L’art des soins palliatifs - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

SUR LE TERRAIN

DOSSIER

Le SRSP du CHR de Metz-Thionville figure parmi les pionniers en soins palliatifs, et les mieux dotés de France. Il dispose d’une équipe pluridisciplinaire, sur plusieurs sites hospitaliers et à domicile.

En 1995, lorsque le docteur Bernard Wary, membre fondateur de la SFAP (société française d’accompagnement et de soins palliatifs), l’infirmière Florine Rosati et Marie-Reine Kunegel, secrétaire médicale, ouvrent l’équipe mobile de soins palliatifs du CHR de Metz-Thionville, sur le site de l’hôpital Bel-Air de Thionville, ils font partie de la génération des pionniers. Très vite, l’équipe s’étoffe avec une ergothérapeute-musicothérapeute, une psychologue(1) , une infirmière et un médecin supplémentaire. Aujourd’hui, le service comprend une équipe mobile, un service de consultations externes, un autre d’HAD (hospitalisation à domicile) et deux unités d’hospitalisations de dix lits chacune à l’hôpital de Mercy de Metz et à l’hôpital d’Hayange, avec possibilité d’hospitalisation de répit pour les aidants. Des groupes de soutien enfants et adolescents et d’entraide pour les adultes complètent l’offre.

Retraitée depuis deux ans, Florine Rosati se souvient des débuts. « Aucune loi n’encadrait les soins palliatifs, parce qu’ils étaient considérés comme un « gadget » ; dès qu’on disait « palliatif », on avait l’image de l’extrême-onction ! Je rétorquais que je n’avais pourtant pas une tête de bonne sœur ! » Depuis, la philosophie des soins palliatifs a gagné de nombreux établissements. Une culture qui s’interdit tout acharnement thérapeutique, basée sur une approche globale de la personne dans le but de « soulager les douleurs physiques (…) et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. »(2) Le service du CHR de Metz-Thionville s’attache à la développer, dans l’optique de « resocialiser la mort, qui est une affaire de citoyens à travers des conférences débats, un travail avec les endeuillés ou des interventions dans les établissements scolaires », explique Bernard Wary.

Un lieu de vie

Les soignants du service sont tous là par choix. « J’ai peur de ma propre mort, confie Mme Rosati, mais ce qui m’a motivée à venir c’est d’avoir un rapport un peu plus sain au patient. » C’est la même motivation, doublée d’un questionnement éthique, chez Santa Soualah, la cadre de santé de l’unité d’hospitalisation d’Hayange : « Dans certains services où j’ai travaillé, comme en pneumologie, quand on donne du Phénergan, on sait que ça peut être à la base d’un cocktail lytique… »

En ce lundi ensoleillé, la toute nouvelle unité d’Hayange, ouverte début mai, resplendit de couleurs, et est peuplée de sourires. C’est un vrai lieu de vie : éclairage entièrement en lumière naturelle, couleurs douces et joyeuses, plantes artificielles choisies avec goût… L’unité propose un « Espace créativité » équipé d’instruments de musique, un piano immaculé à l’accueil que quiconque peut utiliser, de la relaxation dans des fauteuils inclinables où la psychologue propose des séances d’hypnose pour le patient et/ou sa famille… « On parle, on rit avec les malades, de tout et de rien, de la vie, on échange des recettes… Si vous vous dites j’ai un mourant en face de moi effectivement vous ne ferez pas bien votre travail. Le principal c’est de leur donner », précise Florine Rosati. « Ce qui est beau, enchaîne Santa Soualah, la cadre de santé, c’est de voir toutes ces histoires de vie. C’est incroyable de découvrir les ressources que peuvent déployer certains malades ou leur famille ! » La population de l’unité est composée à 56 % d’hommes, d’une moyenne d’âge de 70 ans, souffrant de pathologies neurologiques, de cancers, d’insuffisance rénale… Parfois, des jeunes adultes, mais pas les enfants, qui sont redirigés vers l’hôpital pour enfants de Nancy. Autant de patients à qui donner. Du temps, une main, un sourire, une oreille, comme le fait la trentaine de bénévoles d’accompagnement, coordonnée par Anne-Marie Jablonka (voir encadré). Parfois, il est difficile d’ajuster le soin, de communiquer avec la personne. « La psychologue nous donne des clés pour permettre d’ouvrir les portes de l’autre », confie Santa Soualah.

