« Chacun doit rester dans son champ de compétences ! » - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

MÉDECINES DOUCES

RÉFLEXION

Phytothérapeute et expert en médecines alternatives et complémentaires (MAC), le Dr Éric Lorrain a fondé sa pratique sur l’approche globale du patient. Il démêle ici le bon grain de l’ivraie.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment définir les « MAC »?

ÉRIC LORRAIN : Le terme « MAC » recouvre un champ vaste, trop vaste : le thermalisme peut en fait partie, au même titre que l’homéopathie, la micronutrition, la phytothérapie… Si nous prenons l’exemple de l’usage des plantes, il faut bien faire la différence entre l’approche traditionnelle et empirique (les tisanes), et l’approche scientifique, qui concerne les extraits de plantes. Dans le terme MAC, « complémentaire » est aussi important que « alternative », qui sous-entend que ces médecines se définiraient en opposition à la médecine conventionnelle. On parle aussi de « médecine douce » ou de « médecine holistique » ; ce sont des variantes, de la même démarche, selon les mouvements de pensée : l’approche globale du patient. Attention, ensuite, au cadre dans lequel les MAC sont pratiquées. Si le diagnostic des problèmes du patient se fait en dehors d’un environnement médical, le traitement risque de partir dans tous les sens ; les besoins doivent être identifiés dans un cadre scientifique et rationnel.

L’I. M : Comment expliquer l’engouement suscité par les MAC ?

É. L. : D’abord, du côté des praticiens, par l’évolution de la médecine conventionnelle et de ses conditions d’exercice. Quand j’ai ouvert mon cabinet, on nous promettait un doublement des connaissances tous les cinq ans. Ce n’est pas le cas. La progression des connaissances concerne des domaines isolés, et, dans la médecine quotidienne, nous prescrivons pour l’essentiel les mêmes remèdes allopathiques qu’il y a vingt ans. Parallèlement, nous voyons surgir de plus en plus de polémiques sur les médicaments et leur prescription à outrance. On est passé du tout-amour à la détestation, la Sécurité sociale s’est désengagée sur un certain nombre de traitements. Le bouche-à-oreille autour des approches naturelles est très favorable. Du coup, certaines mutuelles proposent des forfaits « santé alternative », qui correspondent à une évolution des besoins.

L’I. M : En quoi, précisément, les MAC sont-elles complémentaires de la médecine conventionnelle ?

É. L. : 70 à 80 % des pathologies en médecine courante n’appellent pas de médicaments chimiques. On peut accompagner un traitement allopathique avec de la phytothérapie. Par exemple, prescrire une détoxication hépatorénale en phytothérapie à un patient qui doit garder son traitement conventionnel va l’aider à mieux tolérer ce dernier. Pour certains troubles, notamment psychiques, l’allopathie peut poser problème. L’exemple de la surconsommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, et de la surmédication des personnes âgées est caractéristique de ces limites. Pour certaines affections, au moins celles qui restent légères à modérées, on a besoin d’une alternative.

L’I. M : Des alternatives applicables à des maladies comme le cancer ?

É. L. : Dire que l’on va guérir un cancer avec une plante n’a pas de sens ! C’est une provocation de personnes qui exercent en dehors de tout cadre médical, éthique, scientifique. En revanche, on peut se pencher sur l’intérêt de certaines plantes, comme le curcuma ; ça ne veut bien évidemment pas dire que l’on va traiter le cancer uniquement avec cette plante, il y a des protocoles. Mais, bien pratiquées, la phytothérapie et la micronutrion vont permettre d’accompagner le traitement du cancer, et participer au retour à l’état de bonne santé. La bonne pratique signifie que chacun reste dans son champ de compétences.

À l’inverse, pour certaines pathologies, je n’imagine pas un seul instant que l’on puisse soigner par des médicaments de synthèse. Par exemple, les conditions d’exercice à l’hôpital – travail de nuit, manque d’effectif, travail physique – génèrent un stress important et, en même temps, un risque de désadaptation au stress. Résultat : de nombreuses infirmières souffrent d’un syndrome d’épuisement ou d’un état dépressif, anxieux, de troubles du sommeil, digestifs, hormonaux, de TMS (troubles musculo-squelettiques). L’impact des modifications chronobiologoqiues peut très bien être traité par les « médicaments de plante ».

