Des équipes assurent le suivi - L'Infirmière Magazine n° 344 du 01/05/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 344 du 01/05/2014

 

MÈRES EN ERRANCE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

SANDRA MIGNOT  

En Île-de-France, devant la montée de la très grande précarité, plusieurs dispositifs se sont constitués pour accompagner les femmes enceintes sans domicile fixe. Ces initiatives reposent toutes sur la coordination des secteurs sanitaire et social, afin d’amener les jeunes mamans vers le droit commun.

Ce sont des patientes comme les autres, avec les mêmes besoins fondamentaux, résume Danielle Constant, puéricultrice et directrice de la PMI des Francs-Moisins, à Saint-Denis. Elles ne nous disent pas tout de suite qu’elles sont sans logement, parce qu’elles veulent être accueillies comme les autres, mais cela vient quand même assez rapidement. » Depuis une quinzaine d’années, la population sans domicile semble avoir changé de visage en Île-de-France. Les familles, très souvent monoparentales, figurent désormais en première place dans les statistiques. Ainsi entre 1999 et 2009, le nombre de personnes avec famille a augmenté de près de 400 % parmi les individus pris en charge par le Samu social (le 115) en hébergement d’urgence, pour dépasser les 8 000(1) en 2009. Parmi elles, 6 % sont des fem­mes enceintes de plus de 3 mois.

Étrangères pour la plupart (les deux tiers sont originaires d’Afrique de l’Ouest), souvent sans papiers, sans accès à l’assurance maladie et isolées, elles sont parfois hébergées chez des tiers, jusqu’au jour de l’accouchement. « Au mieux, cela tient pendant la grossesse, tant qu’elles peuvent aider et faire quelque chose à la maison, explique Danielle Constant. Mais très vite, les tiers visualisent déjà l’enfant comme une source de souci. » Ensuite, il reste la rue ou l’appel au 115 pour trouver une place en hôtel, souvent à l’autre bout de la région. « Mais nous en connaissons qui dorment effectivement dans des cages d’escalier ou dans la salle d’attente des urgences hospitalières », rapporte Chantal Ballet, puéricultrice à la PMI des Francs-Moisins.

La Seine-Saint-Denis affiche les indicateurs de pauvreté parmi les plus alarmants de France métropolitaine. L’hôpital Delafontaine est habitué à la prise en charge de ces situations. Le service social se rend systéma­tiquement au chevet des femmes qui affichent un suivi de grossesse incomplet. L’équipe de l’unité de psychopathologie périnatale (UPP) rencontre également ces jeunes accouchées, sur appel des sages-femmes. Toutes n’ont pas besoin d’un suivi psychologique. Mais, comme le montrent les données statistiques de l’enquête « Samenta »(2), menée par l’Observatoire du Samu social auprès des usagers du 115, 22,2 % des femmes en famille monoparentale (contre 8,6 % des hommes) souffrent de troubles anxieux. Les troubles non sévères de l’humeur touchent, quant à eux, 24,2 % des femmes et 17,2 % des hommes. Ces prévalences sont beaucoup plus élevées qu’en population générale et cinq fois plus pour les troubles non sévères de l’humeur. « Ce sont des femmes qui ont quitté leur pays dans des conditions difficiles, après des catastrophes, des conflits, des ruptures douloureuses qui ont pu provoquer des traumatismes marquants. Puis qui se retrouvent ici, seules ou parfois rejetées par la famille même qui les attendait », remarque Sarah Stern, psychiatre à l’UPP.

