Les troubles « dys » - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

Martin, 7 ans, présente des difficultés d’apprentissage. L’enseignant conseille aux parents de consulter un spécialiste afin de confirmer la présence d’un trouble. Les parents sont inquiets. Que peut-on leur dire ?

Dans ce contexte très anxiogène pour les parents, les soignants doivent avant tout les éclairer, les rassurer et les orienter vers les professionnels compétents et les structures adaptées, afin qu’ils adoptent une posture constructive, aidante et encourageante.

Quelle est la place des troubles « dys » au sein du système de santé ?

Les troubles « dys » sont reconnus comme un problème de santé publique depuis 1999. En 2001, un plan d’action gouvernemental a notamment permis de créer des centres de références, et en 2002, l’Education nationale a mis en place un plan Langage(1). Le guide-barème modifié pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées, reconnaît les troubles « dys » au chapitre IV « déficience du langage et de la parole »(2).

Comment définir ces troubles ?

Les troubles « dys » constituent l’ensemble des troubles cognitifs spécifiques aux apprentissages. Il s’agit de troubles structurels, primaires et durables qui ne peuvent être attribués ni à une déficience intellectuelle grave (retard mental), ni à un problème pathologique (anomalie neurologique ou anatomique de l’appareil phonatoire), ni à un handicap sensoriel (déficience auditive grave par exemple), ni à un trouble psychiatrique avéré. Ils ne peuvent pas plus être imputés à des facteurs socioculturels ou à un trouble sévère du comportement et de la communication. Ils comportent :

La dyslexie : déficit durable et significatif du langage écrit se caractérisant par des difficultés à lire un texte de façon fluide, le décoder (compréhension) et le mémoriser à court et à long terme. Cela affecte l’orthographe, l’écriture, l’acquisition du vocabulaire et des savoirs académiques. La sévérité, l’intensité et l’expression du trouble varient selon les individus.

La dysphasie : trouble de l’apprentissage et du développement du langage oral. Elle se manifeste sous diverses formes : paroles indistinctes, troubles de la syntaxe, expressions par mots isolés, discours plus ou moins construit, manque du mot, compréhension partielle du langage oral.

La dyspraxie : trouble de l’acquisition de la coordination/organisation du geste. Les signes de ce « handicap invisible » sont souvent mal compris et mis à tort sur le compte de la paresse, d’un manque d’intérêt ou d’un handicap intellectuel. Or, écrire, quand la tâche n’est pas automatisée, induit pour la personne dyspraxique un effort cognitif insoupçonné qui ne lui permet pas de dégager suffisamment de ressources attentionnelles pour les autres aspects du langage écrit : concevoir, être vigilant au sens et à l’orthographe, synthétiser, organiser et développer.

La dysorthographie : trouble d’acquisition et de maîtrise de l’orthographe, caractérisé par des inversions de lettres ou de syllabes, des confusions auditives ou visuelles, des omissions, des erreurs de segmentation. Elle touche toutes les sphères de l’orthographe : règles grammaticales, conjugaisons, construction de la phrase et des mots.

La dysgraphie : troubles qui affectent le dessin et l’écriture.

La dyscalculie : trouble des fonctions logico-mathématiques.

Les troubles attentionnels, avec ou sans hyperactivité.

Quelle est la prévalence des troubles « dys » et lesquels sont plus fréquents ?

Globalement, on estime que 8 % de la population sont concernés par des troubles spécifiques du langage, soit plus de 4 millions de personnes, dont 1 % est atteint de troubles sévères.

L’analyse statistique par nature de troubles réalisée par l’association Aapedys35 (Association d’Adultes DYS et de Parents d’Enfants DYS) à Rennes(3), montre une prépondérance de dyslexie (88 % des enfants de l’association) et de dysorthographie (64 %). Ensuite, 38 % des enfants présentent une dyspraxie, 28 % une dyscalculie, 14 % une dysgraphie, 11 % des troubles de l’attention, 4 % une dysphasie, et 3 % des troubles divers. Ces troubles sont souvent associés et interactifs(3). Ce constat amène les chercheurs à explorer des mécanismes sous-jacents communs, impliquant diversement les principaux systèmes sensorimoteurs.

