La pédiatrie comme fil d’Ariane - L'Infirmière Magazine n° 328 du 01/09/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 328 du 01/09/2013

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Femme de caractère et infirmière de vocation, Isabelle Galantine ne craint pas le changement. Réanimation néonatale, libéral, recherche…, elle travaille avant tout « en accord avec ses valeurs ».

Service de chirurgie pédiatrique d’un hôpital marseillais. Isabelle Galantine, 46 ans, a troqué sa blouse d’infirmière contre des vêtements de ville. C’est donc en civil, porte-document sous le bras, qu’elle se rend au bureau des infirmières. Ce matin, elle n’a pas rendez-vous, c’est son premier contact avec ce service, elle souhaite rencontrer la cadre. Au vu du tumulte ambiant, elle se fait discrète, attendant le moment opportun. « Je sais ce que c’est, je me suis trouvée à leur place, pas question de les déranger pendant les transmissions », chuchote-t-elle. Le rush passé, elle se renseigne auprès de l’équipe. La cadre infirmière

la reçoit. Rapidement. Elle a dix minutes. Un exercice qu’elle rode depuis deux mois. Isabelle est infirmière coordinatrice pour un prestataire de services en soins à domicile. « J’ai été embauchée pour développer la pédiatrie. Je suis donc chargée de faire connaître nos prestations dans les services hospitaliers, les réseaux professionnels. Si l’on m’avait dit que je ferais ça un jour, je n’y aurais pas cru, et pourtant, ça me plaît ! » Isabelle a grandi dans la région de Toulon, où elle a fait ses études d’infirmière. Elle l’a quittée pour réaliser son rêve de petite fille : soigner les enfants. « Je suis une infirmière ordinaire, presque une caricature… Gamine, j’avais la mallette de docteur avec toute la panoplie, je ramassais les animaux blessés pour les “réparer”. À 5 ans, je voulais déjà faire ce métier », annonce-t-elle tout de go, étonnée que l’on s’intéresse à son parcours. « Le plus important pour moi, c’est d’être bien dans mon travail. Pour être efficace, il faut aimer ce que l’on fait. Dans notre métier, nous disposons d’une palette de possibilités : hospitalier, libéral ou extra-hospitalier. Il existe tellement de façons d’exercer ! J’ai fait pas mal de choses, mais je n’ai encore jamais travaillé dans un dispensaire, ni effectué de prévention à grande échelle. Aujourd’hui, j’ai pris une nouvelle voie : le privé. » Ce n’est pas un hasard si Isabelle a choisi son poste actuel. Son diplôme en poche, elle entre au service de pédiatrie générale de l’Intercommunal de Créteil, en région parisienne. La jeune femme a choisi de ne pas se spécialiser, mais elle souhaite cependant travailler avec les enfants. « J’ai adoré cette période. Au bout d’un an, j’ai changé de service, un poste se libérait en réa néonatale, personne n’en voulait », se souvient-elle. Mue par l’envie de découvrir un univers à part, où les machines font loi autour de petits êtres fragiles oscillant entre la vie et la mort, la jeune femme se lance. L’expérience est forte. « On vivait dans un concentré d’émotions : joies immenses, grosses crises, et liens humains très forts. C’était passionnant. J’étais toute jeune, dans la performance, je voulais effectuer correctement chacun de mes actes, mais j’avais peu de notions de pédagogie. J’expliquais aux parents de grands prématurés tous les détails techniques sur les soins… Ensuite, j’ai appris à rassurer : “Vous allez entrer dans une salle aux airs de vaisseau spatial, mais ce qui importe, c’est le petit être qui se trouve là, au milieu des machines, c’est votre enfant”. »

Premiers pas dans la recherche

Dans ce service, Isabelle a également participé à des groupes de travail, sur les troubles alimentaires des anciens prématurés, puis sur leur personnalité. « Nous avons reçu un financement de l’AP-HP sur cette question, ce qui m’a permis de suivre une formation d’un an à la méthodologie de recherche en soins infirmiers. » Au terme de cette année, elle rédige le projet de recherche sur l’hypothèse suivante : le prématuré a-t-il une personnalité propre ou les soignants la lui transmettent-ils ? « On a travaillé avec des linguistes, des psychologues. Une expérience très riche. » Pourtant, elle quitte le service quelques mois plus tard. Pourquoi n’est-elle pas allée au bout de l’étude ? « J’avais fait ma part, et déjà prévu de repartir chez moi. La machine était en route, je savais qu’ils iraient au bout. C’était le plus important. »

