Intoxication aux opiacés - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

FORMATION CONTINUE

FICHE TECHNIQUE

Dépression respiratoire, détresse circulatoire, myosis… La constatation des signes cliniques d’une intoxication aux opiacés entraîne une prise en charge aux urgences vitales.

Les substances incriminées dans les intoxications aux opiacés, ou encore overdoses, sont soit des substances naturelles, à savoir l’opium, la morphine, la méthadone, la codéine, soit synthétiques, comme l’héroïne, la buprénorphine (Subutex® – Temgésic®).

DIAGNOSTIC

• Après une période d’excitation brève, du fait de l’abondance des récepteurs opiacés dans le système limbique, le toxicomane devient somnolent, puis, s’installent stupeur et coma. Toutes les fonctions vitales peuvent être déprimées.

• Les signes d’une intoxication aux opiacés sont donc les suivants : coma calme, hypotonique, hyporéflexique, myosis, dépression respiratoire avec bradypnée et bradycardie avec hypotension artérielle.

• La triade de symptômes la plus fréquente relève un coma calme, une dépression respiratoire et un myosis.

SIGNES CLINIQUES

• Avant tout, les signes cliniques affectent le « breathing »(1), à savoir la ventilation. On retrouve donc une dépression respiratoire et une réduction de la sensibilité des centres respiratoires du tronc cérébral associées à une augmentation de la PaCO2. Ce qui entraîne une bradypnée, soit moins de huit respirations par minute, avec risque d’apparition d’un rythme respiratoire de type Cheyne-Stokes et d’un encombrement bronchique avec un risque majeur d’arrêt respiratoire.

• On retrouve également des signes de détresse circulatoires tels que : tachycardie initiale suivie d’une bradycardie et d’une hypotension artérielle favorisée par l’hypoxie, susceptible d’évoluer vers l’état de choc. En cas d’intoxication grave, l’état de conscience est aboli.

• L’un des signes caractéristiques de l’intoxication aux opiacés est le myosis. Il s’agit d’une réduction du diamètre pupillaire. Dans tous les cas, on note un myosis serré, punctiforme, symétrique (Exposure)(1).

• Les polyintoxications sont fréquentes. La prise concomitante de psychotropes, d’alcool, et la « puissance » hypnogène de certains opiacés synthétiques peuvent aggraver l’ensemble des éléments cités. Il s’agit d’évaluer régulièrement l’état de conscience au moyen de l’échelle de Glasgow.

PRISE EN CHARGE

• Une prise en charge systématique en salle d’accueil des urgences vitales doit être mise en œuvre. Elle doit associer la mise sous monitoring et la surveillance des différents paramètres que sont saO2, FR, la mesure de la glycémie (HGT). La pose d’une voie veineuse périphérique doit être réalisée sur prescription médicale. À savoir :

– O2 : la priorité est d’assurer une bonne oxygénation, y compris par ventilation assistée si nécessaire.

– L’utilisation des moyens pharmacologiques ne doit jamais retarder la mise en route de la réanimation respiratoire en cas d’apnée ou de bradypnée.

- L’antidote : naloxone = Narcan® (ampoule de 1 ml/0,4 mg) en titration sur prescription médicale ou dans le cadre de la mise en œuvre d’un protocole de soins d’urgence.

• La naloxone est très liposoluble, traverse rapidement la barrière hémato-encéphalique. Le délai d’action est court : 1 minute après injection IV et 5 minutes en IM. Son métabolisme est hépatique. L’effet antagoniste est court : 30-45 minutes en IV et 120-150 minutes en IM. À noter :

– Elle peut être utile en cas de doute diagnostique ou pour maintenir FR > 12.

– La durée d’action est plus courte que celle des toxiques : 45 minutes.

– La posologie : bolus initial de 0,2 mg IV. Puis, augmenter par paliers de 0,2 mg toutes les 2 minutes jusqu’à obtenir FR > 12.

• Sans voie d’abord veineuse disponible immédiatement et en cas d’arrêt respiratoire, d’autres voies sont possibles : intra-musculaire, sous-cutanée, endotrachéale, intranasale.

CAS CLINIQUES

Voici quelques exemples d’intoxication grave aux opiacés avec signes de détresse et prise en charge thérapeutique.

Dans les différents cas décrits, l’IDE doit exercer son rôle propre et prévenir un médecin.

Coma avec fréquence respiratoire > 8/min

• Bilan d’urgence vitale permettant de détecter les détresses, et installation en position adaptée.

• Inhalation d’O2, 6 I./min.

