Chimiothérapie et mucite - L'Infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

STÉPHANIE MOSNIER-THOMAS  

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme L., 64 ans, est adressée en urgence dans le service d’hématologie clinique du CHU de Bordeaux devant la découverte d’une pancytopénie sur un examen fait en ville à Mont-de-Marsan. C’est devant l’apparition récente d’une asthénie et de rectorragies que le médecin traitant a fait réaliser une numération formule sanguine. Celle-ci montre : des leucocytes à 4 200/mm3, dont 10 % de poly-nucléaires neutrophiles, et 90 % d’éléments immatures, une hémoglobine à 6,7 g/dl et des plaquettes à 8 000/mm3. Le diagnostic de leucémie aiguë myéloblastique de type 2 est posé.

Madame L. débute dès le lendemain, après la mise en place d’un cathéter veineux sous-clavier gauche, une chimiothérapie d’induction de cette leucémie qui associe : Aracytine 100 mg/m2 X 2 par jour en IV continue à la seringue électrique sur 12 heures ; Idarubicine 8 g/m2 en perfusion de 15-30 min pendant 5 jours consécutifs à 15 heures. Par ailleurs, cette patiente est sous Seropram®, pour traiter ses épisodes dépressifs.

Une semaine après le début de sa chimiothérapie, Mme L. se plaint de douleurs au niveau buccal.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La patiente développe une mucite (inflammation de la muqueuse), effet indésirable de la chimiothérapie. D’autre part, l’interne du service a également détecté une xérostomie (sécheresse buccale) iatrogène due à la prise de Seropram® (citalopram), autre facteur augmentant le risque de développer une mucite.

2. QU’EST-CE QU’UNE MUCITE ?

Une mucite est l’inflammation d’une muqueuse qui recouvre l’intérieur des cavités et viscères, à la suite d’un traitement, aggravée par une infection surajoutée. Elle débute par un érythème avec des désquamations de certaines plages qui se transforment en véritables ulcérations provoquant une dégradation rapide de la qualité de vie.

Clinique

Cette complication engendre : douleurs ; problèmes nutritionnels ; risque d’hospitalisation intercurrente en cas d’aphagie ; surcroît d’infection systémique par destruction de la barrière muqueuse ; risque d’interruption du traitement spécifique de la maladie.

On peut distinguer quatre phases évolutives suivant l’administration de la chimiothérapie :

– phase inflammatoire, de J 0 à J 5 : asymptomatique, présence d’un érythème ;

– phase épithéliale, de J 0 à J 5 : présence de zones de desquamations blanchâtres, d’atrophie, début d’une gêne aux zones de contact. Les zones atteintes sont les lèvres, le palais, le plancher buccal, la langue, les gencives ;

– phase ulcérative, de J 6 à J 12 : douleurs au niveau de zones de contact muqueuses-dents ; ulcérations et érosions douloureuses ; présence de fibrine ; aspect de pseudomembranes ; dysphagie aux solides puis aux liquides pouvant évoluer jusqu’à l’aphagie. Cette phase de destruction de la membrane basale peut correspondre à la période de neutropénie, avec le risque d’infections systémiques, notamment par Bacille Gram négatifs, de surinfections fungiques, virales herpétiques.

– Phase de reépithélisation, de J 12 à J 16 : cicatrisation de la muqueuse correspondant à la fin de la période de neutropénie et à la réascension des globules blancs.

Classement de l’intensité des mucites

L’Organisation mondiale de la santé a défini quatre grades :

– grade 0 : absence de stomatite ;

– grade 1 : ulcère indolore, érythème, douleurs légères sans lésions ;

– grade 2 : érythèmes douloureux, œdèmes ou ulcères, déglutition possible ;

– grade 3 : érythèmes douloureux, ulcères nécessitant réhydratation pour perfusion ;

– grade 4 : ulcère sévère, alimentation entérale nécessaire.

Facteurs de risque

– Le traitement : type de chimiothérapie ; dose de chimiothérapie ; schéma d’administration en bolus ou en continu ; traitements par radio-chimiothérapie concomitante.

– Le terrain : état bucco-dentaire du patient ; xérostomie préexistante par radiothérapie ORL antérieure, traitement par antidépresseurs, antihypertenseurs, diurétiques ; immunodépression ; possibilité de maintenir une hygiène bucco-dentaire satisfaisante.

Retentissement

– Les symptômes : douleur, dysphagie, dysphonie.

– Porte d’entrée pour les infections bactériennes et mycotiques, avec un risque vital associé à certaines septicémies.

– Effets sur l’alimentation, avec risque d’entraîner une dénutrition majeure, des modifications du goût, de la salivation et une douleur intense.

