Autour de l’intervention - L'Infirmière Magazine n° 355 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 355 du 01/12/2014

 

L’opération est-elle la solution indiquée ? Si oui, faut-il préférer une endartériectomie ou un pontage ? Sous anesthésie locale ou générale ? Chaque patient nécessite une prise en charge personnalisée, du diagnostic aux soins postopératoires.

1. INTRODUCTION

La chirurgie de la carotide est apparue aux États-Unis en 1953 avec Michael Ellis DeBakey, puis s’est développée grâce au Britannique Charles Rob, qui publia un article sur le sujet dans la revue The Lancet en 1954. Aujourd’hui, l’endartériectomie carotidienne est une intervention fréquente, à raison de 100 000 par an aux États-Unis et de 10 000 à 12 000 en France.

Épidémiologie

Les patients sont le plus souvent des hommes ayant des facteurs de risque tels que l’hypertension artérielle, la dyslipidémie, le diabète, le tabagisme ou un âge avancé. 5 à 10 % des plus de 65 ans et 20 à 30 % des artéritiques ont une sténose carotidienne supérieure à 50 %. Or cette affection est présente chez 20 à 30 % des victimes d’accidents vasculaires cérébraux.

La carotide peut être atteinte d’athérome. La sténose qui en résulte – la pathologie la plus fréquente touchant cette artère, loin devant l’anévrisme – peut entraîner un accident vasculaire cérébral (AVC). On parlera d’accident ischémique transitoire (AIT) s’il ne dure que quelques minutes, avec une récupération complète ; d’accident vasculaire régressif (AVC régressif) s’il dure plusieurs heures mais régresse ; d’accident vasculaire ischémique constitué si la récupération est incomplète ; d’accident vasculaire massif si le déficit est majeur (hémiplégie, coma ou décès). En dehors des signes neurologiques, l’auscultation du cou peut conduire à l’établissement du diagnostic, par exemple si l’on entend un souffle. Parfois, des signes neurologiques transitoires peuvent orienter le médecin : voile sur un œil, perte de force ou anesthésie d’un membre, difficultés d’élocution. Dans tous les cas, un examen par échographie doppler confirmera l’existence et le degré de la sténose.

Indications opératoires

Au terme de la consultation, le rapport bénéfice-risque d’une intervention à titre prophylactique est exposé au patient, qui l’accepte. Il est précisé que l’intervention sera réalisée sous anesthésie locale et sédation. Les avantages et inconvénients de cette technique lui sont expliqués. La consultation d’anesthésie préalable ne fait pas émerger de problème particulier.

→ L’intervention consiste en une endartériectomie longitudinale du bulbe carotidien et de la carotide interne, une endartériectomie par retournement de la carotide externe et une fermeture de l’endartériectomie par un patch d’élargissement en PTFE. Un contrôle doppler est pratiqué en fin d’intervention.

→ L’indication opératoire dépend du degré de la sténose et du caractère symptomatique ou non de la lésion. Elle doit être accompagnée d’un traitement médical, de l’arrêt total et définitif du tabac, du traitement de l’hypercholestérolémie, de l’hypertension, du diabète et d’un traitement par antiagrégants plaquettaires (aspirine, clopidogrel). Les bénéfices de l’opération seront importants pour les sténoses symptomatiques de plus de 70 %, modérés pour les sténoses symptomatiques de 50 à 70 % et les sténoses asymptomatiques de plus de 60 % si la durée de vie du patient est estimée à plus de deux ans. À moins de 50 %, la chirurgie n’est pas conseillée, sauf si le patient a connu des accidents neurologiques répétés.

2. L’OPÉRATION CHIRURGICALE

La durée moyenne de l’intervention est d’une heure à une heure et demie. Il existe deux méthodes chirurgicales.

L’endartériectomie carotidienne

Elle consiste à enlever la plaque d’athérome après ouverture de la carotide. Une fermeture directe est rarement réalisée. Le plus souvent, un patch prothé?tique assurera la fermeture en élargissant l’artère.

Le pontage carotidien

Au lieu de désobstruer le vaisseau, un pontage par veine ou prothèse est réalisé.

Dans certains cas, l’arrêt de la circulation dans la carotide est mal supporté. Il faut alors envisager de mettre en place un shunt de dérivation du sang pour réaliser la chirurgie en toute sécurité.