• Pose de voie veineuse Naci 0,9 % avec débit de 60 gouttes/min sur prescription médicale (PM).

• Préparation d’une ampoule de Narcan 0,4 mg.

• Surveiller les différents paramètres et, surtout, la fréquence respiratoire.

• Traçabilité sur feuille de soins et DSI.

Coma avec fréquence respiratoire < 8/min

• Bilan d’urgence vitale permettant de détecter les détresses, et installation en position adaptée.

• Inhalation d’O2, 6 I./min ou ventilation au masque si présence de cyanose ou volume courant insuffisant.

• Pose de voie veineuse Naci 0,9 %, 60 gouttes/min sur PM.

• Injection de naloxone 0,2 mg IV sur PM.

• Renouveler 0,2 mg IV si fréquence respiratoire toujours < 8/min après 5 minutes sur PM.

• Renouveler l’opération jusqu’au maintien d’une fréquence respiratoire à 8/min.

• Puis, injection de 0,4 mg IM de Narcan.

• Traçabilité sur feuille de soins et DSI.

Coma avec arrêt respiratoire

• Bilan d’urgence vitale permettant de détecter les détresses, et installation en position adaptée.

• Ventilation assistée à 100 % d’O2.

• Pose de voie veineuse Naci 0,9 %, 60 gouttes/minute : rôle propre dans la prise en charge de détresse vitale reconnue.

• Injection de naloxone : 0,4 mg IV, selon prescription ou protocole.

• Renouveler si une fréquence respiratoire > 8/min n’est pas obtenue après 2 minutes, selon prescription ou protocole.

• Prise en charge dans l’ambulance.

• Renouveler 0,4 mg par 5 minutes en cas d’insuccès. Puis, injection de 0,4 mg IM de Narcan.

• Traçabilité sur feuille de soins et DSI.

Arrêt cardiaque

• Bilan d’urgence vitale permettant de détecter les détresses.

• Massage cardiaque et défibrillation précoce.

• Ventilation assistée au BAVU à 100 % d’O2.

• Pose de voie veineuse Naci 0,9 %.

• Adrénaline à la dose de 1 mg toutes les 3 à 5 minutes.

• L’AHA (American heart association) recommande l’injection de naloxone en bolus de 0,4 mg en cas de doute d’AC sur hypoxie dans un contexte d’overdose opiacée (dose maximale de 2 mg). Toutefois, aucune étude n’a prouvé la plus-value de ces injections dans la prise en charge.

• Traçabilité sur feuille de soins et DSI.

SURVEILLANCE CONTINUE

• L’antagonisme de la naloxone est de courte durée. Cela impose une surveillance rigoureuse de plusieurs heures en milieu hospitalier pour prévenir le risque de remorphinisation secondaire, sachant que l’action dépressive de l’héroïne dure de 6 à 8 heures (l’insuffisance rénale et l’insuffisance hépatique peuvent influencer la pharmacocinétique des opiacés et augmenter la période de dépression respiratoire).

• Il est important de comprendre que l’injection d’une trop grande quantité de naloxone pourrait entraîner un réveil explosif, d’où la possibilité de titration en bolus de 0,04 mg, permettant un réveil « respiratoire » (rythme et volume efficaces) sans réveil de la douleur.

• La prise en charge des intoxications aux opiacés reprend tous les éléments de surveillance clinique et paraclinique, avec un accent sur la fréquence ventilatoire et la SpO2. Même si le terrain « conventionnel » du toxicomane reste le premier cas, il ne faut pas omettre les cas d’erreur de traitement, de surdosage. La pharmacocinétique de la nalaxone impose donc une surveillance continue durant toute la prise en charge.

1- Référence aux techniques de PEC anglo-saxonnes : Airway, Breathing, Circulation, Disability Exposure (ABCDE).

SOURCES

→ « Recommandations d’experts. Intoxications graves par médicaments et substances illicites en réanimation ». B. Mégarbane, L. Donetti, T. Blanc, G. Cheron, F. Jacobs, Groupe d’experts de la SRLF. Réanimation 15 (2006) 332-342.

→ European Resuscitation Council. Guidelines for Resuscitation 2005. Section 7. Jasmeet Soar, Charles D. Deakin, Jerry P. Nolan, Gamal Abbas, Annette Alfonzo, Anthony J. Resuscitation (2005) 67S1, S135S170.

→ « Intoxication aux opiacés samedi 15 août 2009, Auteur(s): SAU Hôtel-Dieu – Dr Stéphane Boizat, Dr Guillaume der Sahakian www.urgences-serveur.fr/ intoxication-aux-opiaces,254.html