Travail en réseau

« Souvent, elles n’ont absolument rien avant la naissance pour accueillir l’enfant : ni vêtement, ni porte-bébé, explique Brigitte Andrieux, puéricultrice à l’UPP. Alors j’ai mis en place un petit vestiaire. » L’infirmière récupère également dans le service, auprès des autres mères, des poussettes ou du matériel de puériculture, voire des jouets pour les mamans qui passent par l’UPP. « Afin qu’elles ne se sentent pas redevables, je leur dis qu’elles peuvent ramener les vêtements lorsque l’enfant aura grandi, que je les échangerai contre une taille plus grande et que cela servira à d’autres familles. » De même, l’UPP s’est constituée un véritable carnet d’adresses auprès des associations qui peuvent aider ces familles : Paris Tous Petits (qui fournit colis alimentaires et hygiéniques pour bébés), Solipam (le réseau parisien de santé périnatale pour les femmes enceintes et leurs enfants en situation de grande précarité), l’Amicale du nid (qui possède un accueil de jour pour femmes à Saint-Denis)… Une convention a également été signée entre l’établissement de santé et un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) du département qui permet d’offrir quelques journées de répit aux femmes sortant de la maternité avant de retrouver une place dans les hôtels du 115.

Car les professionnels de l’accompagnement de ces patientes s’accordent tous sur la nécessité d’un travail en réseau associant les sphères médicales, psychologiques et socia­les. La PMI est, en ce sens, un interlocuteur tout indiqué. « Nous sommes une équipe pluriprofessionnelle et souple, explique Danièle Constant. Et nous suivons toujours ces femmes même quand elles n’habitent plus le quartier car nous représentons parfois le point le plus stable qu’elles connaissent et où elles peuvent avoir envie de revenir à tout moment. » Le problème réside pourtant dans les déplacements fréquents que ces familles doivent effectuer à travers l’Île-de-France, lorsqu’elles sont hébergées par les nuitées que le 115 négocie auprès des hôteliers de la région. « Les PMI de banlieue n’acceptent pas toujours les femmes qui sont orientées par le 115 parisien, explique notamment Pascaline Esteban, travailleuse sociale et coordinatrice de l’équipe mobile famille du Samu social parisien. Elles ont déjà leurs usagers. Du coup, nous orientons davantage les femmes enceintes vers des suivis de grossesse à l’hôpital. » Là, elles auront, en outre, l’avantage de pouvoir accéder aux soins via une permanence d’accès aux soins de santé périnatalité (PASS), de bénéficier d’une coordination des rendez-vous, d’un suivi plus individualisé et de pouvoir également réaliser tous les examens nécessaires sur place.

Appui à l’allaitement

Les femmes suivies à l’hôpital Delafontaine peuvent désormais compter sur un nouvel espace institué au sein de l’accueil de jour de l’Amicale du nid : le Prenap 93(3). Depuis 18 mois, ce service s’est organisé pour répondre spécifiquement aux besoins des femmes enceintes ou avec nourrisson. L’endroit offre de quoi se doucher, se reposer, changer l’enfant, prendre une collation et ren­contrer des travailleurs sociaux, des psychologues, un sophrologue, voire des sages-femme lors de séances d’information collectives et d’appui à l’allaitement. « La coopération avec les acteurs du champ social s’impose d’emblée puisque rendre de la cohérence aux parcours de santé des usagers implique d’appréhender leurs condi­tions de vie, notamment les déterminants susceptibles de se révéler délétères », expliquait Laurence Roux, chargée de mission à l’ARS et co-conceptrice du projet Prénap 75 lors d’un colloque « Grossesse et précarité » organisé par le conseil général de Seine-et-Marne en novembre 2013.

