Soins ordinaires adaptés - L'Infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014

 

HANDICAP

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

CATHERINE FAYE  

Réintégrer la personne extra « ordinaire » dans une prise en charge ordinaire. C’est la philosophie de l’équipe de l’hôpital de jour du CH Camille-Guérin, à Châtellerault (86), exclusivement dédiée aux patients en situation de handicap.

« À l’hôpital, soigner une personne handicapée comme un patient ordinaire ne fonctionne pas : une consultation habituelle dure trop longtemps, il faut souvent du personnel pour pouvoir soulever, porter, déshabiller le patient, éviter qu’il ne s’impatiente ou touche à tout… Ici, nous offrons un lieu où l’on rend possibles le soin et le suivi médical », explique Béatrice Peurichard, l’infirmière du service. Un service qui propose une prise en charge globale et de qualité, médicale et dentaire. Ce type d’organisation du soin est une première en France, et permet de sortir de la sphère d’expériences parfois difficiles et douloureuses. Les personnes en situation de handicap sont, ainsi, progressivement réintégrées dans la filière de soins ordinaire. C’est l’engagement et la ténacité de la direction du CH Camille-Guérin de Châtellerault, des associations Handi-soins 86(1) et Aosis(2) qui a permis de créer une extension du centre hospitalier, créé en 2001. L’aile destinée à l’hôpital de jour pour personnes handicapées a ouvert ses portes en janvier 2011. Unique en France, il permet aux patients souffrant de différentes formes de handicap – retard mental, autisme, déficit sensoriel, polyhandicap… – de disposer d’un suivi médical et d’une prise en charge bucco-dentaire. L’objectif est de proposer, dans un cadre serein, des soins identiques à ceux pratiqués pour des patients non porteurs de handicaps.

Dans la salle d’attente dépouillée et lumineuse, un poste de télévision diffuse des documentaires sur la vie des animaux, la nature. Au centre de la structure, un patio à ciel ouvert aux allures de jardin japonais. Secrétariat, cabinet médical, cabinet dentaire, vaste salle avec deux lits pour les réveils d’anesthésie ou autres besoins médicaux… L’espace s’étend sur environ 100 m2, hors du champ agité du reste de l’hôpital. Minimaliste et pensé pour accueillir des patients en fauteuil roulant ou sur des brancards, il est animé d’une atmosphère à la fois sereine et joviale. Les couleurs tendres des murs et des chaises calment l’inquiétude de certains patients. L’organisation du service participe également à cette impression d’apaisement : cloisonnement de l’espace pour un effet d’hypostimulation ; possibilité de déambulations sans contrainte et en sécurité. Les consultations s’organisant sur rendez-vous, le service transmet à l’avance la liste journalière des patients afin que les procédures de préadmission soient effectuées en amont.

Limiter les stimulations

Le fonctionnement de l’hôpital de jour s’établit selon un type ambulatoire. Lors de la prise de rendez-vous téléphonique, le choix des créneaux horaires s’effectue de manière à préserver une fréquentation faible et régulière, afin de limiter les effets d’hyperstimulation. Une vigilance particulière est apportée au respect des horaires. En cas d’impossibilité, le temps d’attente se vit dans l’unité, ce qui limite sensiblement le risque de survenue de troubles du comportement. « Par ailleurs, nous essayons de garder le même praticien tout au long des soins », insiste Agnès Michon, médecin hospitalier coordinatrice, qui dirige le service. Les différents actes sont prévus au cours de consultations externes ou d’une journée d’hospitalisation de jour. Ils sont regroupés en fonction du seuil de tolérance du patient. « L’idée dominante est d’offrir le maximum de soins tolérables dans un minimum de temps, indique le médecin. Tout au long de son parcours de soins, nous privilégions l’accompagnement du patient par un membre de son entourage qui le connaît bien et par l’infirmière ou l’une de nos deux secrétaires. » En effet, Catherine Favre et Marie-Françoise Babot effectuent un travail essentiellement basé sur l’accueil et l’accompagnement. Quant à la prise en charge, elle a été pensée de manière plur­disciplinaire, pour ouvrir la possibilité d’apporter une réflexion cohérente, globale, et offrir un programme de soins personnalisés. « Un changement de comportement récent doit conduire avant tout à la recherche d’une origine somatique, avant d’envisager des majorations de traitements neuroleptiques. L’évaluation de la douleur se fait à l’aide d’échelles adaptées à la personne non communicante ou polyhandicapée », poursuit Agnès Michon. Ainsi, le service représente une véritable porte d’entrée sur l’hôpital et ses différents plateaux techniques pour des soins curatifs et de prévention : soins médicaux (cardiologie, pneumologie, ophtalmologie, ORL, gastro-entérologie…) ; bilans biologiques ; imagerie médicale (radiologie conventionnelle, échographie, panoramique dentaire, scanner et IRM) ; traitements chirurgicaux (orthopédie, viscéral, gynécologie, dentaire). Parallèlement, des soins dentaires au fauteuil sont proposés par des chirurgiens-dentistes libéraux qui interviennent lors de vacations d’une demi-journée dans le service. Tout ce qu’un hôpital propose en matières d’examens et de soins est facilement accessible. Tout est fait pour rassurer des personnes fragiles dont l’approche nécessite temps, disponibilité, patience, inventivité parfois.