Quand la chirurgie est contre-indiquée pour raisons techniques ou anatomiques (paralysie récurrentielle controlatérale, immobilité du cou, trachéotomie, lésions cutanées), on peut pratiquer une angioplastie avec stent. Cette technique consiste à dilater la sténose et à mettre en place un stent dans la carotide.

3. QUEL TYPE D’ANESTHÉSIE ?

Les techniques d’anesthésie ont progressé ces dernières années. La chirurgie carotidienne peut être réalisée sous anesthésie générale ou sous anesthésie locorégionale avec ou sans complément de sédation. Le choix dépend le plus souvent du chirurgien, de l’état clinique du patient ainsi que de sa tolérance à la position chirurgicale.

→ Aucune des techniques d’anesthésie n’est plus efficace que l’autre en termes de protection cérébrale.

Installation du patient

Après mise en place d’un abord veineux pour la sédation, l’antalgie per- et postopératoire ainsi que pour la sécurité du patient, un cathéter est introduit dans l’artère radiale controlatérale à la chirurgie.

Après le début de la sédation (le plus souvent par rémifentanil), le bloc cervical superficiel ou l’anesthésie peuvent être réalisés. Le patient sera installé par le chirurgien en décubitus dorsal, bras le long du corps du côté opéré, billot sous les épaules.

L’anesthésie générale

Considérée comme plus confortable pour le patient, elle permet au chirurgien de ne pas être contraint par la durée opératoire et de ne pas risquer de voir le patient bouger durant l’acte. L’anesthésie générale diminue la consommation d’oxygène du cerveau et assure en théorie une meilleure protection cérébrale. En revanche, elle ne permet pas de détecter les ischémies cérébrales lors du clampage de la carotide. Le diagnostic d’AVC n’est possible qu’au réveil.

Les produits les plus utilisés restent le rémifentanil (Ultiva) comme morphinique d’action courte, associé au propofol pour l’induction anesthésique. Le relais s’effectuera avec un gaz halogéné en poursuivant le rémifentanil.

L’anesthésie locale ou locorégionale avec sédation

Après l’installation de l’anesthésie par bloc cervical superficiel, bloc cervical profond ou simplement par des anesthésiques locaux, le patient peut recevoir un complément de sédation légère par rémifentanil. Le but est d’avoir un patient sédaté, mais restant éveillé et conscient. Pendant l’opération, le patient sera stimulé toutes les quinze secondes dès le clampage (questions, pression de la main…) pour s’assurer de son état de conscience. Avant d’ouvrir la carotide, le chirurgien attendra trois à quatre minutes. L’anesthésie locorégionale ou locale avec sédation est réputée inconfortable pour le patient (voir schéma). L’avantage est qu’elle permet de vérifier l’effet du clampage carotidien sur sa conscience. Certaines équipes améliorent la surveillance neurologique en utilisant l’électroencéphalogramme permanent, le doppler de la circulation cérébrale ou la NIRS (spectrométrie dans le proche infrarouge) pour apprécier le retentissement du clampage carotidien.

Il est possible de créer un système de « poire » relié au système artériel (voie de la PVC). Celle-ci est placée dans la main du patient, ce qui lui permet d’appuyer sur demande du chirurgien. La pression sur cette poire permettra d’observer une augmentation de la courbe de PVC, indiquant le degré de conscience du patient et sa capacité à exécuter un ordre simple.

Il existe des contre-indications à l’anesthésie locale avec sédation. Il est par exemple difficile de demander une immobilité de près de deux heures à des patients non-compliants ou présentant une perturbation des fonctions supérieures. Par ailleurs, une intubation en urgence pour perte de conscience ou convulsions pratiquée sur un patient dont l’intubation est prévue difficile peut être hasardeuse.

Le risque de cette anesthésie locorégionale est l’injection d’anesthésique local en intra vasculaire, entraînant des signes immédiats de toxicité neurologique (picotement péri buccaux, goût métallique dans la bouche, céphalées, perte de connaissance, coma, convulsion…) et cardiovasculaire (troubles de la conduction auriculo-ventriculaire, troubles du rythme cardiaque pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque, hypotension artérielle, collapsus). D’autres complications peuvent être la résorption plasmatique importante des anesthésies locales entraînant des signes de retardés de toxicité neurologiques et, plus rarement, cardiaques.

