Le rôle du liniment contre la douleur - L'Infirmière Magazine n° 324 du 01/06/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 324 du 01/06/2013

 

FORMATION CONTINUE

UN PROJET À LA LOUPE

Comment franchir les dix grandes étapes d’une recherche ? Exemple avec « Linipoche », une étude expérimentale de type essai clinique, retenue en PHRIP.

À l’origine de la recherche de Charles Lamy, infirmier puériculteur au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, il y a « un ressenti empirique », c’est-à-dire tiré de son expérience quotidienne aux urgences pédiatriques : le retrait de poches à urine sur les enfants de moins de 3 ans, utilisées en vue du diagnostic d’infections urinaires, semble souvent douloureux. Quand ils pratiquent un sondage urinaire, les professionnels de santé soulagent, en effet, les patients, à l’aide du Meopa notamment. Le recours à une poche, fréquent, est, lui, considéré comme bénin, et la douleur alors moins prise en compte. Ce ressenti se confirme dans une recherche initiée par des médecins et à laquelle des infirmières participent, en 2009 : dans 39 % des 121 cas étudiés, le retrait de la poche collectrice est aussi, voire plus douloureux qu’un sondage. La statistique alerte Charles Lamy. Naît alors l’idée d’une analyse plus poussée de ce thème, et dans le domaine des soins infirmiers. L’objectif ultime ? Mieux prendre en charge la douleur de l’enfant. Il s’agit aussi de valoriser le travail infirmier de la première étude médicale : les IDE n’ont pas obtenu une reconnaissance à la mesure de leur investissement.

Parcours orchestré

S’appuyant sur son expérience de terrain, l’équipe soignante pense, sans certitude, que l’usage de liniment oléo-calcaire au moment du retrait de la poche atténue la doulour aiguë. Voilà l’hypothèse de la recherche, et le montrer sera son objectif. L’idée est de comparer les niveaux de douleur dans deux groupes d’enfants : l’un pour lequel le liniment est utilisé, l’autre non. Voilà l’esquisse d’une méthode. Mais d’abord, Charles Lamy et une collègue référente douleur font part de leur projet à la cadre de service et à Pascale Beloni, cadre supérieure de santé détachée à la recherche au CHU. Celle-ci pousse l’infirmier puériculteur à la rigueur, et va coordonner les différents acteurs du projet, dans un circuit bien huilé. Car, si le comité de travail initial est plutôt restreint (par souci d’efficacité et, aussi, par manque de volontaires au départ), plusieurs instances (à l’instar du Comité de promotion de la recherche paramédicale et de l’innovation) et professionnels du CHU sont sollicités. Un parcours bien orchestré avant tout dépôt de dossier pour financement, auprès du Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) ou ailleurs. À l’unité fonctionnelle de recherche clinique et biostatistiques, rattachée à la Direction déléguée à la recherche et à l’innovation, est ainsi fournie une importante matière première : les nombreux chiffres sur les scores de douleur des patients obtenus lors de l’étude de 2009. C’est un médecin de cette unité, et non l’infirmier puériculteur, qui va calculer, en fonction des scores de douleur, le nombre d’enfants à inclure dans le projet, nombre considéré comme significatif de la population : 136.

Revue de la littérature

Cette unité va également lire et commenter, tout au long de sa rédaction, le travail de Charles Lamy, et confirmer ou améliorer la scientificité de son hypothèse et de ses objectifs. Il est également épaulé par l’attaché de recherche clinique pour bâtir le budget de son travail. Dans une recherche, une infirmière n’est jamais seule. Comme dans tout projet, également, la revue de la littérature intervient très rapidement. Mais, sur cette question, les concepts manquent, et, surtout, les données. Ainsi, les Anglo-Saxons sont en pointe sur les publications médicales, mais n’utilisent pas les poches à urine, privilégiant des méthodes certes plus invasives mais apportant davantage de résultats. Ils ont bien publié des études sur la douleur en cas de sondage urinaire, mais pas sur le sujet qui intéresse Charles Lamy. En France, à l’inverse, les poches sont très fréquemment utilisées, en première intention : les médecins les recommandent, estimant qu’elles occasionnent des douleurs moins fortes que les sondages. Mais les études portent sur les urines récupérées, et non sur la douleur de l’enfant. La recherche initiée par Charles Lamy peut donc apparaître modeste, puisqu’elle concerne un domaine courant du soin et formule une hypothèse déjà partagée par beaucoup (le liniment comme réducteur de douleur). Mais elle est novatrice et importante, dans la mesure où elle constitue une documentation inédite et concerne, justement, la pratique de nombreux professionnels. Elle est même « à contre-courant » de certains résultats selon lesquels l’utilisation des poches n’entraîne pas de douleurs.

