DROIT D’OPTION OU MARCHÉ DE DUPES ? - L'Infirmière Magazine n° 329 du 15/09/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 329 du 15/09/2013

 

RÉFORME STATUTAIRE

Actualité

La refonte des statuts de la filière soignante de la fonction publique hospitalière s’est achevée avec le droit d’option des cadres de santé, fin juin. Les agents dont elle était censée revaloriser les carrières n’étaient pas tous égaux face au choix.

Les IDE et les infirmières spécialisées ont eu beau essuyer les plâtres en 2011 et en 2012, le droit d’option des cadres de santé de la fonction publique hospitalière (FPH) est « certainement » celui qui « s’est le plus mal passé », juge Philippe Crépel, de la fédération santé de la CGT. Bien qu’il concernât beaucoup moins d’agents – entre 3 000 et 5 000 selon la CGT –, il était bien plus complexe. Principale difficulté : reconstituer les carrières des agents pour déterminer lesquels étaient éligibles au droit d’option. Pour en jouir, il fallait justifier d’une quinzaine d’années d’exercice en service actif, une traçabilité que nombre d’établissements ont eu du mal à opérer dans les temps. Résultat, après de premières informations erronées délivrées par leur direction, certains cadres n’ont eu que « 24 heures au lieu de six mois pour faire leur choix », témoigne Olivier Mans, cadre supérieur de santé à l’Établissement public de santé mentale de Caen. Le ministère de la Santé, qui espère disposer de l’ensemble des statistiques courant septembre, promet de mettre en ligne « un bilan exhaustif » sur son site Internet.

Reclassement

En attendant, des données relatives à l’AP-HP offrent un aperçu de la façon dont les cadres de santé ont exercé leur droit d’option. La Direction des ressources humaines de l’AP-HP indique que sur 2 803 courriers envoyés aux cadres par la direction, 1 949 ont fait l’objet d’une réponse, dont, notamment, 1 591 demandes de reclassement dans le nouveau corps (56,8 %) et 358 demandes de maintien dans le corps en extinction (12,8 %). « Pratiquement tous les spécialisés ont demandé le reclassement », constate la Direction des ressources humaines de l’AP-HP.

Quant aux 854 cadres qui n’ont pas répondu, une centaine d’entre eux relevaient de corps non classés en service actif(1) et n’étaient donc pas concernés par le droit d’option : ils sont reclassés d’office dans le nouveau corps des cadres de santé paramédicaux. Pour les 750 dossiers restants, le CHU a dû déterminer, au cours de l’été, qui pouvait bénéficier du droit d’option. Ceux qui y étaient éligibles mais ne se sont pas prononcés ont été automatiquement maintenus dans leur corps d’origine. Le reclassement concerne finalement 2 220 cadres, soit 79,2 % du total. Un taux beaucoup plus élevé que pour les IDE et infirmières spécialisées.

Selon les chiffres consolidés de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), seules 52,3 % des IDE ont choisi d’intégrer la catégorie A de la FPH(2). Le résultat est à peine différent pour les infirmières spécialisées, qui ont choisi le nouveau corps à 54 %. Avec, toutefois, des différences régionales très marquées, de 38 % de reclassement en Corse à 74 % en Picardie. On note aussi des nuances entre spécialités, d’une part, et entre l’AP-HP et le reste de la FPH d’autre part. Les Ibode et les puéricultrices de l’AP-HP se sont moins précipitées sur le reclassement que les autres. À l’inverse, les Iade de l’AP-HP ont plus opté pour le reclassement (57 % contre 51 % hors AP-HP).

Quadragénaires

Qu’il s’agisse des IDE ou des infirmières spécialisées, « la répartition par tranches d’âge est assez cohérente avec les enjeux du reclassement », observe-t-on à la DGOS : les jeunes infirmières ont davantage opté pour la catégorie A, compte tenu de leurs perspectives de carrière ; la bascule s’opère chez les quadragénaires. Avec, toutefois, un infléchissement chez les plus âgées. Ayant déjà dépassé l’âge du départ anticipé, les agents de 57 ans et plus ont davantage demandé le reclassement. Une attitude différenciée par classes d’âge, qui n’a pas joué chez les cadres de l’AP-HP, constate la Direction des ressources humaines de l’AP-HP. Cette différence de comportement entre personnels infirmiers et cadres s’explique par le fait que les revalorisations indiciaires prévues par le nouveau statut des cadres sont nettement supérieures à celles des nouveaux statuts infirmier et infirmier spécialisé, décrypte Philippe Crépel.