L’I. M : Parler de « médecine alternative » évoque immanquablement le risque de dérive sectaire…

É. L. : Il faut bien faire le tri entre ce qui est une technique plus qu’une médecine à proprement parler – la luminothérapie, l’hypnose, la sophrologie… – et des pratiques plus discutables. Certaines peuvent paraître totalement exotiques : le Reiki, le toucher énergétique, le magnétisme… Pourquoi pas chez certains peuples amérindiens, dans le cadre de la médecine chamanique… Mais il est évident que, dans la mesure où certaines de ces pratiques nous sont étrangères, les appliquer au pied de la lettre et de façon inadaptée à nos cultures peut facilement dériver vers des buts sectaires et/ou commerciaux. Ce n’est pas parce que les MAC sont un phénomène de société qu’il faut foncer dedans tête baissée ; si vous apportez un plus, c’est bien, mais si vous faites perdre des chances à votre patient, notamment en lui disant d’arrêter son traitement contre le cancer, c’est dangereux. D’autant qu’il est en situation de vulnérabilité. Les MAC doivent être des outils utilisés par des mains formées. À partir du moment où elles sont prescrites par des professionnels de la santé, il n’y a pas de raison de se méfier à outrance. Tout ce qui participe d’une prise en charge psychothérapeutique, comme la sophrologie, l’hypnose ou l’EMDR(1), relève de techniques de déprogrammation du stress bien organisées et structurées, menées par des praticiens dédiés.

L’I. M : Les MAC sont-elles des « médecines du prévenir » plutôt que « du guérir »?

É. L. : Nous avons les outils pour faire les deux. Et, bien faire les deux dépend de l’expérience, de l’actualisation des connaissances du praticien. Cela dépend aussi, dans la mesure où la prévention est plus spécifique à ­certaines professions, du praticien auquel s’adresse le patient. Les MAC s’inscrivent, en fait, dans le cadre d’une éducation thérapeutique nécessaire. Si vous consultez un naturopathe, il fera de la prévention, par exemple pour l’accompagnement de la ménopause. Un pharmacien, qui est impliqué dans le conseil, va aussi y participer. La prévention des infections hivernales est une bonne illustration ; l’EPS cyprès est un extrait actif sur le virus de la grippe, des rhumes, et sur toutes les viroses respiratoires. Pris dès les premiers moments d’une grippe, même le tamiflu, qui est d’ailleurs un dérivé de plantes (badiane), ne fait pas mieux. Mais, pour entreprendre cette prévention, il faut avoir la disposition d’esprit, le temps, être réceptif : les femmes, enceintes notamment, les sportifs, les personnes âgées vont l’être davantage.

L’I. M : Est-ce uniquement une question d’ouverture d’esprit ?

É. L. : La vraie question, c’est : la prévention doit-elle se faire dans le cadre de la santé publique ou dans celui d’une démarche individuelle ? Je pense, pour ma part, qu’elle doit être fondée sur une démarche individuelle, car il faut qu’elle soit personnalisée. Le cas de la vitamine D le montre bien : certains confrères la prescrivent d’office en cure à tous leurs patients, avec le même dosage. Or, certains restent carencés malgré tout. Donc, il vaut mieux personnaliser la prescription, indiquer un dosage individuel plutôt que de proposer systématiquement la même cure. De même, les carences en iode doivent être dépistées. Elles peuvent, notamment, être à l’origine d’une infertilité. C’est peu connu, car la formation d’un médecin généraliste est calquée sur un modèle allopathique : il va donc avoir tendance à raisonner en termes de médicaments. Un médecin qui inclut la phytothérapie et la nutrition dans sa pratique va davantage rechercher les carences. Tout en gardant à l’esprit, s’il fait appel aux MAC, que la démarche clinique est primordiale ; qu’il faut faire des bilans sans être excessif, et se rappeler que de nombreux éléments reposent sur l’interrogatoire médical.

1 – EMDR (en français) : mouvements oculaires de sensibilisation et de retraitement, technique qui traite les syndromes de stress post-traumatiques.

ÉRIC LORRAIN

MÉDECIN PHYTOTHÉRAPEUTE

→ Il ouvre son cabinet en 1984, après avoir obtenu son diplôme de médecine générale et du sport, en 1983.

→ Il se forme à l’acupuncture, à l’ostéopathie, à la phytothérapie au long des années 1980, ainsi qu’à la micronutrition, dans les années 1990.

→ Depuis 2000, il intervient en France, en Belgique et en Suisse comme expert auprès d’un public médical et paramédical.

→ Il enseigne dans le cadre de plusieurs DIU de phytothérapie depuis 2003.

→ En 2007, il participe à la fondation de l’Institut européen des substances végétales(1), dont il est le président.

1 – www.iesv.org

LIVRE

À paraître début avril :

Cent questions sur la phytothérapie, éditions La Boétie.