article 13 du décret 88-976 du 13 octobre 1988. L’infirmière se dirigera généralement vers un emploi permanent rattaché à l’État (par exemple infirmière scolaire), à une collectivité territoriale (dans un service de santé et de prévention au travail) ou à un établissement public (directrice adjointe de crèche).

• Le détachement est accordé de plein droit pour la préparation d’un concours, l’accomplissement d’un stage ou d’une période de scolarité donnant accès à un emploi public. « Les infirmières en profitent généralement pour préparer ou intégrer l’école des cadres ou effectuer leur stage », note Me Sophie Herren, avocate en droit de la fonction publique.

• Les agents peuvent être détachés à l’étranger, par exemple auprès d’une organisation internationale intergouvernementale afin de remplir une mission d’intérêt public.

Trois mois de préavis

• La première étape est de dénicher un emploi au sein d’une autre fonction publique. Il peut ensuite envoyer sa demande de détachement en recommandé avec accusé de réception à son directeur d’établissement (voir lettre). Limité à six mois, un détachement de courte durée ne donne pas lieu au remplacement du fonctionnaire. Celui de longue durée est quant à lui limité à cinq ans, renouvelable une fois, et le fonctionnaire est généralement remplacé.

• Le dispositif est enclenché sur demande de l’intéressé. Un refus ne peut pas lui être opposé mais la direction peut différer le détachement pour nécessités de service, par exemple le temps nécessaire à l’organisation du remplacement, dans la limite de trois mois. Un délai « plutôt bien respecté en pratique », selon les retours de la CNI.

Rester vigilant

• Établissement d’origine et structure d’accueil définissent ensuite les modalités. L’agent doit se montrer vigilant et « demander à ce que lui soient communiqués les arrêtés de détachement et de nomination le concernant », met en garde Sophie Herren. L’intérêt ? S’assurer que son placement dans la structure d’accueil relève bien d’un détachement, et non d’une « mise à disposition » aux conditions moins avantageuses. Me Herren évoque le cas jurisprudentiel d’une infirmière hospitalière devenue directrice adjointe d’une crèche par le biais d’une mise à disposition, alors qu’elle pensait bénéficier d’un détachement. « Cette situation ne fait pas l’objet d’un contentieux abondant », nuance l’avocate. Mieux vaut toutefois se prémunir contre ce genre de problème. L’intéressé doit prendre connaissance de sa situation au plus vite afin de pouvoir contester l’éventuelle convention de mise à disposition passée entre son établissement d’origine et sa structure d’accueil.

• À noter : en 2010, la mise à disposition a pu concerner, de façon transitoire, les infirmières de la fonction publique hospitalière soudainement reclassées en catégorie A et alors en détachement dans un corps d’infirmiers de catégorie B en attente du même reclassement.

Qui va à la chasse…

• Le fonctionnaire détaché est soumis aux droits et obligations de son emploi d’accueil et en perçoit la rémunération. Il est placé sous l’autorité des supérieurs hiérarchiques de sa structure d’accueil. L’avancement dont il bénéficie une fois détaché ne modifie pas sa situation dans son corps d’origine. Trois mois avant la fin de sa période de détachement, il doit être réintégré dans sa fonction publique d’origine. Celle-ci devra tenir compte de son avancement éventuel dans les échelons, voire de son nouveau grade.

• Seul hic, après un détachement de longue durée, cette réintégration se heurte souvent à l’absence de poste vacant. La durée du détachement de l’agent ne coïncide pas toujours avec celle de son remplacement. « Le fonctionnaire est titulaire d’un grade et non d’un poste, rappelle Sophie Herren. Il n’est donc pas certain de pouvoir réinvestir la fonction qu’il a quittée. » L’agent bénéficie en revanche d’une priorité à l’embauche sur les postes vacants correspondant à son grade et doit s’en voir proposer trois dans un délai raisonnable. Mais « les postes proposés sont parfois moins intéressants que celui d’origine. Ils peuvent être aussi plus éloignés de son domicile », note Sophie Herren.

• Le fonctionnaire dans l’attente d’une proposition jugée acceptable est alors mis en disponibilité d’office. Le versement d’une rémunération est loin d’être systématique mais il peut percevoir une allocation chômage, après avoir demandé à son établissement de lui fournir les documents nécessaires.

