L’hôpital livré à domicile - L'Infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

HAD PÉDIATRIQUE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

HÉLÈNE COLAU  

Moins coûteuse pour la Sécurité sociale, moins contraignante pour les patients et plus motivante pour les soignants : l’hospitalisation à domicile cumule les bons points. Plongée dans le quotidien de l’HAD pédiatrique nord-est de l’AP-HP.

Tes cheveux ont poussé, c’est cool ça ! » Manuela se frotte les mains avec de la solution hydroalcoolique puis enfile une blouse bleue, extraite d’un carton entreposé dans un coin de la chambre. Avant d’entrer dans ce petit appartement d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), elle a enfilé des surchaussures. « Il y a des tapis partout et les parents n’entrent jamais avec leurs chaussures, explique-t-elle. On doit respecter ça. » Abdelmonein, 10 ans, traité pour un lymphome de Hodgkin, sort son classeur d’hospitalisation à domicile. « Il contient le numéro de téléphone en cas de besoin et tout ce qui se passe quand l’infirmière vient, précise-t-il. On note aussi les prochains rendez-vous. » La puéricultrice lui pose quelques questions : « L’école, ça va bien ? Tu manges bien ? » « Oh oui, deux fois le matin et deux fois à midi, il mange double ! » glisse Fatma, la maman, depuis l’encadrement de la porte. Pendant une demi-heure, Manuela s’assure qu’Abdelmonein prend bien ses médicaments, mais aussi qu’il évite les comportements à risque. « Tu fais du sport ? » demande-t-elle. « Je n’ai pas droit à ceux qui sont dangereux. » « Tu ne vas pas faire de la boxe non plus ! » Une puéricultrice du service d’HAD pédiatrique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) passera ainsi deux fois par semaine jusqu’à la fin du traitement d’Abdelmonein, prévue dans un mois. « L’HAD lui évite de retourner à l’hôpital de jour, ça arrange tout le monde », lance Manuela. « C’est très bien car quand il est à l’hôpital, je ne dors pas », ajoute Fatma. « En plus, là-bas, je m’ennuie, assure Abdelmonein. Tandis que là, je vais pouvoir retourner à l’école cet après-midi. » Le bilan clinique achevé, la maman insiste pour offrir un café et des pâtisseries maison. Elle évoque un prochain séjour en famille en Égypte, une information que Manuela note dans le dossier de l’enfant. Avant de prendre congé, car la journée ne fait que commencer.

Prématurés, cancer et diabète

La Twingo blanche ornée d’une colombe et de l’inscription « L’hôpital vient à vous » file sur les routes franciliennes. Direction l’hôpital Robert-Debré (Paris 19e), en face duquel se situent les locaux de l’HAD pédiatrique nord-est, l’un des trois pôles gérés par l’AP-HP. Les puéricultrices passent environ trois heures par jour dans leur véhicule tant leur zone d’activité est vaste : elle englobe le quart nord-est de Paris ainsi qu’une grande partie de la Seine-Saint-Denis. « Depuis peu, nous pouvons laisser les voitures chez nous le soir, comme ça on part directement en visite le matin », apprécie Manuela. Ce jour-là, elle a commencé à 7 h 30 pour que l’enfant ait ensuite le temps de manger avant de partir à l’école. « Les puéricultrices travaillent neuf heures sur une amplitude horaire de 7 heures à 21 heures », explique Cécile Benzi, la cadre du service. Celui-ci, qui compte une dizaine d’infirmières, trois coordinatrices et une pédiatre, peut s’occuper d’une trentaine d’enfants. « Parmi eux, environ un tiers sont des prématurés suivis en néonatologie, un tiers sont en hématologie ou oncologie pour des cancers pédiatriques et un tiers ont des problèmes médicaux autres, comme des troubles neurologiques, alimentaires ou du diabète », estime-t-elle. L’un des buts de l’HAD, qui existe au sein de l’AH-HP depuis plus de cinquante ans, est de désengorger l’hôpital. « On préfère hospitaliser chez eux les enfants qui le peuvent ; ils se réinsèrent dans leur famille et évitent les infections nosocomiales. De plus, les séjours conventionnels coûtent plus cher », explique la cadre.

