L’imaginaire contre la douleur - L'Infirmière Magazine n° 322 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 322 du 01/05/2013

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Pour soulager la douleur au cours d’un soin, Valérie Gaudé-Joindreau aide certains patients à focaliser leur attention sur un sujet qui les captive. À jouer avec leurs perceptions. Une méthode simple et efficace, qui relève de l’hypnose.

Faire attention à détourner l’attention. Tel est le leitmotiv de Valérie Gaudé-Joindreau pour aider les patients confrontés à des situations ou à des soins douloureux. « Il faut les accrocher, les faire penser à autre chose, précise cette infirmière du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Les extraire du soin temporairement, et par les idées : cette astuce, insuffisamment utilisée, semble bien simple, elle s’avère pourtant efficace, et empathique. Valérie Gaudé-Joindreau a commencé sa carrière en salle de réveil dans cet hôpital. Au sein du service d’anesthésie-réanimation, l’un des premiers à utiliser des pompes à morphine, elle a exercé aux côtés de médecins très motivés, « pour l’époque », par la prise en charge de la douleur et plutôt précurseurs dans ce domaine. Ses études n’avaient pas forcément préparé l’infirmière à cette sensibilisation.

Illustration de la méthode avec ce patient en soins palliatifs. Étouffé par l’angoisse, cramponné à son lit. À Valérie Gaudé-Joindreau, qui intervient désormais de façon transversale dans les services de l’hôpital, il confie : « J’aimerais retourner une fois dans ma maison, au Portugal. » « Ça ne vous dérange pas de me la faire visiter ? », invite-t-elle. Le patient hoche la tête. Il se plonge dans ses souvenirs, et raconte. « J’aimerais bien aller à la pêche », poursuit-il. Il décrit la scène, se détend et serre moins fort la télécommande de son lit. « Je vais prendre un petit apéro », imagine-t-il encore. Quand il rejoint sa chambre, sa femme et sa fille, stupéfaites, interrogent : « Qu’est-ce que vous lui avez administré ? » « Je l’ai juste guidé », répond l’infirmière avec humilité.

Voyage en ballon

La soignante suit, ainsi, le rythme du patient, l’accompagne dans son détour par l’imaginaire. Elle s’inspire d’une bribe de conversation, des photos ou d’un livre aperçus sur la table de chevet, ou rebondit sur une image. Un exercice d’équilibriste : alimenter l’imaginaire sans en rajouter, respecter les silences sans qu’ils soient pesants, cultiver à la fois le tact et le contact. « Il faut être réactif, mais pas trop. Nous aidons les patients à trouver eux-mêmes la solution. Nous, nous ne l’avons pas. » Proposer au malade un voyage virtuel à bord d’un ballon dirigeable, au cours duquel il enlève les sacs de sable un à un. Rêver et visualiser, sur une partie brûlante de son corps, une compresse sortie du réfrigérateur ou de la neige pendant une balade à ski – réinterprétant ainsi de manière ludique son ressenti, notamment pendant la réfection d’un pansement… Ce type d’approche thérapeutique rappelle l’hypnose. Et pour cause : le centre anti-douleur a très vite compté dans ses rangs un médecin spécialisé, et réputé : Jean-Marc Benhaiem. Nombre de patients viennent ici pour l’hypnose. Mais celle-ci n’est pas pratiquée en première intention : les médecins évaluent si le patient, déjà sous traitement antalgique, peut en tirer un bénéfice. Valérie Gaudé-Joindreau aussi s’y est formée, et a passé le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale, créé en 2001 par le docteur Benhaiem(1). Elle connaît les phases successives de la démarche. L’induction d’abord, qui consiste à se focaliser sur une image, un son… La dissociation ensuite, dissociation d’avec la perception du quotidien. Enfin l’entrée dans la « perceptude » : « L’individu perd pied pour perdre ses certitudes avant de changer » selon le philosophe et psychanalyste François Roustang(2). Rien à voir, évidemment, avec les caricatures de l’hypnose de cabaret, qui a beaucoup écorné l’image de la démarche médicale. « Quand j’étais jeune, se remémore d’ailleurs Valérie Gaudé-Joindreau, j’avais assisté au spectacle d’un “hypnotiseur”. Il avait cassé un parpaing sur le ventre de ma sœur. Nous étions tous subjugués. Après le spectacle, elle ne se rappelait pas vraiment ce qui s’était passé ! Je pense que ces hypnotiseurs repèrent certains spectateurs… »