Le programme de Saint-Denis suit en effet l’exemple de son aîné – le Prénap 75 –, un dispositif parisien fondé en 2010, qui oriente les femmes sans domicile de la maternité de Port-Royal vers l’Espace solidarité insertion familles (ESI) d’Emmaüs Solidarité dans le XVe arrondissement. « Tout est parti d’une réflexion que j’avais initiée sur la problématique de l’allaitement maternel chez les femmes en grande précarité, explique Véronique Boulinguez, sage-femme à la maternité de Port-Royal. Nous avions remarqué qu’à la perspective de la sortie, beaucoup de patientes sans domicile passaient au biberon, alors que c’est coûteux et peu pratique quand il faut transporter le matériel, que les conditions d’hygiène sont difficiles à respecter, etc. Un groupe de travail a été constitué, sur appel d’offres du Groupement régional de santé publique, qui a œuvré pendant un an et à l’issue duquel nous avons conclu qu’il fallait travailler avec un accueil de jour, qui permettrait aux femmes de répondre à leurs besoins primaires et de restaurer leur image de soi ; car l’allaitement, c’est une histoire de transmission. » Ce lieu d’accueil de jour reçoit sans condition, de manière anonyme et gratuite, des familles sans domicile, en journée, pour leur permettre de se reposer, de se doucher, de grignoter, de laver leur linge, d’engager des recherches d’emploi, d’améliorer leur niveau de français, de se socialiser, d’être réorientés vers le droit commun, etc. « Au début, j’avoue que l’entrée allaitement, je n’y croyais pas trop, explique Nathalie Martz, chef de service de l’ESI familles. À l’époque où nous avons rencontré Véronique Boulinguez, nous n’accueillions pas les bébés. Mais dès la première année, on s’est rendu compte que le projet était passionnant et qu’il permettait d’étayer la construction parentale à plusieurs niveaux : la nutrition mais aussi la santé, la médiation familiale… » Et le dispositif ne se résume pas à une indication d’orientation (une centaine de familles sont orientées chaque année par la maternité). Le personnel de l’ESI est régulièrement formé par les professionnels de Port-Royal, en ce qui concerne notamment la nutrition de la mère et l’allaitement. Sages-femmes et soignants sont régulièrement invités à visiter l’ESI afin de connaître le lieu et ainsi, mieux en parler avec les parturientes qui peuvent le fréquenter. Une bénévole offrant des massages à l’ESI passe, quant à elle, de temps en temps à la maternité rencontrer certaines patientes. « Quand on fait le lien, qu’on fait parler les femmes qui ont accouché chez nous de l’ESI, cela change complètement la relation, leur visage s’éclaire », remarque Véronique Boulinguez.

Des parcours de soin à stabiliser

Prénap 75 devrait, à l’avenir, se développer davantage. En effet, Véronique Boulinguez, sera détachée à mi-temps sur le projet à Port-Royal. « Je voudrais impliquer un maximum de professionnels de la maternité sur le projet, explique-t-elle. J’aimerais aussi l’ouvrir sur la ville, constituer un petit réseau que nos patientes pourraient solliciter. Après la sortie de la maternité, elles peuvent avoir besoin d’un petit geste comme le retrait des fils d’épisiotomie, par exemple. Une infirmière est tout à fait compétente pour cela, mais quand il s’agit de femmes sans couverture sociale ou à l’AME, elles ne peuvent pas s’adresser à une libérale. » De son côté, l’ESI familles a également enclenché des démarches pour rapprocher les femmes des médecins généralistes présents dans le quartier et stabiliser les parcours de soin. Un objectif qui rejoint l’action du réseau Solidarité Paris Mamans (Solipam), créé en 2006. Il accompagne chaque année environ 300 femmes enceintes, jusqu’aux trois mois de leur enfant. Deux binômes, associant travailleur social et sage-femme, conjuguent leurs efforts pour coordonner les soins des patientes dans cinq hôpitaux de l’AP-HP et tenter de stabiliser leur hébergement. D’après les investigations d’une élève sage-femme en 2010(4), l’initiative montre de bons résultats en ce qui concerne l’amélioration de la prise en charge médico-sociale des femmes et de leur nouveau-né. En effet, dès leur intégration dans le réseau, les femmes regagnent un taux de suivi conforme aux recommandations de la Haute Autorité de santé en la matière. Elles sont également moins nombreuses à manquer d’un médecin traitant à l’issue de leur parcours au sein du réseau et montrent une bonne observance du suivi pédiatrique en PMI. Près de 97 % d’entre elles ont des droits à la Sécurité sociale ouverts à leur sortie, contre 76 % à l’entrée dans Solipam.