Dans le hall du bâtiment, le téléphone sonne, l’une des secrétaires décroche. Ici, le processus d’admission commence par un coup de fil : le médecin hospitalier appelle pour proposer la sortie d’un enfant. C’est là qu’interviennent les infirmières puéricultrices coordinatrices, comme Céline Bluteau. « On examine la possibilité de transfert en HAD, dit-elle. Il ne faut pas que l’enfant n’ait besoin que de soins techniques, mais aussi de tout ce que l’hôpital peut offrir : l’éducation thérapeutique, la surveillance clinique… Nous avons une approche globale. » Ensuite, en collaboration avec le médecin, Céline détermine si l’état de santé de l’enfant et le domicile des parents permettent le passage en HAD. La coordinatrice rencontre la famille, évalue sa capacité à s’occuper de l’enfant et liste les appareils qu’il faudrait installer à domicile. « Si un enfant a besoin d’oxygène et de nutrition parentérale dans 9 m2, on évalue le bénéfice-risque », détaille Céline Bluteau. Mais les refus sont assez rares. En général, l’enfant est admis pour 30 jours renouvelables. Le médecin établit son projet thérapeutique en indiquant quand devront être effectués les bilans sanguins, les jours de chimio… Au début, les visites ont lieu tous les jours, puis elles s’espacent.

Bientôt des dossiers sur tablette

Au sous-sol, Cécile Benzi range des boîtes en carton sur des étagères fixées au mur. C’est elle qui se charge de commander les pansements et les médicaments nécessaires à chaque enfant, stockés là avant d’être transportés au domicile par les infirmières. « On n’a pas accès à la pharmacie de Robert-Debré, la nôtre est à Charenton (Val-de-Marne), soupire-t-elle. Tout est livré par coursier. Si je commande un pansement, il n’arrivera que le lendemain. » Une contrainte chronophage : comme le matériel ne peut être livré directement au domicile, les puéricultrices doivent passer le chercher avant de rendre visite à un nouveau patient. Actuellement, les puéricultrices perdent aussi beaucoup de temps car elles repassent au bureau pour consulter les dossiers. « Chacune rend visite à trois ou quatre enfants par jour, explique Cécile Benzi. Parfois, les gestionnaires trouvent qu’on n’est pas assez efficients, mais les déplacements et la rédaction des dossiers prennent énormément de temps. » Pour remédier à ce problème, un service permettant de gérer à distance les dossiers médicaux est en cours de déploiement. Dès 2015, les infirmières seront équipées de tablettes sur lesquelles elles pourront consulter le dossier du patient, où qu’elles se trouvent.

Dans la pièce principale, trois ou quatre puéricultrices sont penchées sur des pochettes cartonnées. Entre deux visites, elles rédigent leurs transmissions thérapeutiques ou appellent une collègue qui prendra le relais auprès de l’enfant le lendemain. Derrière elles, un grand tableau indique les jours de la semaine et les noms des enfants. Ceux des infirmières se baladent au gré des changements de planning, très fréquents. Pour travailler dans ce service, il faut aimer les surprises. Mais les puéricultrices se disent récompensées au centuple. Manuela a choisi l’HAD après plusieurs années en pédiatrie à l’hôpital – le service ne recrute pas à moins de cinq ans d’expérience. « À la maison, on est seul, il faut un bon œil clinique, assure-t-elle. Avec l’expérience, on est aussi plus à même de rassurer les parents. » Le passage en HAD relève d’un vrai choix pour les professionnelles. « Je n’étais plus épanouie à l’hôpital car je n’avais pas l’impression de faire mon travail de puéricultrice, avec ce que ça implique d’éducation, de relation mère-enfant, de social. Là, on bénéficie d’une vraie reconnaissance. On fait des comptes-rendus d’arrêt d’HAD et les médecins s’y fient. En plus, les patients n’ont pas du tout la même attitude qu’à l’hôpital, on fait des rencontres géniales. » Notamment avec les parents, qui prennent le relais de l’infirmière au domicile (voir encadré). « Ce sont de véritables partenaires de soin, souligne Stéphanie, puéricultrice. Quand je réalise un geste technique, comme un prélèvement sanguin sur voie veineuse centrale, ils distraient leur enfant, par exemple en le faisant jouer. Certains apprennent vite à effectuer des soins difficiles, comme un sondage urinaire. Sinon, nous restons jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin de nous. » L’autre particularité de l’HAD est la pluridisciplinarité qu’elle permet. Le service travaille avec une assistante sociale, une diététicienne et une psychologue, dont il propose l’aide aux parents.

