« La libération de la parole est capitale » - L'Infirmière Magazine n° 343 du 15/04/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 343 du 15/04/2014

 

INTERVIEW : NADIA LAÏB INFIRMIÈRE À L’INSTITUT DE CANCÉROLOGIE DE L’OUEST

DOSSIER

Nadia Laïb assure, depuis 2007, une consultation d’annonce infirmière à l’Institut de cancérologie de l’Ouest. Cette rencontre est le moyen pour des patientes atteintes d’un cancer du sein de se préparer à leur opération, également d’anticiper l’ « après ».

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Y a-t-il un ordre établi, pour mener votre consultation ?

NADIA LAÏB : Son déroulement est fonction de chaque rencontre. Si la personne vient avec sa liste de questions, je vais lui répondre. Si rien de spécial ne lui vient à l’esprit, je l’interroge d’abord sur son ressenti. Je repars de la consultation d’annonce médicale. Je pose des questions comme : « Je vois que vous avez vu le chirurgien tel jour. Que s’est-il passé depuis ? » Parfois, il faut une bonne demi-heure avant d’aborder l’hospitalisation et son déroulement. J’ajuste, en fonction de ce qui se passe pendant la rencontre. En m’interrogeant toujours sur ce dont les patientes ont besoin pour avancer. De ce qui est aidant pour elles.

L’I. M. : Comment abordez-vous l’opération ?

N. L. : Il faut préparer les gens. Certaines informations ne peuvent aisément être délivrées le jour de l’intervention. Quand on revient d’une anesthésie, on est un peu groggy, on peut être un peu amnésique. Pouvoir anticiper, évoquer en consultation le retour à domicile, le pansement, permet de retenir les informations avant l’intervention. Et le jour de l’opération, il n’y a plus que des redites. La particularité est de faire entrevoir quelque chose qui est assez irréel, tant que cela n’est pas fait. Nous évoquons toutes les modalités de l’opération, émotionnelles ou pratiques. Je procède de manière assez narrative. Je ne dis pas « votre entrée est prévue à 8 heures », mais « vous arriverez à 8 heures, vous arriverez par là… mes collègues vous accueilleront, une aide-soignante… » et ainsi de suite. Il est important d’employer des mots acteurs : « Vous irez au bloc. Votre lit sera roulé… » Ce sont les détails qui donnent une réalité et permettent, comme pour une histoire, de se projeter. C’est cela que j’appelle préparer les gens.

L’I. M. : Quelles sont les questions qui reviennent souvent ?

N. L. : Le côté pratique, l’organisation sont souvent évoqués. Cela peut être : « Est-ce que je pourrai me laver ? » ou « Est-ce que je pourrai porter mon fils de 16 mois ? » Pour ces patientes, les choses sont très floues. On leur a bien expliqué leur cancer, pourquoi, comment l’intervention va se passer. Mais pour ce qui concerne l’après, ce qu’elles vont mettre en place, tout cela est abordé plutôt pendant la consultation infirmière. Et du coup, ces femmes sont prêtes. Cela dédramatise la maladie. Comme le fait de savoir qu’elles rentreront chez elles le soir de l’opération.

L’I. M. : Qu’est-ce qui va être aidant pour une patiente ?

N. L. : La libération de la parole est capitale. Le regard de l’autre est un sujet qui revient très souvent et qui est perçu de manière très aigüe. Si la patiente en ressent le besoin, nous pouvons parler de la mort. C’est un sujet qu’en général la famille ne veut jamais aborder. L’expression est libre. Mais quelquefois, il faut un peu recadrer. Nous sommes sur un fil. C’est un rôle nouveau, un exercice d’équilibre. Il ne s’agit pas de se substituer au psychologue ou au médecin. Je précise au début de chaque consultation que nous ne sommes pas à un entretien médical. Avec la pratique nous avons acquis de la psychologie, mais parfois, des problématiques particulières sont soulevées, il faut dire « stop ». On peut alors conseiller une consultation avec un psychologue aux patientes qui veulent aller plus loin.

L’I. M. : Quel regard portez-vous sur cette consultation ?

N. L. : C’est nouveau pour nous. Et différent d’un entretien d’écoute dans une chambre. D’habitude, l’infirmière a sa blouse blanche, son chariot, elle peut entrer et sortir. Si les choses se compliquent, elle peut fuir. Dans la chambre, il y a toujours des collègues, du mouvement. Ici, on se retrouve dans un face-à-face que l’on n’a pas apris à gérer. On a une heure. Il n’y pas d’échappatoire. Parfois, nous recevons beaucoup de choses. Mais c’est très riche. Dans cette consultation, le rôle de l’infirmière est pris en compte dans toute sa dimension.

L’I. M. : Le secret d’une consultation d’annonce réussie dans un service ?

N. L. : La transparence. C’est indispensable. Je connais bien les chirurgiens. J’ai assisté à quelques unes de leurs onsultations d’annonce. Je sais ce qu’ils disent et comment ils le disent. Le respect est capital, envers le patient et l’infirmière. Il ne faut pas de rétention d’information. Avant ma consultation, j’arrive plus tôt pour lire mes dossiers. Les chirurgiens sont au staff. S’il un dossier que je ne comprends pas, je vais leur demander. Ils sont accessibles et respectueux. La confiance, c’est la condition sine qua non pour que nous travaillions ensemble.