La santé, au-delà des records - L'Infirmière Magazine n° 320 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 320 du 01/04/2013

 

SPORT DE HAUT NIVEAU

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Prévention, suivi, soins, écoute… La prise en charge des sportifs de haut niveau et des champions de demain revêt de nombreux aspects. Dans ce domaine, les infirmières ne sont pas nombreuses, mais ont un rôle de conseil et d’accompagnement important.

Médaille d’or, maillot jaune ou globe de cristal sont leur rêve. Leur fréquence cardiaque passe de moins de 50 au repos à 200 en plein effort. Ils repoussent les limites habituelles de l’endurance et de la douleur, parfois prêts à reprendre malgré une côte cassée. Ils connaissent leur corps sur le bout des doigts. Avant même de passer une radio, ils savent le nom de l’os qu’ils sentent brisé. Sans avoir étudié l’anatomie, ils maîtrisent l’appellation de chaque muscle. Pour eux, le sport est plus qu’un hobby, dans certains cas, c’est un métier, et leur corps, un outil de travail. Leur santé est un enjeu : bonne (le plus souvent), il s’agit de la conserver en prévenant les blessures ; mauvaise, il faut la rétablir au plus vite. Malades ou non, les grands sportifs sont donc accompagnés par une foule de médecins, de kinésithérapeutes, et de quelques psychologues, diététiciens, podologues… Pour prendre en charge ces personnes aux caractéristiques physiques et psychiques si spécifiques, les infirmières, elles, ne sont pas dans les starting-blocks.

Les écuries cyclistes et les clubs sportifs n’embauchent pas d’IDE. Certaines officient, en revanche, dans les 16 centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) disséminés en France et chargés, notamment, de former les futurs sportifs de haut niveau. À la tête de leur réseau figure l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), à Vincennes (94). Dans son secteur médical et paramédical, lieu de stage pour les étudiantes en soins infirmiers (une trentaine en 2011), l’Insep compte 80 personnes, dont trois IDE. Implantée à Chamonix (74), l’École nationale de ski et d’alpinisme (Ensa) compte, elle, une infirmière. L’infirmier qui exerçait au Centre national de Clairefontaine (78) (football) vient de partir, mais son homologue féminine de Marcoussis (91) (rugby) est toujours en place. Si l’on inclut dans cette liste les infirmières qui participent à de grands événements, on arrive à quelques dizaines d’IDE tout au plus dans le sport de haut niveau, auxquelles s’ajoutent, notamment, leurs collègues des services hospitaliers de médecine du sport. Avec des statuts très divers : relevant de l’Éducation nationale, pour quatre d’entre elles, dans les Creps ; contractuelle, détachée de la fonction publique territoriale et détachée de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à l’Insep ; titulaire de l’Éducation nationale détachée au ministère des Sports à l’Ensa ; employés par la société Mutuaide Assistance sur le Tour de France ou encore sur le Paris-Dakar.

Leur activité se compose en grande partie de prévention et de suivi. L’éducation à la santé, c’est justement ce que souhaitait faire Patricia Kérivel lorsqu’elle a reçu, il y a dix-sept ans, une offre pour un poste vacant « à profil », c’est-à-dire pas comme les autres, à l’Ensa. Plus de la moitié du temps, elle est formatrice en secourisme. Aux futurs ou actuels moniteurs de ski et guides de haute montagne, elle montre les gestes à effectuer en cas d’avalanche. Son service médical, qui compte aussi un médecin, enseigne les usages de la pharmacie. En haute altitude, isolés, sans assistance médicale, les ­sportifs doivent savoir quels médicaments utiliser contre la douleur ou les œdèmes, quoi faire en cas de plaie. Patricia Kérivel les sensibilise aussi aux gestes (comme l’ancrage de piolet) usant prématurément leur corps. « Nous les conseillons sur l’hygiène de vie, la récupération, les étirements, l’alimentation. Mais mettent-ils ensuite ces informations en pratique ? », s’interroge-t-elle. Aux sportifs, avant tout, de se prendre en main…

