Fais ce qu’il te plaie - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

CICATRISATION

CARRIÈRE

PARCOURS

SANDRA MIGNOT  

Les infirmières en plaies et cicatrisation jouissent d’une grande autonomie et d’une forte reconnaissance dans les services. Découverte d’une fonction en plein boom.

C’est la quatrième plaie, là, ça fait beaucoup pour une seule personne, s’inquiète Myriam Meller, le casque sur les oreilles. Il faudrait faire un dosage de l’albuminémie et voir si madame n’est pas dénutrie », recommande-t-elle, face à deux écrans d’ordinateur. Sur l’un est ouvert le dossier de la patiente, que l’infirmière complète au fil de la téléconsultation en localisant les lésions, leur aspect, leur origine, leur sensibilité, etc. L’autre lui renvoie en direct les images desdites lésions, filmées grâce à une tablette par l’infirmière libérale qui a pour l’occasion donné rendez-vous à sa patiente dans une maison médicale de Normandie, chez son médecin traitant. Myriam Meller est l’une de ces IDE hospitalières qui ont choisi de concentrer leur activité sur la prise en charge des plaies et leur cicatrisation. Outre la télémédecine, toujours en voie d’expérimentation en France, le secteur offre de multiples opportunités pour se former et développer des compétences. Cette thématique en plein essor se développe au rythme du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des lésions chroniques de type escarre, ulcère ou pied diabétique. Ainsi, une enquête réalisée par la Caisse nationale d’assurance maladie a permis d’évaluer à près de 670 000 le nombre de patients concernés en 2012. Chiffre auquel il convient d’ajouter les plaies cancéreuses, chirurgicales ou traumatiques.

« Je me suis intéressé aux plaies dès mes stages, alors que j’étais encore à l’Ifsi », signale Jonathan Carlen, IDE, qui a exercé trois ans en unité de long séjour, puis dans l’unité médicochirurgicale de plaies et cicatrisation du CHRU de Montpellier (Hérault). « Notre formation initiale ne nous y prépare pas et même une fois diplômés, nous sommes assez démunis. Pourtant, les médecins nous font toute confiance sur ce point. » Il faut dire qu’ils ne sont pas davantage formés à la prise en charge des plaies lors de leur études… Emmanuelle Labbé, qui a été IDE en soins intensifs de neurochirurgie, puis en réanimation dans le même établissement, a été confrontée à un problème légèrement différent, mais à un besoin comparable : « Je travaille dans des services où la priorité est de traiter d’abord les fractures et les atteintes des organes vitaux, avant de se préoccuper d’une importante dermabrasion, porte d’entrée potentielle d’une infection, ou de la prévention de l’apparition d’escarres secondaires à l’immobilisation de nos patients. »

ENGAGEMENT VOLONTAIRE

Devant l’absence de formation ou de savoir-faire, le premier réflexe est généralement de se documenter ou de rechercher l’expertise d’un confrère. « À la base, c’était un peu notre dada, résument Christine Herbinier et Claude Cotto, deux infirmières de l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), qui ont commencé à s’intéresser à la question en 2007. Dans notre établissement, nous avons découvert que chacun soignait les plaies à sa façon – qu’elles soient consécutives au traitement du cancer ou à la maladie elle-même. Mais que, sans protocole harmonisé, il était impossible de faire un suivi correct et efficace. » Les deux professionnelles décident donc de constituer un collectif avec un chirurgien plasticien et une secrétaire. « Nous avons ensuite intégré le coordinateur de chirurgie générale, une stomathérapeute, la pharmacienne et d’autres infirmières, afin de mutualiser les connaissances acquises via nos recherches et de réfléchir aux moyens de les diffuser dans les services. » Le tout, en marge du travail et des responsabilités quotidiennes de chacun.

Car bien souvent, la « fonction » de référente dans un service, c’est cela : une professionnelle qui décide de s’impliquer dans l’amélioration de la prise en charge des plaies dans son service, sans formation préalable ni reconnaissance officielle de son engagement. « Beaucoup d’infirmières vont commencer à s’intéresser à la question d’elles-mêmes et demandent ensuite à se former », explique Sylvie Palmier, infirmière référente en plaies et cicatrisation depuis quatorze ans au CHRU de Montpellier. Dans cet établissement précurseur, deux infirmières référentes sont rattachées directement à la direction des soins pour intervenir dans tous les services. Elles y exercent une fonction clinique et proposent des consultations de deuxième ligne à la demande des professionnels. Mais au-delà de l’expertise clinique utile en consultation, le rôle des infirmières en plaies et cicatrisation consiste également à diffuser des bonnes pratiques, former des collègues, rédiger des protocoles, animer des réseaux et la recherche.