En connait-on l’origine ?

Les hypothèses concernant l’étiologie précise des troubles « dys » sont encore en cours de validation. Il existe néanmoins au sein de la communauté scientifique un consensus sur la nature « développementale » des troubles spécifiques, et sur le lien de la dyslexie avec la présence d’un déficit de la conscience phonologique. Cette dernière se manifeste par une difficulté à manipuler les sons qui composent les mots. Concernant l’origine génétique des troubles, la concordance des troubles chez les jumeaux monozygotes, l’existence de formes familiales de dyslexie, et la fréquence plus masculine des troubles plaident en faveur de facteurs de susceptibilité génétique. En effet, un parent dyslexique a un risque augmenté d’avoir un enfant également dyslexique par rapport à un parent qui ne l’est pas.

Comment les détecter ?

Les troubles « dys » sont difficiles à repérer. Au premier abord, ils s’apparentent à des difficultés d’apprentissage, et sont difficiles à différencier, dans la mesure où le cheminement normal des apprentissages est différentpour chaque enfant. D’où un diagnostic intervenant souvent tardivement par rapport à la manifestation des premiers troubles (parfois après plusieurs années). En général, le repérage survient, parce que l’attention du parent ou d’un tiers est attirée par « quelque chose qui ne va pas » dans le développement de l’enfant : l’enfant parle mal, rencontre des difficultés à apprendre, à écrire, à lire, à dessiner, à lacer ses chaussures… L’enfant est ensuite signalé aux professionnels chargés d’approfondir le dépistage à l’aide de tests rapides adaptés à l’âge et aux différents domaines des apprentissages. Dans le cas où ces tests évoquent l’existence de difficultés spécifiques, une démarche diagnostique doit être entreprise afin de cerner très précisément la nature, et l’intensité des troubles.

Sur quels outils la démarche diagnostique repose-t-elle ?

La démarche diagnostique s’appuie sur un examen clinique, sur un bilan cognitif et des évaluations pluridisciplinaires complets généralement pratiqués dans des centres de références (voir encadré « Les centres de référence ») et coordonnés par un médecin référent. Elle englobe la recherche des troubles « dys », et des troubles auditifs et visuels susceptibles d’expliquer les difficultés d’apprentissage de l’enfant. Cette démarche doit également réaliser un état des lieux pédagogique. De nombreux outils de diagnostic adaptés à l’âge de l’enfant et aux domaines d’apprentissage existent. Ils sont répertoriés dans l’Expertise collective de l’Inserm(4), et concernent le langage oral et écrit, et les autres fonctions cognitives impliquées dans les apprentissages (intelligence, fonctions neuropsychologiques, visuo-perceptives, attentionnelles, exécutives, contrôle de l’inhibition…).

Comment s’organise la prise en charge ?

Le diagnostic posé, un projet d’accompagnement rééducatif adapté aux difficultés et aux besoins de l’enfant est élaboré. Il cible les fonctions déficitaires, et prend généralement la forme d’une prise en charge individuelle à raison de plusieurs séances par semaine avec le (s) professionnel (s) impliqué (s) (orthophoniste, psychomotricien, psychologue, orthoptiste …). Le but est de permettre à l’enfant de développer des stratégies de compensation pour contourner son handicap. Pour la dyslexie, les méthodes les plus fréquentes sont de type orthophonique et portent sur l’entraînement des capacités phonologiques de l’enfant (voir encadré « Parole d’expert »). Le projet rééducatif doit s’inscrire dans la réalité quotidienne de l’enfant et de sa famille pour en assurer la pérennité, et doit être associé à une prise en charge pédagogique toujours nécessaire pour permettre à l’enfant de continuer son apprentissage et de poursuivre des études malgré son trouble.