– La perturbation de la salivation, à plus long terme, peut favoriser le développement des caries, le déchaussement des dents, les ostéonécroses après irradiation.

3. PRISE EN CHARGE

Traitements préventifs

Évaluation préalable des traitements

– Évaluation de l’état bucco-dentaire, qui peut être le point de départ de l’infection.

– Évaluation de l’appareillage en place.

– Soins bucco-dentaires (extractions, détartrage, soins parodontaux).

Soins de bouche quotidiens (3 fois/jour)

– Maintenir la bouche humide.

– Utiliser une brosse chirurgicale très souple pour ne pas majorer les risques d’abrasion de la muqueuse buccale (contre-indiqué si thrombopénie < 20 000 plaquettes).

– Mouiller la brosse à dents pour la rendre plus souple, et ne pas utiliser un dentifrice à base de menthol.

– Possibilité d’utiliser un jet dentaire.

– Bain de bouche au bicarbonate de sodium 14°/00.

Traitements curatifs

Ils reposent sur :

– La poursuite des soins de bouche quotidiens habituels (en adaptant le matériel au contexte = par exemple, bâtonnets à la place de la brosse à dents).

– L’apport d’eau (spray) ou de salive artificielle.

– L’apport de fluidifiant en cas de salive épaisse.

– Bains de bouche au cola, ananas frais, jus de pomme.

– Bains de bouche médicamenteux sur prescription médicale (4 à 6 fois par jour).

– Antibiothérapie en cas de fièvre prolongée (> à 3 jours) ; antiviral systémique (Zelitrex®- Zovirax®), parce qu’il est très difficile de différencier les ulcérations mycosiques des ulcérations herpétiques sur prescription médicale.

Le traitement de la douleur

– À commencer dès les premiers signes de mucite ; à adaper régulièrement selon l’EVA.

– Utiliser antalgiques locaux ou généraux, morphine.

Le support alimentaire avec l’aide d’un diététicien : boissons et nourriture froides ou glacées non acides ; éviter alcools et épices ; alimentation parentérale pour assurer un apport calorique suffisant et éviter un déséquilibre nutritionnel.

Surveillance : évolution locale de la mucite ; contrôle régulier de la douleur ; surveillance du poids et surveillance biologique.

4. RÔLE INFIRMIER

RÉALISER LES SOINS LOCAUX

Les soins de bouche hygiéniques sont réalisés au minimum 2 à 3 fois par jour après les repas (à distance).

Précautions liées au soin de bouche

– Avant tout soin, pratiquer un examen de la bouche : examen des lèvres et commissures, observation de la cavité bucale, odeur de l’haleine, saignement des gencives.

– Prévenir le patient, lui expliquerle soin et demander sa participation.

– Le soin de bouche pratiqué au doigt est anatomique, doux et efficace. Il sera préféré au soin pratiqué à l’abaisse-langue (ne pas utiliser de pince en raison du risque de blessure).

Réalisation du soin

– Se laver les mains.

– Installer le patient en position demi-assise ou en décubitus latéral (suivant son état).

– Le protéger avec la serviette de toilette.

– Mettre les gants de soins non stériles.

– Vérifier s’il a une prothèse ; dans ce cas, la retirer, la brosser et la tremper 15 minutes dans un verre d’eau tiède avec du Dakin (bactéricide, fongicide, virucide) ou une préparation de bicarbonate de sodium effervescent type Stéradent®.

– Enrouler une compresse autour du doigt (ou de l’abaisse-langue).

– Imbiber la compresse de la solution de rinçage, l’essorer au dessus du gobelet et nettoyer la cavité buccale : en commençant par l’extérieur des gencives (en haut puis en bas), l’intérieur des joues, le palais, la face interne des gencives, sous la langue, sur la langue, en procédant toujours du fond vers l’avant.

– Au cours du soin, changer de compresse autant que nécessaire.

– À la fin du soin, essuyer la bouche du patient, rincer et remettre les prothèses.

– Adoucir, lubrifier les lèvres avec de la vaseline, de la pommade au Calendula ou un baume labial.

– Réinstaller le patient.

– Nettoyer et ranger le matériel.

– Se laver les mains.

– Brosser les dents ou les prothèses dentaires du patient 3 X jour.

Attention au corps gras : risque de brûlures si O2 sous pression ; à éviter si O2 au masque.

Bains de bouche

– Bicarbonate de Na 1,4 % : sans dilution, 10 à 15 minutes après les repas, à garder 3 minutes en bouche (stabilité 24 heures à 48 heures au réfrigérateur).

– Bicarbonate de Na poudre : 1 cuillère à café dans un grand verre d’eau (stabilité 24 heures).

À noter : le patient doit rester à jeun 20 minutes après le bain de bouche.