Mission prioritaire à Chypre - L'Infirmière Magazine n° 346 du 01/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 346 du 01/06/2014

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

CÉCILE BONTRON  

Son quotidien oscille entre petits bobos et secret militaire, ville fantôme et plage méditerranéenne. Michaela Sladeckova, infirmière slovaque, travaille depuis presque un an, au sein de la plus longue mission de maintien de la paix de l’Onu à Chypre.

L’après-midi s’annonce relativement calme dans le centre médical de la Force de maintien de la paix de l’Onu à Chypre (UNFICYP), situé à Famagouste. Aucun patient hospitalisé, aucune sortie prévue, et un soleil radieux, comme souvent, sur la petite île méditerranéenne. Michaela Sladeckova avance doucement vers la fin de ses 24 heures de garde, quand une urgence sort le centre médical de sa torpeur temporaire. Un soldat de sa garnison s’est blessé à la jambe, juste avant son retour chez lui. Direction l’hôpital pour le soldat, dans l’ambulance du centre de l’Onu conduite par Michaela. Les effectifs ayant été drastiquement réduits, les infirmières onusiennes officiant à Chypre doivent désormais se former à la conduite d’une ambulance avant leur prise de poste. Elles assurent les allers-retours de la ville à l’hôpital, situé dans la partie nord de Chypre, en République turque de Chypre Nord, un état non recon­nu par la communauté internationale. Car Chypre est coupé en deux depuis 1974 et l’invasion du Nord par la Turquie. Déjà, depuis son indépendace en 1960 où il fut arraché à la couronne britannique, le pays connaissait de nombreux troubles inter-communautaires entre chypriotes turcs et grecs. Avec l’arrivée des forces de l’Onu lors de la séparation de 1964, s’amorça un premier mouvement de population. Les lignes de cessez-le-feu se sont figées après l’invasion de 1974 et, depuis, la mission des 850 soldats de l’Onu n’a guère changé : garantir le statut quo des forces en présence et favoriser un retour à la normalité. Ils assurent également la neutralité d’une zone tampon entre Nord et Sud, occupant 3 % de l’île.

Assise au snack collé au petit hôpital de Famagouste, Michaela s’accorde une pause – le café turc, un incontournable – en attendant les résultats d’analyses du patient et la rencontre avec son médecin. L’infirmière fait la liaison entre le centre médical et l’hôpital, et assure le suivi du patient qui ne parle ni turc ni anglais. L’anglais de Michaela n’est pas parfait, mais volontaire, et cela suffit. Large sourire, démarche assurée et physique bonhomme, l’infirmière a plutôt le contact facile.

Une mission plus dangereuse qu’à l’armée

La jeune femme de 26 ans a toujours voulu devenir infirmière. Dès ses 15 ans, elle s’oriente vers l’équivalent d’un lycée professionnel délivrant le diplôme d’infirmière. Puis se lance dans quatre ans d’études et une spécialisation en soins d’urgence. En Slovaquie, les infirmières débutent leur vie professionnelle à 18 ou 19 ans. Celle de Michaela a débuté dans l’armée. Trois mois de vacances et enrôlement immédiat. Pas de tâton­nement dans le public ou le privé. « J’ai fait tous mes stages à l’hôpital, raconte-t-elle, mais je voulais entrer dans l’armée. J’avais envie d’aider les gens, d’être utile, d’avoir ce sentiment de fierté de servir le pays. » La jeune slovaque, qui n’a aucun membre de sa famille dans la « grande muette », officie pendant sept ans dans divers centres médicaux de l’armée. Puis, sa demande pour partir en mission à l’Onu est acceptée. Un véritable honneur pour elle.

Michaela découvre alors un pays radicalement différent du sien. Les paysages arides contrastent avec la verdure de ses montagnes. Et la séparation des communautés entraîne des situations assez délicates. Ainsi, selon la latitude, le café se dit turc ou grec – malgré une préparation identique –, et il serait mal venu de s’y tromper. Par contre, la navigation routière, elle, n’est pas toujours simple. « Les noms ont été changés du côté turc. Ainsi, les villes ne portent pas le même nom selon que vous possédez une carte achetée au Sud ou au Nord. Au début, c’était un cauchemar ! La première fois où j’ai conduit l’ambulance dans le Sud, le GPS ne reconnaissait pas le nom de Famagouste. J’étais perdue ! » Il ne faut pas aussi oublier l’adaptation à la conduite à gauche…