Au CHU de Bordeaux (Gironde), une équipe mobile PC a été mise en place en septembre 2013. Elle est constituée de trois IDE, rattachées chacune à l’un des sites de l’établissement, qui se déplacent à la demande des services. « Nous avons également construit des outils disponibles sur l’intranet, présentant l’ensemble des dispositifs médicaux qui peuvent être commandés, les règles d’utilisation et les contre-indications de chacun d’eux, explique Isabelle Barcos, cadre de santé de l’équipe mobile. Nous avons aussi fait tout un travail pédagogique sur les matelas à air afin que les équipes parviennent à les utiliser de façon pertinente. Nous sommes en train de travailler de la même manière sur l’usage de la photo au lit du patient. »

PROTOCOLES ET FICHES TECHNIQUES

Depuis la création du collectif de Gustave-Roussy, Christine Herbier, Claude Otto et leurs collègues ont déjà rédigé une dizaine de protocoles, des fiches techniques de soins et un guide des pansements. Les infirmières plaies et cicatrisation sont en effet souvent les interlocutrices uniques des industriels dans les services. « Il s’agit de centraliser l’évaluation des dispositifs et ce n’est pas possible si chaque labo dépose ses échantillons dans les services, comme c’était le cas avant que nous nous saisissions du sujet, explique Claude Cotto. Nous avons donc fait passer le mot dans les services et à présent, les représentants des labos passent par nous. Ils nous présentent leurs produits et nous voyons s’il est utile de lancer une expérimentation, voire de les inclure dans notre arsenal. Le tout en partenariat avec la pharmacie. »

Car l’exercice en plaies et cicatrisation est éminemment multidisciplinaire. Le traitement d’une plaie requiert des notions de nutrition, de pathologie vasculaire, de diabétologie, de neurophysiologie, de dermatologie, etc. En conséquence de quoi, les IDE sont en contact permanent avec des médecins spécialistes et autres professionnels de santé. « Dans notre unité spécialisée, outre les quatre IDE expérimentées et moi-même, nous disposons également de l’apport de médecins (angiologue, infectiologue, interniste, dermatologue, nutritionniste…) et de celui de la pharmacienne, précise Perle Mouret, cadre de l’unité de l’unité plaies et cicatrisation ambulatoire de l’hôpital de Denain (Nord). Diabétologues, chirurgiens et diététiciennes peuvent également être sollicités au besoin. Cela se passe très bien, dans une grande confiance. »

OUVERTURE VERS LES LIBÉRAUX

Au-delà d’une collaboration entre professionnels hospitaliers, ce travail implique également une ouverture en direction des libéraux : les médecins généralistes et les Idel sont à l’origine des demandes de téléconsultation ou des orientations vers les unités hospitalières de plaies et cicatrisation. « Sans l’infirmière libérale, nous ne pouvons pas obtenir une guérison complète de la plaie, poursuit Perle Mouret. La collaboration ville-hôpital est très importante. » La confiance pourra se nouer via des soirées de formation, comme celles que l’unité de Denain organise, ou simplement par la qualité des échanges au quotidien : « J’ai découvert le travail des libérales, que je ne connaissais absolument pas, lorsque j’étais en dermatologie, remarque Myriam Meller. J’ai développé un grand respect pour ce qu’elles font. » Pour toutes ces professionnelles, la fonction plaies et cicatrisation est un gros investissement personnel. Elles ne comptent pas toujours leurs heures. « Il m’arrive de commencer en même temps que les Idel, que je ne dois surtout pas mettre en retard dans leur tournée, dès 8 heures du matin, remarque Myriam Meller. Et j’ai souvent des consultations entre midi et 14 heures, qui me font oublier le déjeuner. » Même en unité hospitalière, « souvent, les IDE ne savent à quelle heure elles prennent leur service que la veille, car nous avons des patients en urgence », note Perle Mouret. Aux consultations s’ajoute le travail sur les transmissions, les dossiers patients, les échanges avec les autres professionnels impliqués – voire la formation individuelle de l’infirmière, lorsque celle-ci est en cours de DU. « Mais je le fais sans problème, parce que cette expérimentation de la téléconsultation est un défi. Je souhaite vraiment que le dispositif fasse ses preuves, explique Myriam Meller. Et puis parvenir à aider les collègues libérales et voir le sourire du patient lorsqu’enfin, on trouve le moyen de soigner sa plaie, c’est une telle satisfaction… »