Prévention et partage d’infos

Dans le cabinet dentaire, Francis, 13 ans, est installé dans le fauteuil. Il est atteint d’un autisme Asperger. Sa mère l’accompagne et assiste aux soins. « Tu es un vrai champion », lui lance le chirurgien-dentiste. Puis, il se tourne vers la maman : « Madame, sur le plan de l’alimentation, vous savez que certains aliments sont à éviter ? » La séance se déroule sans heurts pour le jeune patient comme pour le praticien. Ce qui n’est pas toujours le cas. La présence, lors des soins, des parents ou de certains accompagnants pour les patients adultes permet d’aborder le volet prévention. Béatrice Peurichard acquiesce : « Je comprends les parents et les patients. Ma fille est autiste. Traiter ces enfants comme des gamins ordinaires ne fonctionne pas. Je dis aux parents que dans mon cas aussi, c’est la même chose. Je leur parle de mon expérience, nous partageons nos informations, ça désamorce la tension. Et ça crée un lien. » Diplômée de l’Ifsi du centre hospitalier Le Blanc, dans l’Indre, cette infirmière enthousiaste, au long parcours professionnel, n’a pas hésité à suivre des études d’assistante dentaire pour faire partie de la petite équipe pionnière. Sa double casquette représente un plus inestimable pour le service. Essentielle, l’interaction entre pathologies dentaires et santé en général est pourtant souvent oubliée. « La demande en termes de médecine générale est venue via le dentaire et par le bouche-à-oreille, confirme Agnès Michon. Le bénéfice des soins dentaires pour nos patients est inimaginable. Vis-à-vis d’eux, investir le champ dentaire n’est pas chose aisée. Pourtant, de nombreuses pathologies peuvent découler d’un mauvais état bucco-dentaire, comme certains troubles du comportement. » Enfin, un travail de sensibilisation sur l’accueil des personnes handicapées est mené au sein du centre hospitalier. « Nous étendons notre mission en proposant une aide infirmière dans les services lors de l’hospitalisation complète d’une personne handicapée », précise Béatrice Peurichard.

En trois ans, la file active de l’hôpital de jour a énormément augmenté. La progression des demandes et des séances de soins sont à l’aune du succès et de la nécessité d’une telle structure. Agnès Michon, aux côtés de son équipe, reste formelle : « La philosophie du service est de faire regagner à cette population le chemin du suivi médical ordinaire. » Pour l’heure, la prise en charge du handicap est une priorité de la région Poitou-Charentes, et le modèle initié par l’hôpital de jour a pour vocation d’être reproduit au plan national. L’unité montre déjà un rayonnement régional, avec quelques demandes hors du département. Dans une vraie perspective de service public.

1- Regroupement d’associations de la Vienne œuvrant auprès des personnes en situation de handicap : Adapei, Apajh, Apsa, Autisme Vienne, Droit de vivre son handicap.

2- Aide odontologique de suivi itinérant de soins.