L’enfant « dys » peut-il poursuivre une scolarité en milieu ordinaire ?

Dans la plupart des cas, l’enfant « dys », poursuit sa scolarité en milieu ordinaire, dans l’établissement où il est inscrit (école, collège, lycée). Parallèlement aux spécialistes qui interviennent en dehors du temps scolaire, d’autres intervenants spécialisés peuvent assurer une présence auprès de l’enfant pendant le temps scolaire. C’est le cas des membres des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés (Rased) pour les primaires, ou encore des professionnels du secteur médico-social exerçant dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), ou un centre médico-psychologique (CMP). Dans le cas où les troubles nécessiteraient une aide particulièrement intense, le plan d’action gouvernemental s’assurera que l’enfant puisse bénéficier d’un enseignement « à la carte », géré par un enseignant spécialisé dans le cadre des dispositifs collectifs spécialisés de scolarisation dans les écoles ordinaires (classe d’inclusion scolaire (CLIS) à l’école primaire, unité pédagogique d’intégration (UPI) au collège et au Lycée). Dans les cas plus sévères, une scolarisation à temps plein dans un établissement spécialisé peut être envisagée sur orientation de la Commission des droits à l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Elle doit être précisée dans le Parcours personnalisé de scolarisation (PPS). Le PPS comme le PAI (projet d’accueil individualisé) constituent les cadres requis pour mobiliser les aides en milieu scolaire ordinaire ou spécialisé.

Quelles sont les prestations prises en charge par la Sécurité sociale ?

A l’exception des psychologues, ergothérapeutes et psychomotriciens libéraux dont les honoraires ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale, les frais engendrés par le recours aux autres professionnels de santé sont remboursés à hauteur de 70 %. Les 30 % restants peuvent être pris en charge par les mutuelles complémentaires. Lorsque le trouble est reconnu en ALD, la prise en charge est de 100 %. Les soins non remboursés de même que certains frais de transport liés aux soins peuvent toutefois être partiellement pris en charge dans le cadre de l’allocation d’éducation d’enfant handicapé (AEEH), si le taux d’incapacité de l’enfant est supérieur à 50 %. Cette allocation doit être demandée auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Sont totalement gratuits les frais liés aux Centre d’action médicosociale précoce (CAMSP), CMP et CMPP.

Quelle attitude les parents doivent-ils adopter dans la prise en charge ?

Les parents ont un rôle important à jouer, en premier lieu, pour reconnaître le trouble chez l’enfant, et ensuite pour faire en sorte qu’il bénéficie d’un bilan diagnostic complet et de la prise en charge la plus adaptée sur le plan rééducatif et scolaire. Ils doivent également accepter les difficultés particulières de leur enfant et lui laisser le temps nécessaire pour avancer dans les apprentissages. Voir son enfant confronté à des difficultés d’apprentissage « hors normes » est anxiogène pour les parents. Ils doivent consentir à un double effort pour accepter la différence de leur enfant et le soutenir, en particulier lorsque ses difficultés persistent malgré le travail fourni. En effet, cette situation peut être décourageante, source de frustration, voire de souffrance psychologique. L’attitude des parents varie beaucoup en fonction du milieu social : plus le milieu est favorisé, plus les enfants bénéficient d’une prise en charge globale au long court adaptée.

Quelle place les infirmières occupent-elles face à ces troubles ?

Au-delà du rôle de repérage des troubles dans les CMP ou en milieu scolaire et de l’orientation des familles vers les structures et acteurs compétents, les infirmières peuvent également collaborer à la prise en charge des enfants. C’est notamment le cas dans l’unité de psychiatrie du Dr Delahaie à Carcassonne. Les équipes soignantes collaborent à la mise en place de protocoles de remédiation de lecture chez des adolescents présentant des pathologies psychiatriques en lien avec des troubles développementaux des apprentissages qui ne leur ont pas permis de trouver leur place à l’école et dans la vie sociale.

1– Plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit Circulaire n° 2002-024 du 31-1-2002- B.O. n° 6 du 7-2-2002 http://bit.ly/1aRys75

2– Source : décret n° 2007-1574 du 6 novembre 2007 http://bit.ly/13vPIwN

3– Source : « Comment prévenir l’échec scolaire face aux troubles des apprentissages ? L’aide de la neuropsychologie » http://bit.ly/1561j15

4– Source : Dyslexie, Dysorthographie, Dyscalculie, Bilan des données scientifiques – Expertise collective – INSERM 2007.

SOURCES UTILES

> MDPH – Dossier sur les Troubles Dys : www.mdph35.fr/les-troubles-dys,107396,fr.html

> Troubles « dys » de l’enfant. Guide ressource pour les parents, brochure grand public de l’Inpes – février 2010. Mieux connaître les différentes étapes de prise en charge et les structures, les professionnels, les aides… à la disposition des familles

> L’évolution du langage chez l’enfant : de la difficulté au trouble, Marc Delahaie, novembre 2004, Inpes.

PLAN D’ACTION,

Les centres de référence

> Mis en place dans le cadre du plan d’action interministériel en faveur des enfants atteints de troubles spécifiques du langage, les centres de référence proposent des consultations multidisciplinaires attachées à des équipes hospitalières universitaires. Il en existe une quarantaine en France(1). Chaque consultation est constituée d’un médecin, d’un (e) orthophoniste, d’un (de) psychologue (s) clinicien (s) ou neuropsychologue (s), complétée par un (e) psychomotricien (ne), un ergothérapeute, un instituteur spécialisé qui aide à l’évaluation et accompagne la mise en place de la prise en charge proposée dans l’école de l’enfant. Les bilans permettent de préciser le caractère spécifique du trouble et sa sévérité, d’éliminer ou de préciser un éventuel trouble associé et d’indiquer les modalités de prise en charge. Celle-ci est externalisée le plus souvent, mais peut, dans certains cas, être mise en œuvre par l’équipe du centre de référence, notamment pour évaluer ou expérimenter de nouvelles techniques à visée diagnostique ou de rééducation. Dans tous les cas, l’équipe reste en contact avec le (s) professionnel (s) qui assurent les soins de manière à pouvoir réévaluer les situations qui n’évoluent pas favorablement.

1– La liste des centres de références est répertoriées par région sur le site de l’Inpes : http://www.inpes.sante.fr/10000/themes/troubles_langage/recherche_centres.asp

PAROLE D’EXPERT

Entrainer les capacités phonologiques

DR MARC DELAHAIE, INSTITUTEUR SPÉCIALISÉ MAÎTRE E, DOCTEUR EN SCIENCES COGNITIVES, MÉDECIN PHONIATRE ET PSYCHIATRE

> Un lecteur expert qui lit, ne visualise pas les mots. Il répète une parole vue. Si l’abord est visuel, la lecture résulte d’un traitement complètement linguistique. Un enfant qui ne parvient pas à apprendre à lire, c’est un enfant qui n’arrive pas à acquérir des stratégies de conversion phonétique, car il ne peut pas automatiser le processus de la médiation phonologique de lecture. Cette dernière permet de manipuler mentalement des sons de paroles pour les mettre en relation avec des graphèmes. L’enfant dyslexique compense ce handicap en hypertrophiant d’autres stratégies, dont la stratégie logographique (reconnaître les mots comme des logos). Pour arriver à développer la médiation phonologique de lecture, des méthodologies basées sur l’entraînement des capacités phonologiques sont mises au point pour apprendre à l’enfant à manipuler mentalement des sons de parole. Cet entraînement consiste à faire des opérations de segmentations, de soustraction, d’inversion sur les mots, à travailler sur des rimes, des syllabes, des traitements de phonèmes (par exemple retirer le premier phonème d’un mot et dire le reste). La rééducation consiste à développer cette aptitude dite « métaphonologique », et à entraîner les enfants à faire ce genre d’opération en même temps que l’on démarre le processus d’alphabétisation.