Un potentiel méconnu

L’infirmière développe : « l’idée de l’hypnose médicale, c’est que nos capacités d’adaptation à certaines circonstances comme la douleur sont plus fortes que celles que nous utilisons à l’état de vigilance. » En hypnose, ce potentiel méconnu est mobilisé. Plus concrètement, il s’agit, en particulier, d’apprendre aux personnes à identifier les facteurs exacerbant la douleur chronique, telle une contrariété. Puis de couper court à ce phénomène qui monte. En séance, les patients acquièrent des outils. En cas de situation anxiogène, ils conservent idéalement leur calme sans aide médicale. En toute autonomie, en autohypnose. Contrairement aux trois médecins attachés en hypnose au centre anti-douleur, Valérie Gaudé-Joindreau ne programme pas de longues séances. Cette pratique ne relève pas de son rôle, et elle a déjà fort à faire. En effet, unique IDE du centre, elle organise l’interface entre les médecins et les services, et assure le suivi des patients. Elle contribue à la réalisation de protocoles de recherche, le centre travaillant avec l’Inserm(3). Les personnes orientées ici ont déjà consulté nombre de médecins et de spécialistes. Hypnose, neurologie, rééducation fonctionnelle, psychologie…: pluridisiciplinaire, la prise en charge vise à caractériser précisément les douleurs chroniques et à neutraliser au mieux leurs retentissements. Valérie Gaudé-Joindreau insiste : à la différence des médecins du centre, mais aussi d’autres infirmières, elle recourt à l’hypnose de manière spontanée, et rapide. Dans l’urgence. Les yeux du patient ouverts ou fermés… Exemple : appelée pour prendre en charge la douleur pendant une biopsie médullaire, l’infirmière lance, puis entretient une conversation tranquille avec la patiente, stressée. L’hématologue annonce soudain la fin du soin. Placée en état hypnotique, la malade ne s’est rendu compte de rien. « Mais, vous m’avez embarquée où ? », lance-t-elle à la soignante. « On a discuté, c’est tout », répond celle-ci.

« Corps analgésié »

Dans l’urgence, il n’est pas aisé de demander au patient s’il souhaite une séance d’hypnose, d’autant que, parfois, ce mot fait peur. Le temps d’expliciter cette démarche, « le soin serait déjà terminé !, justifie l’infirmière. Mais le patient peut me dire : “Arrêtez, taisez-vous.” Dans ce cas, je me tais ! » Cet exercice de relaxation par le changement d’attention, correspond-il, de surcroît, à la définition de l’hypnose ? « Je n’en suis pas convaincue », note Valérie Gaudé-Joindreau, même si, de son propre constat, sa pratique s’apparente à « l’hypnose-flash » de Gaston Brosseau(4). Le docteur Benhaiem, lui, n’en doute pas : le fait de faire diversion dans l’attention du patient relève de l’enclenchement d’une hypnose. Il explique : « Nous dissocier est une disposition naturelle. Avec cette méthode, le contexte est changé, le corps est analgésié : il n’est plus sous la menace de quelque chose, et produit de la morphine au lieu de l’adrénaline. » C’est une opportunité, pour les infirmières, de prendre en charge l’aigu : le patient « se détache » ponctuellement, traverse le soin comme s’il n’était qu’un objet, transitoirement. Les séances plus longues d’hypnose, elles, modifient de façon plus profonde et pérenne la position de la personne dans son existence, entre autres en cas d’addiction. Sans même parler d’hypnose, en tout cas, il s’agit de prendre le temps de prêter attention à la personne. Même si elle ne comprend pas. L’infirmière se souvient ainsi d’un patient ne parlant pas français, à qui il fallait retirer de multiples agrafes sur une petite surface de peau. « Pendant le soin, je lui ai posé la main sur le torse pour lui montrer comment respirer car, avec la douleur, la respiration se bloque. Et je lui ai parlé. À un moment, j’ai arrêté : il m’a fait signe de continuer. Ça devait le bercer… »

1– www.hypnose-medicale.com/

2– Sur les phases de l’hypnose, lire L’hypnose ou les portes de la guérison, de Jean-Marc Benhaiem, avec François Roustang, Odile-Jacob, 2012, ou encore un compte-rendu de colloque sur bit.ly/ZGcqvc. L’émission « Sur les docks » du 13 février (bit.ly/14UfDdZ) a donné la parole au Dr Benhaiem et à ses patients.

3– Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

4– Hypnothérapeute québécois, auteur de L’hypnose, une réinitialisation de nos cinq sens, InterÉditions, 2012.

Deux chemins

Pour le Dr Benhaiem, inciter le patient à poser son attention ailleurs que sur le soin en cours est « l’un des deux chemins de l’hypnose ». L’autre voie, moins empruntée, consiste, au contraire, pour le malade, à se sentir « hyper présent » et très attentif à tout ce qui se passe pendant le soin, en considérant la situation « comme un jeu, un ballet bienveillant ». Au niveau cérébral, ces deux approches ne produisent pas les mêmes effets. Mais l’une et l’autre relèvent bien de l’hypnose.

MOMENTS CLÉS

1991 Obtient son DE.

1991-1995 Travaille en salle de réveil.

1995 Prise de poste au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP).

1997 Diplôme universitaire (DU) en prise en charge de la douleur.

2001 Diplôme interuniversitaire (DIU) d’attaché de recherche clinique.

2005-2006 Formation à l’hypnose médicale au CHU de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

2013 Toujours en poste à hôpital Ambroise-Paré.

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