RELATION AVEC LES PATIENTS

Le relationnel, s’il n’est évidemment pas comparable à celui que connaît l’infirmière libérale, semble plus satisfaisant que celui que les professionnelles peinent à établir dans le service. « Il se crée une relation différente avec le patient, qui attend quelque chose de très précis de nous, rapporte Christine Jousselin, IDE dans l’équipe mobile de Bordeaux. On peut s’asseoir et discuter avec lui de sa plaie ou d’autre chose. Nous gérons notre temps, donc nous pouvons nous le permettre. » Pour les besoins du diagnostic, le dialogue est nécessaire et personnalise la relation : « Pour rechercher l’étiologie de la plaie, nous devons interroger le patient sur son état de santé global, son mode de vie, ses consommations, les médicaments qu’il prend et les autres affections pour lesquelles il est traité », remarque Myriam Meller. À Paimpol (Côtes-d’Armor), les IDE du service plaies chroniques se déplacent même une journée par semaine au domicile des patients et dans les Ehpad, en lien avec l’Idel ou le médecin traitant. « C’est très riche, nous voyons dans quelles conditions vivent les gens, cela crée un autre rapport, alors que dans le service, nous n’avons pas forcément le temps de discuter avec le patient, remarque Dominique Toullelan, IDE stomathérapeute.

PAS DE FICHE DE POSTE

Bien sûr, le tableau n’est pas parfaitement idyllique. Les postes spécialisés et transversaux sont rares. « J’ai recherché en endocrino (rapport au pied diabétique), en gériatrie (rapport aux escarres), en médecine vasculaire, en dermatologie, avant qu’un poste transversal d’IDE référente rattaché à la direction des soins s’ouvre dans mon CHRU », confirme Cécile Peignier, qui travaille en collaboration avec Sylvie Palmier à Montpellier. Beaucoup des infirmières formées et titulaires du DU demeurent dans leur service d’origine, où elles pourront développer leurs compétences en plus de leur activité quotidienne, sans que cela soit spécifiquement inclus dans leur fiche de poste. Ainsi, à Montpellier, Emmanuelle Labbé a pu monter un petit groupe de travail dans son service pour travailler sur des fiches techniques et des protocoles de soins. « Maintenant que je me suis formée, j’ai envie de transmettre, résume-t-elle. Je suis bien identifiée par les collègues IDE-AS et par les médecins réanimateurs, qui me sollicitent régulièrement. » Dans cet établissement, les titulaires du DU sont également régulièrement réunies par l’équipe référente en plaies et cicatrisation. « Trois à quatre fois par an, nous pouvons échanger sur nos pratiques dans les services, résume Stéphanie Vernet, IDE au service des grands brûlés, qui a achevé son DU en 2008. Nous avons aussi l’occasion de participer aux formations en Ifsi avec les infirmières référentes. »

Autre bémol : l’absence de reconnaissance institutionnelle de la fonction. « Il n’y a qu’à voir la difficulté que l’on a à nous qualifier : référente, experte, on commence même à parler de consultante pour nos postes », évoque, dubitative, Cécile Peignier. En tout cas, aucun de ces qualificatifs n’a d’impact sur leur rémunération. Ni le DU, ni le rattachement auprès de la direction des soins ne valent augmentation. « Au contraire, puisque nous n’avons plus d’heures supplémentaires ni de week-end », poursuit l’infirmière montpelliéraine. Seuls les établissements privés à but non lucratif de la fédération Unicancer ont inclus dans leur convention trois grades d’expertise dont peuvent bénéficier les IDE. « Comme je suis titulaire d’une thèse, une “case” qui n’existe pas dans la convention, mon employeur m’a attribué une rémunération de cadre, ce que je ne souhaite pas devenir », remarque Isabelle Fromantin, responsable de la consultation à l’Institut Curie et vice-présidente de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC).

