« La maladie apporte des compétences » - L'Infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014

 

INTERVIEW : CATHERINE TOURETTE-TURGIS PSYCHOSOCIOLOGUE CLINICIENNE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION À L’UPMC (PARIS VI)

DOSSIER

S. MIGNOT  

L’université des patients accueille 20 % de malades dans ses diplômes d’université (DU) et masters en éducation thérapeutique. Catherine Tourette- Turgis, la sociologue à l’origine de cette initiative revient sur l’apport de ces cursus pour les malades chroniques et anciens patients des services d’oncologie.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : D’où est venue l’idée de créer une Université des patients ?

CATHERINE TOURETTE-TURGIS : Je l’ai lancée en 2009. Aux États-Unis, dès 1997 il y avait des Universités des patients séropositifs auxquelles j’ai participé. Nous réalisions alors que survivre grâce aux promesses des trithérapies c’était bien mais pas suffisant. J’ai commencé à voir la nécessité et l’urgence d’articuler une promesse sociétale à la promesse thérapeutique. Et j’ai compris qu’il fallait des diplômes pour favoriser la réemployabilité des patients. Je voudrais montrer que la maladie nous enseigne des compétences comme, par exemple, savoir prendre des décisions en situation d’incertitude, savoir vivre en fonction d’une temporalité différente, celle des cycles de traitement ou des hospitalisations. Les malades développent des aptitudes que tout le monde n’a pas eu l’opportunité d’acquérir. Ils se retrouvent avec des capacités qu’ils ont envie d’exercer dans d’autres champs de la santé.

L’I. M. : Qui sont les patients ou anciens patients qui s’inscrivent dans ces différents cursus ?

C. T.-T. : Nous avons plus de 15 pathologies représentées : hépatite C, bipolarité, VIH, spondylarthrite ankylosante, cancers… et beaucoup de personnes polypathologiques. Grâce au DU (1), dont les enseignements sont concentrés sur deux jours par mois, nous touchons des individus isolés qui n’avaient jamais eu accès à une formation diplômante et qui, souvent, étaient investies dans le tissu associatif local mais pas dans le secteur de la santé.

Il y a aussi des gens diplômés, qui ont perdu leur capital professionnel ou souhaitent se réorienter vers l’éducation thérapeutique. Le plus jeune a 22 ans et les étudiants dans la vingtaine sont en nombre croissant. Ils veulent reprendre des études et trouver un travail. Il est impensable pour eux de ne pas être dans un processus d’employabilité. Mais ils choisissent l’écoute sociale, la formation des adultes, l’éducation… Enfin, certains de nos étudiants sont orientés par les associations de santé dans lesquelles ils s’investissent déjà, et recherchent une légitimation de l’action qu’ils mènent via un cursus diplômant.

L’I. M. : Vous constatez d’importantes transformations parmi vos patients-étudiants ?

C. T.-T. : Nous avons observé une amélioration du degré de confiance en soi, des relations avec les soignants et une meilleure compréhension déclarée de la notion de capacité à aider autrui. Nous avons noté, également, une nette amélioration de la qualité de vie perçue. Avant, je ne pensais pas bouleverser autant de choses positivement. Mais, je constate la valorisation ressentie par ceux qui n’avaient pas eu l’occasion d’étudier et qui sentent changer le regard de leurs proches. Préparer un diplôme replonge dans un environnement compétitif, ce qui est stimulant.

Le temps de l’étude met alors la maladie au second plan. Pour les plus isolés, c’est aussi le moment d’une resocialisation – se retrouver pour travailler ensemble, pour réussir –, qui a un effet quasithérapeutique. Et bien-sûr, à la sortie, 30 % de nos étudiants se sont vus proposer un emploi dans l’un des domaines visés… Un autre tiers se sont vus confier des responsabilités supplémentaires dans leur association. Les masters ont un impact plus grand en termes d’employabilité. Certains ont intégré des écoles doctorales. D’autres, après obtention de leur DU, se sont inscrits en licence Sciences de l’éducation.

L’I. M. : Des personnes réussissent à puiser dans l’expérience du cancer des ressources nouvelles pour reprendre une activité. Selon vous, qu’est-ce qui fait la différence ?

C. T.-T. : On a longtemps pensé que les gens qui avaient eu un cancer devaient se ménager et donc arrêter de travailler. Mais ce n’est pas ce que j’observe parmi les étudiants, notamment parmi les femmes qui ont eu des cancers du sein et qui veulent toujours se battre mais pas seulement contre la maladie. Elles veulent se servir de la bataille personnelle pour en poursuivre d’autres et agir pour leur promotion sociale. Tous les cancers sont différents, les traitements et leurs effets secondaires aussi. Mais l’environnement fait la différence : socio-professionnel, le capital économi que et social… Quand une ministre en exercice est concernée par un cancer, elle est dans une fonction narcissique qui lui donne le pouvoir d’agir, la force de continuer à exister. Dans l’ensemble, les personnes qui possèdent un capital économique et social s’en sortent mieux tandis que les plus fragiles sont encore plus précarisées par la maladie. D’où l’intérêt de la requalification sociale que peut apporter un diplôme…

1- L’Université des patients propose des formations courtes de 40 heures, un DU, un master en Éducation thérapeutique et un master de Didactique professionnelle en milieu de soin. Un DU sera bientôt consacré à l’Exercice de la démocratie sanitaire.