Réintégration difficile

• À la suite d’un déménagement, Valérie, infirmière de nuit à l’hôpital, envisage une mutation ou un détachement. Elle passe quelques entretiens dans les environs de son domicile, mais ne trouve pas le soutien escompté auprès de sa direction pour appuyer sa candidature. Valérie n’obtiendra pas le poste et optera finalement pour une mise en disponibilité pour convenance personnelle, afin de développer une activité libérale. Pour elle, la situation est claire : « L’hôpital ne voyait pas mon projet de mobilité d’un bon œil. »

• Sorti des cas « classiques » (voir interview), le détachement semble déplaire aux hôpitaux. La jurisprudence témoigne d’une réticence à réintégrer leurs agents sortant d’un détachement de longue durée. À titre d’exemple, le 17 novembre 2008, le Conseil d’État a condamné un centre hospitalier à indemniser une infirmière placée en disponibilité d’office à l’issue de son détachement. Un poste correspondant à son grade s’était libéré mais l’hôpital s’était abstenu de le lui proposer. « Dans chacune de ses décisions, le Conseil d’État se voit remettre les hôpitaux devant leur obligation ferme de proposer un poste aux agents sortis du détachement », note Sophie Herren.

Prévoir un plan de carrière

• De son côté, à l’issue des cinq ans du détachement « longue durée », l’organisme d’accueil doit proposer un emploi à l’agent détaché. Mais là encore, en pratique, la situation est parfois loin d’être idyllique. « Le poste proposé n’est pas systématiquement celui occupé par l’agent durant son détachement, il peut être en décalage avec le projet professionnel de l’intéressé, développe Sophie Herren. En outre, ce n’est pas obligatoirement un poste permanent. »

• Avant d’envisager son détachement, mieux vaut donc se construire un plan de carrière pour sécuriser son avenir : négociation d’une embauche à terme, reconversion, démission de la fonction publique… Ou tout du moins évaluer le risque à sa juste valeur.

La lettre

Objet : Demande de détachement auprès de la fonction publique territoriale (ou d’État)

Monsieur (Madame) le directeur (trice) (ou le chef de service),

Conformément à l’article 51 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière et à l’article 13 du décret n° 88-976 du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers, je sollicite de votre part mon détachement (de courte ou longue durée) auprès des services de la fonction publique territoriale (ou d’État) de… (préciser le nom de l’établissement et dans quelle administration territoriale ou d’État vous souhaitez travailler).

En effet, je (exposer brièvement le motif du détachement). Ma demande de détachement me permettrait de réaliser ce projet.

Ainsi, je vous demande de bien vouloir m’accorder un détachement de (courte ou longue durée) à compter du… (date à partir de laquelle vous souhaitez ne plus occuper votre emploi) et jusqu’au (préciser la date à laquelle vous souhaitez réintégrer votre poste).

Espérant que vous comprendrez les motifs de ma demande et vous remerciant par avance pour votre retour, je vous prie d’agréer, Monsieur (Madame) le directeur (trice) (ou le chef de service), l’expression de ma considération distinguée.

Signature

SAVOIR PLUS

→ 3 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

→ Loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

→ Décret n° 88-976 du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers, à l’intégration et à certaines modalités de mise à disposition.

→ Loi 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.

INTERVIEW

SOPHIE HERREN AVOCATE SPÉCIALISTE DU DROIT PUBLIC

Le détachement est-il un dispositif intéressant pour un fonctionnaire ?

• Tout dépend du projet. Le dispositif est un bon tremplin vers une évolution professionnelle en dehors de sa fonction publique d’origine. Il est bien adapté, par exemple, aux infirmières de la fonction publique hospitalière en détachement qui occupent un emploi de directrice adjointe en crèche dans l’optique d’une reconversion. Les cas d’intégration de l’agent par sa structure d’accueil ne sont pas rares pour ce type d’emploi ou pour les infirmières scolaires. Le détachement pour suivre une formation ou préparer un concours, comme celui de cadre de santé, fonctionne aussi très bien. Mais lorsqu’on sort de ces sentiers balisés, les choses se compliquent, et c’est très souvent au stade de la réintégration que le dispositif pose problème. En dehors des cas de formation, la réintégration doit être envisagée comme une bouée de secours en cas d’accident de parcours.

La loi de 2009 sur la mobilité et les parcours professionnels dans la fonction publique n’a-t-elle pas sécurisé le dispositif ?

• La loi 2009-972 du 3 août 2009 a décloisonné les trois fonctions publiques (hospitalière, territoriale, d’État). Elle a officialisé, généralisé et sécurisé la mobilité d’une fonction publique à l’autre, mais n’a pas suffisamment organisé le retour de l’agent dans sa structure. La vision de la loi sur ce point est trop étroite et le nombre d’affaires portées devant le Conseil d’État en témoigne. L’esprit de la loi de 2009 est plutôt celui d’une mobilité tremplin, dans le sens d’une sortie définitive de l’agent de sa fonction publique.

Quelles sont les conséquences d’une intégration de l’agent dans sa structure d’accueil à l’issue de sa période de détachement ? Doit-il effectuer des démarches particulières ?

• Non, aucune ! L’agent intégré conserve son ancienneté et les droits qu’il avait acquis dans sa fonction publique d’origine. En pratique, il s’agit d’un simple transfert administratif de dossier.