Le recours à la littérature va, cependant, apporter une aide capitale pour circonscrire l’objet étudié, et surtout, pour choisir la méthode. L’idée initiale était de réaliser la recherche sur le modèle de l’étude médicale de 2009, « en simple aveugle » : une infirmière retire la poche, une autre infirmière évalue la douleur de l’enfant. Le problème, c’est que la seconde peut voir si la première a utilisé ou non le liniment, ce qui risque de fausser sa perception de la douleur de l’enfant. Dans la littérature, apparaît l’idée de la vidéo pour mener une évaluation plus rigoureuse. Le cadrage de l’image ainsi que le « floutage » de l’infirmière qui retire la poche permettront à l’évaluateur de ne pas savoir si le liniment a été appliqué ou non. Cela a aussi des conséquences budgétaires : il faut intégrer le coût du matériel et, surtout, le travail de l’informaticien qui floutera les visages des infirmières sur les vidéos.

Fiabilité et objectivité

Le protocole, feuille de route de la recherche, est mis en place pour que deux soignants évaluent la douleur, séparément. Si leur interprétation sur l’échelle d’hétéro-évaluation Flacc(1) diverge trop, un autre expert est appelé. Le tout maximise la fiabilité et l’objectivité du score de douleur obtenu. Pour montrer que le score moyen de douleur des enfants ayant reçu du liniment lors du retrait de la poche est moins élevé que celui des jeunes patients qui n’en ont pas reçu, il a été décidé d’établir deux groupes de 68 enfants. Et, pour affiner les futurs résultats, des variables sont introduites dans l’étude : la présence ou non des parents ; le sexe de l’enfant ; son âge (découpé en trois tranches, 0-6 mois, 7-23 mois et 23 mois-3 ans, ce qui n’était pas prévu à l’origine); le temps que met l’infirmière pour retirer la poche. Ces variables permettront de mieux comprendre les facteurs qui jouent sur la douleur au cours du geste infirmier. Que l’hypothèse sur l’intérêt du liniment soit vérifiée ou non, le chercheur les consultera pour voir s’ils ont une influence sur les scores de douleur constatés. La présence d’un parent, par exemple, atténue-t-elle la souffrance ?

Un an environ après les premières réflexions sur cette recherche, le dossier « Linipoche » est candidat au PHRIP, et décroche ce financement, en juin 2011. Commence alors, avant le début des inclusions des patients dans l’étude, une nouvelle étape, celle de l’obtention des autorisations. Elle prendra six mois. La Cnil(2) vérifie, notamment, qu’il n’est pas demandé d’informations inutiles pour l’étude (comme le serait la profession des parents), sur quel support les données sont enregistrées (ici, la base sécurisée du CHU). Le Comité de protection des personnes (CPP) veille au respect des droits des patients, d’autant plus vulnérables que ce sont des enfants. Les parents doivent pouvoir refuser l’inclusion de leur enfant dans l’étude, sans conséquence sur sa prise en charge. Le CPP aurait également pu se demander s’il était opportun de faire bénéficier certains enfants d’une méthode moins douloureuse et pas d’autres, sachant, cependant, que les douleurs, dans ce cas, ne sont pas élevées.

Inclusions de l’essai

Vient le temps des inclusions. Les actes sont filmés, les paramètres inscrits sur une feuille puis entrés dans un ordinateur de l’unité de biostatistiques et contrôlés par l’attaché de recherche clinique. Les inclusions de cet essai clinique ont commencé à Limoges à l’été 2012, et au centre hospitalier intercommunal de Poissy/Saint-Germain en janvier 2013. Le partenariat avec cet établissement avait été noué lors de la précédente étude, dont Charles Lamy était le référent infirmier. Il permet d’inclure plus rapidement les 136 patients, un nombre massif si un seul service devait le traiter. Or, dans une étude, plus le nombre de patients est important, plus son impact est fort. La cadre de service essaie également d’alléger le planning de Charles Lamy, car il n’existe pas de temps spécifique pour la recherche. Cependant, dix minutes par infirmière ont été calculées pour le retrait de la poche, quinze minutes par enfant pour les deux infirmières qui évalueront la douleur. À la fin, le temps de travail estimé des professionnels atteint 70 % du budget de recherche. Quand les inclusions de cette étude quantitative seront terminées, le service de bio-statistiques compilera et présentera les données : les scores moyens de douleur de chaque groupe d’enfants, leurs évolutions éventuelles en fonction des variables. Si les résultats répondent à l’hypothèse, de nouvelles recommandations de bonnes pratiques pourraient être émises. Dans le cas contraire, l’équipe aura au moins documenté, pour la première fois, la douleur lors de ce soin pourtant très pratiqué. Quels qu’ils soient, les résultats de cette étude en soins courants(3) seront donc transférables à d’autres groupes de praticiens, serviront à d’autres chercheurs, ainsi qu’aux parents des patients. Telle une pierre ajoutée à l’édifice scientifique. Sur ce sujet peu étudié, seul un petit nombre de revues se détachent et, pour l’heure, Charles Lamy ne sait pas encore à laquelle il pourra soumettre les résultats. Mais cette décision est imminente : les conclusions de Linipoche sont attendues cet été.

1– Face Legs Activity Cry Consability (Flacc).

2– Sur le site de la Cnil : bit.ly/10Fh9D0

3– Étude portant sur des soins courants et réalisés de façon habituelle, distincte d’une étude biomédicale visant par exemple à tester des médicaments.