Dialogue sans blouse blanche - L'Infirmière Magazine n° 349 du 15/07/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 349 du 15/07/2014

 

SOIGNANTS-SOIGNÉS

DOSSIER

À l’instar des médecins qui chatent en direct avec les internautes, le Web social contribuera peut-être demain à l’amélioration du suivi des patients dans le cadre de l’éducation thérapeutique. Des usages qui influent sur la relation soignants-soignés et soulèvent des questions d’ordre éthique et déontologique.

Mon père est décédé d’une amylose primitive AL. Cette maladie est-elle héréditaire ? » ; « Je suis atteinte d’une neutropénie congénitale sévère Kostmann. Peut-on faire un don de sang et a-t-on le droit de faire un don d’organes ? »… Voilà des exemples de questions posées sur le chat « Maladies rares » de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). Depuis plus d’un an, le groupe hospitalier propose aux internautes d’interpeller ses spécialistes via son site dédié aux maladies rares(1). « Notre objectif n’est pas de convaincre les gens de venir faire soigner leurs enfants à Necker mais de délivrer des informations fiables pour des personnes qui sont parfois un peu perdues face au diagnostic de la maladie rare, de les orienter vers les bonnes personnes en fonction de la région où ils vivent », explique Loubna Slamti, directrice adjointe du service communication. Il ne s’agit pas, bien entendu, de se substituer à des consultations mais de délivrer des conseils et un accompagnement.

Des échanges plus libres

« C’est un élément nouveau dans l’interaction entre soignants et patients, estime le Dr Nizar Mahlaoui, responsable du centre de référence « Déficits immunitaires héréditaires » à Necker (AP-HP), qui a participé à l’un des chats. En consultation, avec l’attente et l’angoisse, les patients peuvent oublier de poser certaines questions. Les nouvelles technologies comme le chat, permettent de faire tomber certaines barrières physiques et psychologiques. » Pour le Dr Célia Crétolle, chirurgien-pédiatre travaillant pour le centre des maladies rares « Mal­formations ano-rectales et pelviennes rares » (Marep) de l’hôpital Necker, le chat permet surtout de regrouper les e-mails et d’y répondre en ligne pour en faire profiter le plus grand nombre : « Je reçois de nombreux mails chaque jour de la part des parents et, souvent, les questions sont les mêmes. Concentrer les réponses dans un espace et un moment donnés est une bonne occasion de poursuivre le dialogue avec les familles, tout en approfondissant certains sujets, peut-être mal expliqués ou mal compris pendant le temps de la consultation. L’échange y est différent, plus libre car on sort du contexte de l’hôpital, il n’y a pas la blouse blanche. Je constate aussi les vertus de l’écrit : les parents osent aborder certains sujets, ce qu’ils ne feraient peut-être pas en face à face. » Convaincue par le concept, la chirurgienne est partante pour assurer un chat hebdomadaire. L’hôpital a fait le choix du différé : si l’annonce passe sur sa page Facebook, les questions des internautes et les réponses des équipes médicales s’effectuent sur le site internet dédié aux maladies rares, ce qui permet de donner aux soignants un délai de trois ou quatre jours.

Ce n’est pas le cas au CHU de Rouen qui propose depuis quelques mois des chats sur sa page Facebook, les internautes posant leurs questions via les commentaires dans un créneau horaire prédéfini en amont et les équipes y répondant en direct, aux côtés d’une chargée de communication. Les trois premiers « Avis d’experts » ont reçu chacun une trentaine de questions pendant l’heure impartie. « Cela peut paraître peu mais on voit que l’information est très bien relayée avec 1 500 vues en moyenne, indique Floriane Marchand, chargée de communication. Quand nous contactons les spécialistes, ils sont toujours très partants. Les rapports sont inversés : d’habitude, ce sont les patients qui viennent vers eux. Là, ce sont les spécialistes qui vont vers le grand public. »

Si ces nouveaux modes de communication apportent plus de proximité entre soignants et malades, ils soulèvent bon nombre d’interrogations : les réseaux sociaux sont-ils les espaces les plus appropriés pour échanger sur des questions de santé ? Que penser du direct ? N’est-il pas propice à un certain risque d’erreur ? Que dire des patients qui envoient leurs questions via leur profil Facebook : ne s’exposent-t-ils pas trop en parlant de leur pathologie ou de celle d’un proche reconnaissable, et ne le regretteront-ils pas plus tard ?