Des suivis réguliers

Le suivi des sportifs de « haut niveau » – un statut spécifique accordé par le ministère des Sports – est également assuré au travers d’examens annuels obligatoires(1). Électro-cardiogramme, tests de souffle, de vue et d’ouïe, mesures anthropométriques, prélèvements sanguin et urinaire… L’Insep réalise ces actes pour des centaines de sportifs, dont ses 630 résidents. Ensuite, les médecins se prononcent à partir des résultats recueillis par les trois infirmières de l’institut, Ludmila Baudrillart, Christine Morlet et Pascale Raboisson. La même mission est assurée, entre autres, dans les Creps. Dans celui de Wattignies (59), par exemple, Martine Castier, 60 ans (dont la moitié comme infirmière au Creps), prête assistance au médecin pendant l’épreuve d’effort destinée aux 150 internes, âgés de 14 à 20 ans ainsi qu’aux 200 sportifs de haut niveau fréquentant l’établissement. Elle l’aide à gérer le matériel et se tient prête à intervenir en cas de malaise. L’infirmière figure au cœur d’une équipe composée de cinq médecins vacataires, de trois kinés de soins et de cinq kinés de récupération, de deux psychologues, d’un podologue, d’un médecin nutritionniste et d’une secrétaire. Le plus souvent, les non-aptitudes au haut niveau s’avèrent temporaires, conséquences d’un problème infectieux ou traumatologique. Les non-aptitudes définitives, plus rares, sont majoritairement d’ordre cardiaque, mais elles sont généralement détectées avant l’entrée dans le haut niveau. Les situations où les infirmières prennent en charge des blessés ne sont pas fréquentes. C’est le cas sur le Tour de France, auquel participent chaque année sept ou huit IDE de 30 à 50?ans. Sylvie Lottin, libérale à Chambéry (73), est leur doyenne. Pendant l’étape, elle intervient surtout en traumatologie liée aux chutes, notamment des fractures de la clavicule ou du scaphoïde. Elle panse des plaies en roulant, le cycliste accroché à la portière de son ambulance. Elle peut aussi soigner des spectateurs, en dehors des épreuves… ou pendant, en cas d’accident (2). Au Creps de Wattignies, en attendant la consultation des médecins, Martine Castier délivre des médicaments aux pensionnaires se plaignant de bobos ou de gastro- entérite. Avant la séance de kinésithérapie, elle peut poser une poche de glace ou mettre sous lampe chauffante une grosse contracture. À l’Insep, qui possède un important centre de santé (avec dentiste, radio…), la récupération des sportifs, blessés ou non, peut passer par la cryothérapie : trois minutes dans une cabine à – 110 °C.

Lever le pied

Il y a aussi les blessures à l’âme. « Certains jeunes ne vont pas bien quand ils n’ont pas fait de sport depuis trois semaines en raison d’une blessure, indique Martine Castier. En outre, une gastro-entérite peut cacher un ras-le-bol. Grâce à l’écoute, on peut découvrir l’origine réelle d’un malaise. » Il arrive, en effet, qu’un jeune sportif « hésite, en ait marre, s’interroge sur son engagement dans le sport. On peut lui faire une dispense pour qu’il lève le pied au niveau de l’entraînement. » Dans ces conditions, il est délicat de donner la vraie raison de son absence au coach. Le service médical, tenu au secret, et l’entraîneur, qui entend compter au maximum sur son poulain, poursuivent-ils les mêmes objectifs ? « Il peut y avoir des désaccords, mais c’est le médecin qui gère les justificatifs d’absence », répondent les infirmières de l’Insep. Même stress sur le Tour de France. « Les directeurs sportifs remettent en selle les cyclistes qui ont chuté, témoigne Sylvie Lottin. Il y a aussi la pression des caméras, surtout si le coureur à relever est très connu. » Le sport est aussi un spectacle, et les images comptent. L’Insep, dont les sportifs ont remporté 19 des 34 médailles françaises aux jeux Olympiques de Londres, apporte, ainsi, un soin particulier à sa communication. Face à la tension, Patricia Kérivel, elle, propose une solution : « La sophrologie constitue un outil intéressant pour les sportifs, soumis au stress de la formation et de l’évaluation, à la peur de ne pas être à la hauteur. Ils y sont très réceptifs. » L’infirmière de l’Ensa recourt à cette technique, par exemple en stage, lors d’ateliers détente. Tout en nuançant : « Contre le stress, je n’ai pas de baguette magique. »

Pas de « grosses têtes »

Les infirmières connaissent bien les sportifs. Surtout dans un lieu de vie comme l’Insep ou le Creps, où elles les croisent aussi au lever du jour ou à table. « On peut deviner quel sport pratique un jeune en observant son comportement, s’amuse Martine Castier. Chez les volleyeurs, on sent l’effet de groupe ; chez les tireurs, une certaine rigueur… » L’IDE dépeint aussi des aspects sociaux. « Les lutteurs viennent, en général, de milieux populaires. En hockey sur gazon, c’est plutôt la bonne société ! » La morphologie est très sport-dépendante, confirme une infirmière de l’Insep : « Selon le sport, le rapport au corps et au poids diffère. » Toutes les infirmières ne sont pas forcément portées sur la pratique sportive, mais elles suivent avec un intérêt particulier les compétitions des jeunes qu’elles ont pris en charge. « Avec bienveillance », précise une professionnelle de l’Insep. Certains athlètes deviennent même des stars. Et il n’est pas désagréable de les côtoyer sur son lieu de travail : la plupart restent d’un abord facile. Dans les disciplines autres que le football, les infirmières dépistent peu de symptômes de « grosse tête »… « Travailler au Creps apporte un autre regard sur le cyclisme. Ces sportifs s’avèrent extrêmement gentils, précise Martine Castier. Et ils tiennent compte de nos conseils. » Sur un mur du Creps, sont inscrits quelques petits mots de compétiteurs passés par là. Pour autant, le lien tissé avec eux ne perdure pas au-delà de la période de prise en charge. La connaissance des sportifs passe aussi par la recherche, notamment à l’Insep, voire par sa propre expérience sportive. Ainsi, Sylvie Lottin a pratiqué le cyclisme à un haut niveau.