Une prise en charge idéale ?

Difficile, aussi, de garder la juste distance, de faire avec ses propres émotions. L’équipe peut néanmoins s’appuyer sur plusieurs ressources : sa pluridisciplinarité, les groupes de paroles et le soutien psychologique, la communication permanente favorisée notamment par la tenue de réunions collégiales et par une hiérarchie horizontale non pyramidale, le travail déployé sur trois aspects, le soin, l’enseignement (avec notamment la création du Certificat Interdisciplinaire Soins Palliatifs Accompagnement Douleur, le CISPAD) et la recherche. Dans ce domaine, le service fait référence. Doloplus, son échelle d’évaluation de la douleur chez la personne âgée, est reconnue internationalement. À la question quelle est la qualité essentielle pour un soignant en soins palliatifs, Santa Soualah répond « l’humilité ». L’humilité jusqu’au bout, y compris dans la toilette mortuaire, une prestation offerte par le service : « Habillage, maquillage léger… une façon de reconnaître l’autre dans son identité, même mort, et de boucler la boucle de son accompagnement. »

L’humilité se retrouve aussi dans la façon d’inclure les familles, qui peuvent à leur demande participer à un soin, une toilette, un massage… « Cela veut dire qu’en tant que soignant on va me regarder travailler, et travailler avec moi. Il faut pouvoir l’accepter sereinement. »

Il faut aussi apprendre à aller « au-delà de la technique » : « Ce n’est pas grâce à une échelle d’évaluation qu’on va déterminer la différence entre douleur et souffrance », décrit le Docteur Jean-François Villard, responsable de l’unité d’hospitalisation d’Hayange. Pense-t-il que le travail qu’accomplit son équipe s’approche de la prise en charge idéale d’une fin de vie « idéale » des patients ? « Attention à ne pas partir avec trop d’idéaux, prévient-il, il n’y a pas de mort idéale, il y a des histoires de vies ; une fin de vie est à l’image de ce qu’a été la vie. »

1– Catherine Fombaron et Rachel Isidore, toujours en poste

2– Définition de la SFAP

FIN DE VIE

Précieux bénévoles

Anne-Marie Jablonka est l’une des coordinatrices des bénévoles de l’association Pierre Clément Lorraine* depuis les débuts du service. Un tel poste était à l’époque inédit. La loi de 1999 sur les soins palliatifs stipule depuis que les bénévoles font désormais partie intégrante de l’équipe soignante. Bien sûr, chacun tient son rôle. « Quand je donne des formations, je dis bien que je ne suis pas une soignante, mais que je viens parler de relations humaines. » Chaque futur bénévole remplit un questionnaire sondant son rapport à la mort. La formation s’étale ensuite sur plusieurs mois, puis les nouveaux sont parrainés par un ancien, avant de pouvoir se lancer, seuls, dans l’accompagnement, basé sur une écoute respectueuse.

Le plus fort souvenir d’Anne-Marie ? Une vieille dame accompagnée pendant huit mois, souffrant d’une maladie neurologique l’empêchant de communiquer : « Je ne savais pas si elle m’entendait… D’après les infirmières, elle semblait réagir à la musique que j’apportais. » Vient ce Noël où la dame obtient une place en région parisienne, enfin près de ses filles. Anne-Marie va lui dire au revoir : « Je ne sais pas où elle est allée chercher ces ressources, mais j’ai alors senti sa main serrer la mienne, comme pour me dire merci pour tous ces moments… » Un petit miracle.

*http://www.association-pierre-clement.fr