Du libéral à l’HAD

Après un bref – et décevant – essai dans le privé, en soins à domicile pour adultes, Isabelle travaille en oncologie pédiatrique. Puis, l’envie de changer la reprend. Plongée dans l’inconnu : le libéral. « C’est là que j’ai découvert la coordination : gérer mes tournées, les factures…, tout ce qu’on ne voit pas à l’hôpital. C’était différent, mais instructif. » Elle se confronte à l’univers du domicile, « le territoire des patients », où l’infirmière fait partie du quotidien de personnes parfois seules, en demande. « J’ai appris à dire “non”. Les personnes âgées ont un degré de dépendance proche de celui des tout-petits… » Six ans plus tard, forte de son expérience, elle intègre la nouvelle équipe d’hospitalisation à domicile (HAD) pédiatrique de l’AP-HM. Ravie de travailler de nouveau en équipe, elle découvre aussi un métier. L’infirmière coordinatrice veille au bon déroulement du retour à domicile et du séjour du patient, « comme un chef d’orchestre. Il faut être partout, en relation avec les médecins, les soignants libéraux, les ambulances… Je faisais de la formation aux soins, du conseil aux soignants pour la prise en charge ». Aujourd’hui, à Marseille, la pédiatrie représente un tiers des patients en HAD. « J’ai essuyé les plâtres, c’est comme ça ! », s’amuse-t-elle. Elle est résignée. Surchargée de travail, ne se sentant pas reconnue professionnellement, elle abandonne le service public. « Je me suis tournée vers le privé. Ce poste correspondait à ce que je faisais, les soins en moins. C’était un tournant, je l’ai pris », commente l’infirmière. Depuis quatre mois, elle est infirmière coordinatrice pour une société dont la vocation première était la livraison de matériel pour les soins à domicile. « Nous ne sommes pas un concurrent du service public. L’hôpital a une limitation géographique et en nombre de lits, c’est pourquoi nous existons. Nous sommes complémentaires. » Mais, dans le privé, il faut « montrer ce que tu fais et qui tu es, donner au prescripteur envie de travailler avec toi. Et ça ne me choque pas de dire que nous devons nous démarquer en étant bons ! »

Une grande rigueur

Devant la cadre infirmière de chirurgie pédiatrique, Isabelle détaille les protocoles qu’elle a mis en place. « Je ne me leurre pas, il y a des enjeux économiques derrière cela, mais je fais ce qui me semble juste. Les prestataires sont obligés d’être efficaces. Du fait de la concurrence, et parce qu’on travaille avec des malades. Un loupé, ça n’est pas rattrapable. C’est la rigueur que je recherche. » Elle croit au développement du domicile pour les soins pédiatriques. « L’hôpital est devenu une entreprise, la santé, un marché, les médecins, des comptables… Une hospitalisation à domicile coûte moins cher, pour un service équivalent. Et puis, les gens récupèrent mieux chez eux. Dans leur environnement, ils ont moins de stress, mangent mieux. C’est encore plus évident chez les enfants », commente-t-elle. Pour développer un service tel que le sien, Isabelle sait qu’il lui faut du temps. Elle confie avoir eu cinq patients jusqu’à maintenant. « Même dans le public, il y a plus de réticence en pédiatrie. J’en ai l’expérience : il faut prendre le temps, que l’on vous fasse confiance. On s’adresse à des parents, c’est tout à fait normal. » Son premier patient venait d’un service d’oncologie. L’infirmière a été appelée via son réseau de connaissances. L’enfant devait reprendre du poids, avait une sonde gastrique. Isabelle a rencontré la famille, contacté l’infirmière libérale chargée de le suivre, livré la pompe, les poches. « Si besoin, je forme les soignants sur le matériel, parfois même la famille, qu’elle puisse intervenir en cas d’urgence. Mon job, c’est de faciliter la vie de tout le monde, pour le bien-être du patient », estime-t-elle. Tout s’est bien passé. « C’était comme retourner dans mon ancien service ! Je connaissais la pathologie, et les parents l’ont senti », explique la soignante. Une réussite qui lui a amené d’autres patients. « Je ne regrette rien, j’aime ce que je fais. Le côté commercial, les libéraux le côtoient aussi. Et puis, c’est paradoxal, mais, au moins, dans le privé, l’aspect économique est assumé. Les services se payent, et j’en bénéficie. Mais je me considère comme un artisan, au service du patient. » Et de conclure : « J’avance, et j’ai appris de tous mes postes, de petites victoires à chaque fois. Désormais, je veux partager, que mon expérience serve. Public ou privé, tant que je suis en accord avec moi-même, avec mes valeurs, ça me va bien ! »

MOMENTS CLÉS

1990 Diplôme de l’Ifsi Toulon.

1991 Intègre le service de réanimation néonatale de l’Intercommunal de Créteil (Val-de-Marne).

2001 Entre dans le service d’oncologie pédiatrique de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne).

2005 S’installe en libéral à Six-Fours-les-Plages (Var).

2011 Infirmière coordinatrice au nouveau service HAD pédiatrique de l’AP-HM.

2013 En poste comme infirmière coordinatrice pour un prestataire de service en soins à domicile.