« Malgré tout l’accompagnement que nous pouvons apporter, il reste très difficile de savoir si une famille pourra rentrer dans le système ou non, conclut Danielle Constant. Nous voyons des familles précaires qui se débrouillent moins bien avec un toit sur la tête, alors que d’autres à la rue parviennent à s’organiser entre les différents lieux-ressource. » D’où l’importance de maintenir et de développer différents points d’ancrage comme les PMI, les accueils de jours réservés aux femmes ou aux familles. Des initiatives capitales en terme de santé publique, mais qui relèvent, aujourd’hui, surtout d’une volonté politique.

1- Sans compter 5 000 à 6 000 personnes en famille, prises en charges par d’autres institutions.

2- Santé mentale et addictions chez les sans-domicile franciliens, Observatoire du Samu social 2011. http://observatoire. samusocial-75.fr/index.php/fr/nos-enquetes/ samenta

3- Projet régional expérimental « Nutrition et allaitement maternel chez les femmes précaires ».

4- Grossesse et précarité : étude descriptive du réseau Solipam, mémoire pour le diplôme d’état de sage-femme, soutenu le 7 avril 2011 par Caroline Scoazec, École de sages-femmes de Baudelocque, Groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de-Paul.

SAVOIR PLUS

→ Les actes de la journée « Familles en errance, quel accueil et quels soins proposer » sont en ligne sur leur site internet.

http://www.maisondelasante.fr/?page_id=961

→ Mères et bébés sans papiers, Christine Davoudian, Éditions Érès, 2012, 13,50 €.

→ Le rapport du Samu social à la Direction générale de la santé « Féminité, accès aux soins, maternité et risques vécus par les femmes en grande précarité – une contribution à l’amélioration de leur santé gynécologique », paru en juin 2005, est disponible sur le site de l’Observatoire du Samu social.

DES GROSSESSES À HAUT RISQUE

En France, l’Enquête nationale périnatale de 2010 révèle que 20 % des femmes sans ressources ou sans revenu du travail (contre 7 % pour celles percevant des revenus du travail) bénéficient d’un nombre total de consultations médicales inférieur aux sept prévues dans le cadre du suivi de grossesse en France. 8,5 % accouchent avant 37 semaines d’aménorrhée (contre 6,3 % chez les femmes en emploi). Et 9,6 % donnent naissance à un enfant dont le poids est inférieur à 2,5 kg (contre 5,9 %). Selon diverses études internationales, le risque de grande prématurité, d’hypotrophie du nouveau-né voire de décès in utero croît avec l’élévation de l’indice de précarité. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ces futures mamans en grandes difficultés soient également plus souvent hospitalisées avant l’accouchement : cela arrive à 24 % d’entre elles, contre 18 % des femmes occupant un emploi. Le risque d’anomalies congénitales, principalement non chromosomiques (anomalies de fermeture du tube neural, anomalies rénales et urinaires, anomalies des membres, anomalies de la paroi abdominale) augmente également avec l’indice de précarité. Les mécanismes qui expliquent ces interactions ne sont pas encore élucidés. Une étude de cohorte (Precare) est en cours en France sous la direction du Dr Élie Azria, dans quatre maternités d’Île-de-France. L’objectif est d’inclure 10 000 femmes enceintes et d’étudier entre autres : l’impact de la précarité maternelle sur le devenir obstétrical et néonatal, les parcours de soin en cas de situations précaires et l’impact de la grossesse sur la situation socio-économique. L’investigation cherchera aussi à identifier parmi les diverses situations de précarité maternelle, celles jouant un rôle majeur sur les issues défavorables obstétricales et néonatales et sur la survenue d’événements graves.

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