Passerelles artistiques - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

MÉDIATION CULTURELLE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Le centre hospitalier Érasme, à Antony, dans les Hauts-de-Seine, propose à ses patients en souffrance psychique des médiations artistiques qui vont bien au-delà d’un simple accompagnement créatif.

Des taches de peinture, des mains qui s’agitent, d’autres à l’arrêt. Au rez-de-chaussée du centre médico-psychologique Jean-Wier de Suresnes, les gestes des patients, leurs échanges, rythment l’évolution de leurs travaux. Dans l’atelier de peinture, une grande table, des chevalets, des draps accrochés aux murs, des bouquets de pinceaux. Derrière les baies vitrées, un jardin. Tout est à la création, à l’appel des formes, des traits, des couleurs. Véritable lieu de vie, on y boit un café, on y rit, certains discutent, parfois le silence s’installe. Entre deux séances, les œuvres en cours restent dans l’atelier ; elles attendent le retour des artistes, le lendemain ou la semaine suivante. L’activité a lieu deux jours par semaine, par demi-journées, et une demi-journée en intra-hospitalier, à l’hôpital d’Antony. Les patients viennent sur indication de leur médecin ou parce qu’ils en ont entendu parler. Un public relativement fidèle, avec une file active régulière. Certains y viennent depuis dix ans.

Situées dans le sud des Hauts-de-Seine, les structures de soins de l’EPS Erasme(1) sont très diversifiées : hospitalisation complète ; hospitalisation de jour ; soins ambulatoires… Près de 7 000 patients y sont pris en charge tout au long de l’année. Les actions culturelles proposées aux patients permettent de stimuler le désir tapi en eux. L’une des clés étant de susciter l’enthousiasme et l’envie grâce à l’animation psychique que provoque la création. « L’idée de base était de mettre en place des projets qui permettent aux patients de réaliser du travail de qualité, raconte Jean-François Popielski, directeur des soins et des actions culturelles. Que cela induise la reconnaissance, de leur talent comme de leur personne. La culture est un moyen de valoriser les personnes en souffrance psychique, mais également le personnel. En définitive, il s’agit de plaisir partagé. »

Une volonté de l’hôpital

Théâtre, café philo, poterie, écriture, dessin, danse, lecture, musique… Chaque activité offre la possibilité d’apprendre, de créer, d’échanger. L’objectif est d’aller au-delà d’une visée thérapeutique : une dimension non seulement culturelle, mais également sociale. « Ce qui est intéressant, c’est de se laisser bousculer les uns par les autres. Que les personnes prises en charge soient reconnues et se reconnaissent comme citoyens, comme artistes, et que la dimension de la maladie reste de côté », assure le directeur des soins. Dépression sévère, psychose, désorganisation psychique… Les pathologies des patients sont diverses. « À certains moments, les envies de nos patients sont très fragiles, les aider à créer, c’est prêter attention à la qualité de leur vie psychique, explique Agnès Metton, chef de service en psychiatrie. D’ailleurs, cette intention est valable pour tous, patients et soignants. Il faut entretenir ce désir pour tout le monde, afin de ne pas être pris dans une forme de découragement. »

Les horaires fixes des ateliers instaurent une régularité. La présence des patients dépend de la durée de leur hospitalisation pour les ateliers intra-hospitaliers. En revanche, les ateliers proposés dans les CATTP, hôpitaux de jour et autres structures de l’établissement, accueillent des patients souvent plus fidèles. « C’est une tradition, dans les hôpitaux psychiatriques, de fonctionner avec des médiations culturelles, poursuit la psychiatre. Mais, ce qui change dans notre manière de faire, notamment à l’hôpital de jour Jean-Wier, c’est que nous confions tout simplement les ateliers à des artistes. » Une initiative intéressante de par son authenticité et le regard différent qu’elle suppose, à titre de non-stigmatisation. Chapeautés par un binôme formé d’un artiste et d’une infirmière, les ateliers sont animés d’une interaction entre culture, ouverture au monde et reconnaissance. « Cela devient un point d’appui pour les patients », assure Régine Kéchouri, infirmière de l’atelier peinture.