Les activités toujours plus variées de ces infirmières n’incluent pas le contrôle antidopage. « La stratégie des contrôles et de la mise en œuvre opérationnelle »(3) incombe, en effet, à l’Agence française de lutte contre le dopage, qui compte 339 contrôleurs agréés et assermentés, dont 120 préleveurs infirmiers (69 femmes, 51 hommes). L’une des substances les plus détectées, le cannabis, n’est pas l’apanage des sportifs… Si les infirmières des institutions décrites dans cet article ne s’impliquent pas dans le contrôle, certaines agissent dans la prévention du dopage. « Nous les mettons en garde contre le dopage accidentel. Les jeunes sportifs malades durant le week-end doivent informer leur médecin traitant de leur statut, pour ne pas se voir prescrire de médicaments interdits, comme un sirop avec de la codéine, par exemple », explique Martine Castier. L’Insep n’a pas ce souci : les sportifs plus âgés et plus aguerris sont fort encadrés, y compris le week-end, puisqu’ils se trouvent en compétition, épaulés par un médecin. Sur le Tour de France, la vigilance est également de mise, avec une liste des produits interdits affichée dans chaque ambulance.

Des diplômes, sur le dopage notamment, existent, et la Société française de médecine du sport a déjà consacré des sessions de son congrès au travail infirmier. Mais, en général, la spécialisation infirmière se fait « sur le tas », auprès des médecins du sport, dans les livres, par un stage en traumatologie en CHU… Patricia Kérivel, elle, a appris à découvrir la montagne. « En me proposant mon poste, on m’a demandé si je connaissais ce milieu spécifique et tellement vaste, et si je savais skier. J’ai pratiqué le ski et l’alpinisme, à un niveau basique, j’ai été formée comme accompagnatrice en montagne, et j’ai écouté les besoins des sportifs pour comprendre la montée en altitude, le côté technique et physique du métier. » Être infirmière auprès de grands sportifs, c’est ­parfois du sport.

1 - Examens définis dans le Code du sport, avant l’inscription sur les listes du sport de haut niveau (article A231-3) et pour la surveillance ultérieure (A231-4). Voir aussi le site du ministère des Sports : bit.ly/13kgD8i

2 - Lire son portrait dans notre numéro 229 (juillet 2007).

3 - « En ce qui concerne les compétitions et les entraînements se déroulant en France, à l’exception des compétitions internationales, relevant des fédérations internationales. » Précisions sur www.afld.fr

SPORT POUR TOUS

DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ADAPTÉES

L’encadrement médical sportif n’est pas l’apanage du haut niveau. Il existe en gériatrie ou pour des patients rencontrant des difficultés psychiques.

Bien loin des quêtes effrénées de performance sportive, Claudine Caux, 57 ans, exerce en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel en Haute-Savoie. Cette IDE « [se] mouille » pour des patients en difficulté psychique, en les accompagnant dans l’eau. Pas question ici de parler de « sport », mais « d’activités physiques adaptées ». Pratiquées sur indication médicale, l’aquagym ou la gymnastique douce apaisent ou stimulent, relancent l’élan vital, et servent de supports relationnels. Ainsi, des patients se téléphonent la veille de l’activité pour s’encourager. « Demain, tu viens ! », se lancent-ils.

« Jeune, je faisais tout pour être dispensée de sport, se souvient, amusée, l’infirmière. Je ne supportais pas l’esprit de compétition. » Les ateliers qu’elle anime consistent à « bouger pour le plaisir, pour soi. Les patients n’ont rien à prouver, ils n’ont pas de résultat à obtenir… Si ce n’est celui de se sentir mieux qu’avant. » Cette quête du bien-être, cette promotion d’un usage tranquille du corps, fait écho à la philosophie du diplôme universitaire (DU) que Claudine Caux a décroché, sur les activités physiques pour personnes âgées (bit.ly/WbSb6d).

« L’activité physique n’empêche pas de vieillir mais intervient contre les effets pervers d’une mauvaise utilisation de son corps, comme la sédentarité, explique Alain Beylier, responsable pédagogique de ce DU sans doute unique en France. Il faut être attentif à ses perceptions et apprendre à les lire. » (Ré) apprentissage de la natation ou du vélo, renforcement musculaire, ateliers d’équilibre, pratique de gestes de la vie (se lever, s’habiller…) De la cinquantaine à plus de 100 ans, les moyens de (re) mettre le corps en mouvement sont multiples. Et de plus en plus souhaités : l’activité physique est entrée dans les mœurs. « Il ne s’agit pas de renoncer, mais de prendre conscience que certaines activités ne sont plus adaptées, que certaines sont même dangereuses, souligne le professeur d’éducation physique et sportive. Et de s’ouvrir alors à d’autres possibilités. »

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