Données sensibles

« Qu’un médecin discute avec des patients sur Facebook me paraît délirant », confie Germain Decroix, juriste à la MACSF, invoquant les problèmes des conseils médicaux à distance ou encore, de la confidentialité des échanges. « Les données de santé font partie des données sensibles qui ont un régime particulier avec autorisation préalable de la Cnil d’après la loi informatique et libertés », rappelle Caroline Le Goffic, maître de conférences en Droit privé à l’université Paris-Descartes et membre de l’Institut Droit et Santé. Jusqu’où doit aller la proximité soignants-patients ?

Dans son livre blanc consacré à la déontologie médicale sur le Web, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) recommande de refuser les demandes d’amis venant des patients, au motif que cela risquerait de compromettre la qualité de la relation. Du côté de l’Ordre national des infirmiers (ONI), les problématiques soulevées par l’usage des réseaux sociaux ne sont pas mentionnées dans le projet de code de déontologie…

Faudrait-il pour autant proscrire l’usage des réseaux sociaux dans la relation soignants-soignés ? Avec la proximité et l’interactivité qu’elles procurent, ces nouvelles technologies semblent promises à un bel avenir pour le suivi des patients, en particulier des jeunes. De bonnes initiatives émergent ici ou là, comme au CHU d’Angers où un groupe (fermé) sur Facebook a été créé à destination des enfants et adolescents qui ont été, ou sont encore, hospitalisés régulièrement au sein du service d’oncologie pédiatrique. Le but est de leur permettre d’échanger librement entre eux, de garder le contact, de se donner des conseils ou des encouragements. Une psychologue et un éducateur sont présents pour modérer la page et répondre aux éventuelles questions des jeunes. En Belgique, l’hôpital Sint-Lucas de Bruges utilise depuis peu Twitter pour suivre, après hospitalisation, les personnes ayant subi une attaque d’apoplexie.

Avec la multiplication des applications santé et la croissance de l’hospitalisation à domicile et des raccourcissements des durées moyennes des hospitalisations, les technologies virtuelles en lien avec les réseaux sociaux semblent offrir de nombreux débouchés, notamment dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient. À condition que la problématique de la sécurité des données échangées soit assurée et la confidentialité mieux encadrée…

www.maladiesrares-necker.aphp.fr

COMMUNAUTÉS

Entre patients…

BePatient, Carenity, EntrePatients… Les réseaux dédiés aux malades connaissent un réel essor. Là encore, le modèle vient des États-Unis où PatientsLikeMe, créé en 2005, rassemble une quinzaine de communautés. La force du groupe sert notamment à faire avancer la recherche médicale.

En France, le dernier-né des réseaux de patients s’appelle MyHospiFriends. À la différence des autres, le but n’est pas de parler de sa pathologie : « J’ai voulu répondre à un besoin que j’ai moi-même connu. À la suite d’un accident de la route, j’ai été hospitalisé cinq mois dont trois alité, raconte Julien Artu, le président-fondateur. Je suis bien placé pour le savoir : un patient qui s’ennuie peut être un patient très casse-pied ! » Son idée : créer un réseau pour que les patients hospitalisés au sein d’un même établissement puisse nouer des liens et se divertir. Cuisine, cinéma, Formule 1… : les patients y parlent de leurs centres d’intérêts. L’hôpital Foch à Suresnes est l’un des premiers à l’avoir adopté, au mois d’avril dernier. « Cela correspondait tout à fait avec notre plan stratégique qui est axé sur le bien-être des patients », explique Valérie Moulins, directrice de la communication. Le service est entièrement gratuit pour le patient et les données qui font l’objet de modération, transitent par les serveurs sécurisés de la société.