Intermédiaire entre l’équipe soignante et l’artiste, l’infirmière crée du lien. « Je suis là, disponible dans l’observation », confie-t-elle. Chaque semaine, lors des réunions pluridisciplinaires, elle peut, si nécessaire, faire part de ses observations. Son écoute est essentielle, précise, si le patient a besoin d’elle. « J’utilise mon non-savoir-faire en matière de dessin pour créer un lien de confiance. » Au cœur du dispositif, Éric Pays, artiste plasticien, donne à travailler aux patients, induit une réflexion sur leur production, les invite à aller à la rencontre de l’histoire de l’art. Vient ensuite le temps de la promotion du travail créatif réalisé : « L’atelier organise des expositions dans des lieux professionnels dédiés à l’art. Puis, je coordonne la réalisation de publications, de livres où sont présentées les œuvres des patients. » L’un des objectifs est de mettre leur travail en valeur. « Il est important de communiquer sur l’atelier, c’est ce qui ouvre la sphère de l’atelier au monde », développe-t-il.

L’art en grand

Lors de manifestations exceptionnelles, comme au musée du Quai Branly, au Palais de Tokyo ou au musée du Louvre, les œuvres des patients artistes ont été exposées, selon les exigences de vrais professionnels. S’exposer aux autres, c’est sortir de l’hôpital, à l’extérieur, se confronter à la réalité. Une démarche difficile pour des patients en rupture. Tout est à reconstruire pour certains. « Concrètement, on les aide à structurer leur pensée, ce qui est rassurant pour un patient qui se perd dans une angoisse permanente ou indicible », observe Agnès Metton. Lors des vernissages, il arrive que des patients deviennent de vrais tribuns, des marchands d’art. « Nous travaillons avec l’idée de chercher des ponts possibles pour les patients en rupture de lien, poursuit-elle. Le but est que le contact se rétablisse, pas nécessairement uniquement par la parole immédiate. Celle-ci peut venir dans un second temps, ou dans un autre lieu. » Lors des vernissages, certains patients deviennent de vrais tribuns, des marchands d’art. Soignants, familles et visiteurs sont émus face à leurs réalisations, et éprouvent une véritable admiration pour ce qui est fait dans les ateliers. Un lieu où la création est au cœur du soin. Quels que soient les événements culturels, ils ne restent pas internes à l’hôpital, tout concourt à une ouverture supplémentaire sur l’extérieur. Et puis, l’expression reste libre, quel que soit le moyen. Des partenariats ont été mis en place avec des municipalités ou des galeries d’art où sont exposées les œuvres, des rendez-vous culturels sont organisés, chaque jeudi des discussions ont lieu au café philo animées par un philosophe. Patients et soignants peuvent y participer. « Cela renforce notre volonté de donner la possibilité au patient de s’inscrire dans une vie citoyenne », assure le directeur des soins, ancien infirmier en psychiatrie. Ce qui est important, c’est qu’il devienne, en qualité d’artiste et de citoyen, l’égal de ses encadrants (artiste, infirmier) pendant les ateliers ou les activités. « Quand je faisais du théâtre avec les patients, se souvient-il, on avait imaginé qu’un morceau de papier roulé en boule représentait une boule de neige. Mais, l’un des patients-comédiens n’arrivait pas à le lancer sur moi, même si je l’assurais que j’étais le personnage de la pièce et non pas un soignant. Le jour du spectacle, il a enfin pu le faire ! C’était gagné. »

1– http://www.eps-erasme.fr

CULTURE

Les musées s’impliquent

> Depuis des années, il existe dans les musées une volonté d’aller vers les publics en difficulté, notamment en facilitant l’accès et l’accueil. Des accrochages sont favorisés pour pouvoir montrer des œuvres, même si un public restreint s’y intéresse. Tout cela est encourageant et crée des idées de partenariat autour des personnes vulnérables, y compris au niveau des tutelles de la santé. C’est d’ailleurs comme cela que l’EPS Erasme a été récompensé par le label Culture et Santé en Ile-de-France, remis par l’ARS et la DRAC Ile-de-France en octobre 2012, qui engage l’établissement dans le projet Culture pour trois ans.