Dans l’île d’Aphrodite, Michaela est plongée dans le quotidien des forces de maintien de la paix, contrairement à son travail sédentaire dans l’armée slovaque. « C’est bien plus dangereux ici, assure-t-elle, il y a des champs de mines, des meutes de chiens errants qui sont redevenus sauvages en 40 ans de totale liberté dans la zone tampon. Nous montons aussi occasionnellement dans l’hélicoptère… »

Et la plus grande différence dans son quotidien demeure les gardes de 24 heures. « C’est très difficile surtout quand les températures dépassent les 40°, souligne-t-elle. Il n’y a pas vraiment de repos possible, il faut toujours assurer. » Les infirmiers du centre médical (deux femmes et deux hommes) se partagent un emploi du temps fractionné en quatre : une garde de 24 heures suivie d’une journée de repos, puis une garde de 8 heures et une journée de permanence.

Un établissement de premiers soins

Son café terminé, Michaela retourne voir son patient. Les examens sont revenus, le soldat peut être envoyé en convalescence dans le centre médical onusien. L’infirmière-ambulancière rassemble alors les documents médicaux dans un dossier, aide le soldat clopinant à monter dans l’ambulance et reprend le volant pour le centre médical.

Le petit bâtiment à un étage se situe juste à l’extérieur de la base onusienne, séparé simplement par une rue. Il s’ouvre directement sur la salle de garde à gauche et la salle de soin à droite. Le patient de Michaela va occuper l’un des sept lits des deux chambres de l’étage, le temps de récupérer avant de rentrer chez lui. Le centre n’est qu’un établissement de premiers soins. Il accueille les convalescences, les infections de type pneumonies, grippes, ou encore, les patients nécessitant des soins de suite. Dans cet environnement militaire expatrié, les pathologies se révèlent différentes de celles rencontrées en Slovaquie. Les soldats se blessent parfois pendant les séances de sport ou en maniant des équipements spéciaux. Mais les corps sont surtout mis à rude épreuve par l’environnement de la Méditerranée orientale, si différent de celui d’Europe centrale. « Nous avons souvent des allergies, des infections liées à des piqûres de moustique en été, par exemple… même le cactus devant le bâtiment peut se révéler dangereux », souligne un collègue slovaque. Quant aux pathologies dues aux patrouilles dans la zone tampon… secret défense !

Un monde d’hommes

Dans le petit bâtiment aux abords de la base militaire, les infirmiers assurent les soins classiques : surveillance des constantes, pansements, administration d’aspirine ou d’analgésiques, d’antibiotiques ou de corticoïdes sous la supervision d’un médecin, injections, prises de sang, sutures… Le médecin du centre est sollicité lorsque les pathologies sont trop importantes. Dans ce monde d’hommes, les femmes – une petite quinzaine – sont souvent cantonnées au centre médical ou à l’administration. Les patrouilles dans Varosha, la partie fantôme de Famagouste, fermée et interdite depuis 40 ans, sont réservées à leurs collègues masculins. Mais comme elles résident toutes dans le même baraquement, elles ont trouvé un équilibre ancré dans la solidarité. « Les gardes de 24 heures peuvent être lourdes, physiquement et mentalement. Je fais beaucoup de sport et, pendant mes jours de repos, je vais à la plage avec mes copines. Cela me permet d’évacuer, c’est important pour le mental ! », souligne Michaela. Et affirme ne pas sentir de pression machiste, pas de blague sexiste ou de geste déplacé. « Les hommes sont plutôt solidaires, notamment dans la salle de musculation », dit-elle en souriant.

Sa mission chypriote touche bientôt à sa fin. Elle va pouvoir retrouver son fiancé, lui aussi militaire slovaque. Cette année à l’Onu sera une sorte de parenthèse dans sa carrière. Une parenthèse qu’elle évoque, les yeux brillants de fierté.

MOMENTS CLÉS

1987 Naissance à Martin, en Slovaquie.

2007 Obtention du diplôme d’infirmière, spécialité : soins d’urgence. Trois mois plus tard, elle s’engage dans l’armée slovaque.

2013 Après une sélection nationale, elle est appelée pour une mission d’un an, au sein de la United Nations Peacekeeping Force in Cyprus (UNFICYP).

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