Passage de relais à la PMI

La Twingo redémarre, direction le 10e arrondissement de Paris. Il s’agit d’assister une maman qui vient de donner naissance à des jumeaux prématurés. La femme qui ouvre la porte de l’appartement haussmannien a l’air exténuée. « J’ai vu que vous avez appelé cette nuit », dit Manuela. « Il pleurait, je crois qu’il a faim », suggère la maman. La puéricultrice pèse l’enfant tout en dispensant des conseils : « Gardez toujours une main sur lui quand vous le changez », « s’il est enrhumé, nettoyez son nez avant chaque biberon ». Aujourd’hui, le principal problème, ce sont des pleurs nocturnes inexpliqués. Manuela décide d’augmenter le volume des biberons. Elle profite de la visite pour préparer la sortie d’HAD. « Vous avez contacté la PMI ? » Elle s’inquiète aussi du logement de la famille, hébergée provisoirement par des amis. « Si vous voulez, on peut vous mettre en contact avec l’assistante sociale », propose-t-elle. La jeune mère, sortie l’avant-veille de l’hôpital, n’en revient pas. « Quand on m’a parlé de ce service, je n’en croyais pas mes oreilles : c’est extraordinaire ! Le plus, c’est d’avoir un contact dans la nuit quand il se passe quelque chose et qu’on ne sait pas comment réagir. On n’est pas forcément une mère tout de suite. » En effet, entre 21 heures et 7 heures, une équipe de nuit prend le relais pour répondre aux questions des parents. En cas de doute, elle appelle le pédiatre. Cette nuit, c’était Brigitte Lescœur, coordinatrice de l’HAD pédiatrique nord-est, qui était d’astreinte. « J’ai été réveillée trois fois, sourit-elle. Heureusement, je connaissais les dossiers. » Dans la journée, la pédiatre travaille sur les nouvelles admissions ou modifie des ordonnances. Puis s’occupe de la cotation T2A. « Occasionnellement, des puéricultrices viennent me poser des questions, je tâche d’y répondre. »

Le développement de l’HAD est dans l’air du temps, puisqu’une circulaire en voie de publication prévoit de doubler, sur cinq ans, la part des séjours réalisés sur ce mode. « Tout le monde pense que c’est la meilleure des choses, mais il n’y a pas de budget », sourit le Dr Lescœur. En attendant, pour une capacité de 30 places, l’HAD pédiatrique nord-est ne s’occupe que d’une vingtaine d’enfants. « Nous ne sommes pas assez connus des hôpitaux et certains se montrent frileux, déplore Cécile Benzi. Alors nous tentons de sensibiliser les services. »

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

Former et informer les parents

À domicile, les principaux partenaires de l’infirmière, ce sont les parents. Enthousiastes à l’idée de récupérer leur enfant à la maison, certains présument de leurs forces. « Il y a des choses qu’on ne peut pas leur demander, admet Brigitte Lescœur, la pédiatre. Une fois, on a calculé que les soins dont un enfant avait besoin prendraient vingt heures par jour. On a dû refuser l’HAD. »

Autre obstacle rencontré par les puéricultrices : l’illettrisme parental. Comment alors assurer le respect des posologies ?

« On peut dessiner des schémas, mais ils ne sont pas faciles à lire pour quelqu’un qui n’a aucune référence, explique Brigitte Lescœur. Alors on utilise parfois des photos des flacons de médicaments, en indiquant la différence de niveau. » Il est aussi arrivé au personnel de l’HAD d’intervenir auprès d’un pharmacien afin qu’il fournisse toujours des gélules de la même couleur pour un traitement donné.

Enfin, des puéricultrices ont mis au point des fiches pratiques expliquant en images les étapes de certains soins, comme la pose d’une sonde de nutrition.