Chantage

« Les cadres supérieurs ont été les mieux servis », abonde Olivier Mans : « Pour trois ans de plus (départ à la retraite à 60 ans au lieu de 57 ans, NDLR), la différence salariale en fin de carrière est de 416 euros net par mois. » Contre 316 pour les IDE, 276 pour les Ibode et les puéricultrices et 172  pour les Iade(3). Sans compter que le corps des cadres de santé mis en extinction étant classé en catégorie sédentaire depuis sa création, en 2001, les années de service actif à comptabiliser étaient celles exercées antérieurement dans les corps classés en catégorie active. « L’effet de chantage salaire contre retraite a donc moins joué que pour les infirmières », analyse le secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers, Thierry Amouroux. Pour ces dernières, le choix de « la catégorie A était vraiment un marché de dupes », estime Olivier Mans, « car elles perdaient le départ à 57 ans et la bonification d’un an tous les dix ans pour la retraite. Un acquis important ». Notamment pour les femmes, dont les carrières sont moins linéaires que celles des hommes.

1- Anciens ergothérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, techniciens de laboratoire, pédicures-podologues, diététiciens, psychomotriciens préparateurs en pharmacie hospitalière.

2- Un taux inférieur à la moitié dans quatre régions : Bourgogne (42 %), Paca (44 %), Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes (47 %).

3- À compter du 1er janvier 2015.

RETRAITE

À LA RECHERCHE DE LA PÉNIBILITÉ PERDUE

La création de nouveaux statuts pour les infirmiers et cadres de la FPH, en vertu du protocole d’accord du 2 février 2010, visait, notamment, à relever l’âge de départ en retraite des agents pour assurer le rééquilibrage financier de leur régime de retraite. Le passage des infirmières de la catégorie B à la catégorie A s’est accompagné, pour le volet retraite, du classement en catégorie sédentaire, avec la perte des avantages associés à la catégorie active – âge minimal de départ, bonification de 1/10e. Avec, en toile de fond, cet argument : le pourcentage de départ en invalidité pour les infirmières de la FPH a fortement diminué entre 1993 et 2008, passant de 7,8 % à 4,1 %, et il est inférieur au pourcentage moyen de la FPH. De là à dire que la pénibilité infirmière est une vue de l’esprit…

Promesse

Quoi qu’il en soit, les infirmières embauchées après 2010 ne partiront à la retraite qu’à 62 ans, comme leurs collègues du privé(1). Or, « nos professions ont un seuil de pénibilité très élevé », martèle Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière. En 2010, Marisol Touraine, future ministre de la Santé, avait dit qu’il faudrait remettre la pénibilité sur le tapis au moment de la réforme des retraites, rappelle Philippe Crépel. Nous y sommes, et « nous n’avons toujours aucun rendez-vous sur la pénibilité infirmière », dénonce-t-il. La création d’un compte pénibilité individuel, annoncée fin août, concernera les salariés du privé, alors que la majorité des infirmières cumulent jusqu’à cinq des facteurs de pénibilité définis(2). Si le dispositif semble inadapté à la FPH, les syndicats n’imaginent pas que les infirmières restent à l’écart de la discussion sur le sujet. « On sera tenaces », promet Philippe Crépel.

C. A.

1- Entre 55 et 57 ans pour les IDE restées en catégorie B ; 60 ans pour celles ayant opté pour la catégorie A.

2- Manutention de charges lourdes, postures pénibles, exposition à des agents chimiques dangereux, travail de nuit, en équipes alternantes, travail répétitif, exposition au bruit et travail en milieu hyperbare. Lire aussi l’article paru sur Espaceinfirmier.com