« LE HÉROS, C’EST TOI », LE BLOC AU CŒUR DU JEU

Mélanie Vilain est infirmière au CHU de Rennes. Pour elle, la réaction du petit Owen n’est pas inhabituelle. Elle lui tend une tablette numérique en lui demandant si, par hasard, il aurait envie de jouer… Owen se laisse tenter. Mélanie lance le jeu Le Héros, c’est toi. L’enfant doit d’abord créer un personnage à son effigie. L’avatar se retrouve tout de suite dans une chambre qui ressemble à celle d’Owen. « On fait la course ? propose l’infirmière. Toi, tu appuies le plus de fois possible sur la pompe sur l’image et moi, sur mon écran, je vais essayer de faire mieux que toi. » Pendant qu’Owen et son double virtuel s’évertuent à gonfler un ballon et à marquer des points, un tensiomètre serre le bras du petit garçon, qui ne s’aperçoit de rien. « Sans la tablette, je crois que je n’aurais pas réussi à lui prendre la tension », glisse la professionnelle. La première manche est gagnée.

Depuis le mois d’avril, quatorze tablettes accompagnent le travail des soignants du service de chirurgie pédiatrique ambulatoire du CHU de Rennes grâce à la détermination des P’tits Doudous de l’hôpital Sud. Depuis 2011, cette association de médecins et infirmières anesthésistes distribue des doudous en salle de réveil aux enfants qui viennent d’être opérés. Les peluches, achetées au fabricant Moulin Roty, sont financées par la revente à un ferrailleur des fils de bistouris électriques et des lames de laryngoscope. « Tous les blocs du CHU s’y sont mis et même le service informatique, qui nous donne les câbles dont il n’a pas besoin », se félicite Claire de Crisenoy, Iade et secrétaire des P’tits Doudous.

Premier prix

« Les patients étaient très angoissés, ils pleuraient souvent en arrivant au bloc et en salle de réveil », explique Claire de Crisenoy. En 2012, la présidente et fondatrice de l’association, Nolwenn Febvre, a alors l’idée de transformer ce parcours – de la chambre au bloc – en jeu de piste sur tablette. Au même moment, la Fondation B. Braun lance un concours sur le thème « Agir pour le mieux-vivre du jeune patient (0-18 ans) ». L’association Les P’tits Doudous remporte le premier prix de 15 000 euros : de quoi se lancer, mais bien peu pour qui connaît l’économie numérique… Benjamin Chavigner, designer, accepte de dessiner les personnages et les décors du jeu pour 6 000 euros. Tous les chirurgiens et les anesthé- sistes sont croqués, ainsi qu’un doudou Moulin Roty, qui fait office de guide. Une série d’avatars figurant les enfants sont également imaginés. Grâce aux réseaux des membres de l’association, un contact est noué avec Niji, société rennaise spécialisée dans la programmation. Le directeur est séduit par le projet: il fait cadeau du développement… Le budget global n’excédera pas les 15 000 euros reçus. « Nous avons demandé aux équipes de nous aider à identifier les soins les plus compliqués à vivre pour les enfants », raconte Claire de Crisenoy. La prise de la tension, la familiarisation avec l’environnement, le cheminement vers le bloc, la séparation avec les parents, puis la pose du masque pour l’anesthésie ont été transformés en séquences du jeu, qui se déroule dans un décor identique à celui qui entoure les petits patients et leur famille.

Photos et petits mots

Une heure environ avant le début de l’opération, les parents peuvent se prendre en photo avec la tablette et sélectionner des petits mots gentils. Et au moment d’entrer au bloc, l’enfant verra la photo et les mots apparaître sur l’écran. « C’est un cercle vertueux, ajoute Claire de Crisenoy. L’introduction du jeu calme les cris, ce qui rassure les parents qui, à leur tour, apaisent leur enfant. » Une dynamique qui se vérifie avec Owen et ses parents. Après la prise de la tension, le petit garçon joue tranquillement avec son papa et finit par décocher un sourire. Sa mère, assez tendue jusqu’alors, l’imite aussitôt : « Il ne pleure plus, je suis rassurée. Ça va bien se passer maintenant. »

Pour les infirmières du service ambulatoire, Le Héros, c’est toi est « un bon allié ». « Ça demande du travail supplémentaire, pour présenter le jeu, l’expliquer aux parents, mais au bout du compte, tout le monde est rassuré », détaille Rachel Prian, puéricultrice. Tous les pro- fessionnels susceptibles d’utiliser l’application ont été formés par les bénévoles de l’association. Le protocole étant expérimental, chacun se l’est approprié di?éremment : telle infirmière réglera les paramètres du jeu avec l’enfant, telle autre le fera avant d’entrer dans la chambre. Toutes soulignent la baisse du niveau d’anxiété chez les enfants. « J’ai diminué de moitié la prémédication de ceux qui jouent, explique une professionnelle. Le jeu dédramatise l’expérience de l’hôpital et rend les patients acteurs. »

L’application se révèle aussi un bon moyen d’entrer en communication avec des enfants qui auraient tendance à se renfermer sur eux-mêmes ainsi qu’avec les parents, souvent inquiets et peu diserts. « Comme Le Héros, c’est toi accompagne l’enfant tout au long de son parcours, les équipes aussi communiquent davantage entre elles », souligne Ginette Joubreil, aide- soignante. Au bloc et en salle de réveil, le jeu semble atteindre ses objectifs. « Les enfants s’endorment plus calmes. Au réveil, ils sont plus détendus, ils ont donc moins besoin de médicaments. Et ils peuvent conti- nuer à jouer sur leur tablette, se réjouit Benoît Rohel, Iade et mem- bre de l’association. On découvre un autre plaisir de travailler. »

Smiley rieur ou en larmes

L’anxiété de l’enfant est régulièrement mesurée au cours du jeu grâce à des smileys : il doit choisir celui qui correspond à son état d’esprit, rieur, souriant, neutre, inquiet, mécontent ou en larmes. Ces données sont récupérées par les Iade. « On constate une amélioration drastique de leur niveau d’anxiété, insiste Nolwenn Febvre. Ce matin, un ado est arrivé au bloc plus détendu que quand il était entré à l’hôpital. » L’efficacité du jeu sur le niveau de stress et les retombées en termes de prescriptions n’ont pas encore été mesurées scientifiquement, Le Héros, c’est toi n’étant disponible que depuis le mois d’avril. Mais des étudiants infirmiers et des internes en médecine commencent à plancher sur la question. « Dans notre univers très technique, Le Héros, c’est toi est un outil d’amélioration de la relation humaine, qui est primordiale », explique Nolwenn Febvre. Pour l’instant, sur les 4 000 enfants opérés chaque année au CHU de Rennes, seuls ceux qui passent par la chirurgie ambulatoire peuvent bénéficier de cette application. Mais toutes les équipes de pédiatrie (urgences, médecine et même néo-natalogie) rêvent déjà de pouvoir se doter de leur version du jeu.

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