Les infirmières en plaies et cicatrisation se cherchent donc encore un statut. Reconnues par leurs pairs et par les patients, passionnées par leur mission au quotidien, elles hésitent à se fédérer, même si les nombreux congrès locaux et le colloque annuel de la SFFPC réunissent une majorité d’entre elles. Un combat qui reste à mener, au côté peut-être d’autres infirmières expertes…

FORMATION

LE DU, PREUVE D’EXPERTISE

« Si l’on veut être perçue comme experte, il est indispensable de se former, d’après Christine Herbinier, IDE à l’Institut Gustave-Roussy. Il faut apprendre les techniques de détersion, les spécificités des pansements, l’épidémiologie, la prise en charge globale du patient. » Le diplôme universitaire (DU) sera exigé pour un poste en consultation, téléconsultation ou unité spécialisée. « C’est comme un permis de conduire, résume Isabelle Fromantin, responsable de la consultation infirmière plaies et cicatrisation à l’Institut Curie. Cela donne une base de connaissances mais c’est ce que chacun en fait qui confère la compétence. » Certaines équipes recrutent sans DU, mais demandent à l’infirmière de se former rapidement. « Lors de ma première année auprès de Telap (réseau de télémédecine appliquée aux plaies), j’ai passé le DU, explique Myriam Meller, qui avait déjà cinq ans d’expérience en dermatologie. C’était beaucoup de travail, six mois de ma vie entre parenthèses, trois jours par mois à Paris, les soirs et les week-ends à bosser. Mais c’était indispensable et le diplôme m’a donné confiance en moi. » Il existe une quinzaine de DU plaies et cicatrisation en France. Les IDE y côtoient médecins et autres professionnels de santé. Certains sont davantage orientés vers les plaies vasculaires (lymphologie) ou chroniques, d’autres comportent un volet prévention plus développé… Outre le travail personnel, ils proposent de 80 à 120 heures de formation réparties sur un semestre, deux à trois jours par mois – les plus longs incluant des stages d’observation. Les cadres recommandent les DU permettant de rédiger un mémoire et ceux qui sont sanctionnés par un examen final. Celui-ci inclut un QCM, la présentation d’un cas clinique et une question rédactionnelle. Cependant, le DU ne permet aucune valorisation statutaire. « On peut se demander si un master en pratiques avancées ne serait pas aussi utile pour une IDE qui aurait déjà acquis une certaine expertise pratique », suggère Isabelle Fromantin.

JURIDIQUE

Compétences précises et large autonomie

Le Code de la santé publique (articles R. 4311-1 à R. 4311-5) définit comme relevant du rôle propre infirmier : la prévention et le soin des escarres, le soin et la surveillance de l’évolution des ulcères cutanés, la réalisation, la surveillance et le renouvellement de certains pansements. Depuis 2007, l’IDE est également autorisée à prescrire différents dispositifs médicaux (notamment pansements, matelas ou surmatelas d’aide à la prévention des escarres). Elle peut aussi renouveler « à l’identique » de la prescription médicale une ordonnance de bas de contention. « Cela nous confère une grande autonomie, au moins dans le domaine des plaies chroniques », souligne Isabelle Fromantin. Même si, à l’hôpital, le rôle des infirmières expertes ou référentes en plaies et cicatrisation peut aller au-delà, dès lors que leurs recommandations sont validées par un médecin.

SAVOIR PLUS

Un témoignage :

→ Une plaie vivante. Une infirmière experte en plaies et cicatrisation raconte, I. Fromantin, Fondation littéraire Fleur de lys, Laval, Québec (édition révisée : 2010).

Deux sites web pour s’initier :

→ www.sffpc.org (QCM, cas cliniques et forum où les professionnels s’échangent conseils techniques et expériences de soin).

→ www.escarre-perse.com (qui propose notamment une formation gratuite en e-learning).

→ www.ulcere-de-jambe.com

Deux revues spécialisées

→ Wounds International (Schofield Publishing).

→ Le Journal des plaies et cicatrisation (le journal de la SFFPC, Éd. MF).