C’est lors de la consultation d’anesthésie que seront précisées les modalités, les avantages et les risques de la technique d’anesthésie proposée, en accord avec le chirurgien et le patient.

4. APRÈS L’OPÉRATION

La salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI)

La durée de séjour en SSPI est de deux à quatre heures. Elle dure parfois jusqu’à vingt-quatre heures pour certains patients. La surveillance est la même que pour tout opéré ayant subi une anesthésie générale ou une anesthésie locorégionale avec sédation. S’y ajoute cependant la recherche de complications spécifiques :

→ Surveillance neurologique (conscience, orientation, mobilité, sensibilité, taille des pupilles).

→ Surveillance du pansement et du drain de redon (hématome, saignement).

→ Surveillance de la pression artérielle par le cathéter artériel radial mis en place au bloc opératoire et du tracé de l’électrocardiogramme. Une anticoagulation par voie générale est instaurée dès la fin de l’intervention (héparine en débit continu à la seringue autopousseuse).

L’hospitalisation en chirurgie

La sortie a lieu vers le cinquième jour postopératoire, quand le risque d’hématome cervical est écarté. La surveillance se poursuivra dans le service de chirurgie. La tête du lit doit être surélevée. L’infirmière surveillera la pression artérielle, le pouls, la conscience et la symétrie des mouvements. La douleur est le plus souvent peu importante après l’opération. Elle a été prise en compte en SSPI et doit être contrôlée à la sortie.

La première levée a lieu le soir de la chirurgie. L’alimentation reprend le soir même. Un traitement médical (aspirine, statines) est mis en place.

Des consignes d’hygiène de vie seront données, telles que :

→ Contrôle et diminution des facteurs de risque (hypertension artérielle, diabète, cholestérol…).

→ Activité physique régulière.

→ Arrêt du tabac.

Anatomie

Les carotides sont, avec les artères vertébrales, les vaisseaux qui assurentla vascularisation du cerveau. La carotide commune est paire, c’est-à-dire qu’il en existe une gauche et une droite. Elle se divise ensuite en carotide externe et carotide interne. L’externe a moins d’importance que l’interne.

ALTERNATIVE

La chirurgie ambulatoire

La chirurgie ambulatoire est une alternative à la chirurgie conventionnelle. Elle permet la sortie du patient de l’unité d’anesthésie et de chirurgie ambulatoire (UACA) le jour même de l’intervention. Elle dépend des critères habituels de sortie de la SSPI (score d’Aldrete supérieur ou égal à 9) et des critères d’aptitude de retour à domicile (score de Chung ou Postanesthetic Discharge Scoring System, PADSS). Le retour à domicile doit être organisé et le patient, accompagné lors de sa sortie. Il lui faut donner des consignes claires, ainsi qu’à son entourage. Il doit avoir à sa disposition les contacts téléphoniques utiles en cas de problème. La sortie sera validée par l’anesthésiste et le chirurgien.

TÉMOIGNAGE

« Lors d’une première intervention, sa douleur a été minimisée »

DELPHINE BONNIN et CATHERINE DREZET IDE AU CHU DE DIJON (CÔTE-D’OR)

« M. B., 67 ans, a été opéré le 10 novembre 2014 d’une endartériectomie carotidienne gauche. Il avait pour antécédents de l’hypertension artérielle, du diabète et une endartériectomie carotidienne droite). Dès le début de la prise en charge, nous notons une difficulté à entrer en communication avec ce patient, qui est fermé. Il tourne la tête quand on s’adresse à lui et ne répond pas à nos questions, en particulier quand nous évaluons sa douleur. Après l’avoir installé, nous le laissons tranquille. Il faut respecter son choix. Mais son attitude nous interpelle et lors d’une surveillance, nous prenons le temps de comprendre pourquoi il évite notre regard et toute relation. M. B nous explique qu’il garde un très mauvais souvenir de sa première intervention carotidienne, au cours de laquelle sa plainte par rapport à ses douleurs a été minimisée par le personnel soignant et donc pas suffisamment prise en charge. À ce moment-là, il se sent écouté. Il dit qu’il a très mal, comme une grosse migraine, il décrit sa douleur et son intensité. Rapidement, nous lui administrons un autre antalgique, la douleur s’atténue, une relation de confiance s’instaure et le patient est détendu, souriant. »