Des missions sans tabous - L'Infirmière Magazine n° 318 du 01/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 318 du 01/03/2013

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Infirmière toulousaine, Nathalie a fait le choix de l’humanitaire. Pendant six mois, elle a collaboré à un projet de chirurgie réparatrice au Nigeria, auprès de Médecins sans frontières.

Elles sont des dizaines, assises dans la cour ombragée du petit hôpital de Jahun, au nord-est du Nigeria. Ces femmes, souvent à peine adolescentes, souffrent d’une fistule obstétricale, et attendent l’opération qui leur changera la vie. « La fistule est une lésion entre la paroi vaginale et la vessie, qui provoque une incontinence chronique. L’intervention chirurgicale permet aux patientes de mener à nouveau une existence normale », explique Nathalie Bouygues, infirmière pour Médecins sans frontières. Passionnée, cette jeune femme d’une quarantaine d’années au caractère bien trempé, est arrivée à Jahun début 2012, pour une mission de six mois. Une région déshéritée, où il faut apprendre à vivre avec la poussière, la chaleur et l’instabilité politique. « Tout se passe bien avec les patientes et l’équipe nigériane. Mais il faut respecter les sensibilités locales. Nous sommes dans une région majoritairement musulmane, donc pas de débardeur ni de jupe au-dessus du genou », précise l’infirmière, qui porte une longue tunique aux couleurs vives sur un pantalon large.

Alors qu’elle traverse la salle d’hospitalisation, où sont alignés une quarantaine de lits, Nathalie semble dans son élément. L’idée d’être infirmière l’a toujours attirée bien que sa mère, aide-soignante, ait tenté de l’en dissuader. « Elle connaissait les difficultés du métier, déclare l’infirmière. Mais je ne regrette pas mes choix. J’aime vraiment ce que je fais. » Engagée dans l’humanitaire depuis sept ans, elle réfute les images philanthropiques qui y sont parfois associées. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une vocation. Je ne suis pas bonne sœur, plaisante-t-elle. Et puis il ne faut pas se voiler la face : on part pour soi, pour les rencontres et l’expérience enrichissantes que cela apporte. » Mais le travail est fatigant. Et Nathalie ne compte pas ses heures. Derrière son ton un peu direct, transparaît une envie de bien faire les choses. « Avant de faire ce métier, je n’avais jamais beaucoup voyagé », continue-t-elle. Nathalie a grandi à Arcachon, et, son bac en poche, a entamé des études d’infirmière. Au départ intérimaire dans divers hôpitaux, elle exerce comme infirmière de salle de réveil dans une clinique toulousaine pendant trois ans. Elle part ensuite à Lyon, pour une formation en pathologies tropicales, et entend parler d’un poste vacant en Côte d’Ivoire. « Je m’ennuyais un peu en France… », avoue-t-elle. L’infirmière part avec la Délégation catholique pour la coopération et passe deux ans à Soubré, au sud-ouest du pays, dans un dispensaire géré par des religieuses. « Une expérience parfois difficile, car les moyens étaient très limités. Mais j’ai appris à m’adapter », se souvient-elle. Nathalie attrape le virus du voyage. De retour en France, elle travaille comme infirmière de bloc.

Congé de solidarité

Mais, son envie de repartir la pousse à contacter Médecins sans frontières. « J’ai dû passer un entretien pour évaluer mes motivations. Beaucoup de candidats veulent partir pour de mauvaises raisons. Parce qu’ils se sentent mal dans leur peau et souhaitent fuir leurs problèmes », commente-t-elle. Le test est concluant. Elle prend donc un congé de solidarité internationale (CSI) et passe quatre mois en Côte d’Ivoire au sein de l’organisation internationale. Les missions vont alors s’enchaîner, la plupart comme infirmière de bloc, dans des pays faisant face à une situation d’urgence : République démocratique du Congo, Centrafrique, Iran, Haïti… C’est là qu’elle rencontre son compagnon, un Haïtien qui travaille lui aussi pour MSF. « Depuis, nous effectuons des missions ensemble », résume-t-elle, plutôt discrète sur sa vie privée. Le couple, qui ne parle pas très bien l’anglais, demande à être affecté en Afrique anglophone, dans l’espoir de s’améliorer. Ce sera le Nigeria.

Ici, dans les villages, souvent situés à plusieurs heures de marche d’un centre de santé, la plupart des femmes accouchent à domicile, sans assistance médicale. Même si les accoucheuses traditionnelles ont de l’expérience, elles ne sont ni formées ni équipées pour gérer les complications. Le travail peut durer très longtemps, parfois plusieurs jours. Le bébé est souvent mort-né et la mère, si elle survit, en sort rarement indemne. Pendant l’accouchement, la compression prolongée de la tête du fœtus sur les tissus du bassin engendre un manque d’irrigation sanguine qui entraîne une nécrose. Celle-ci forme un orifice anormal entre le vagin et la vessie, entre le vagin et le rectum, ou les deux à la fois. Cette fistule obstétricale, l’une des conséquences les plus graves d’un accouchement compliqué, provoque une incontinence permanente. Chaque année, pas moins de 600 000 femmes – dont un tiers en Afrique – sont victimes de cette infirmité. Elles sont alors souillées, sentent mauvais, et voient leur vie s’effondrer. Souvent, elles sont rejetées par leur mari et mises à l’écart de la communauté. Depuis 2008, à l’hôpital de Jahun, Médecins sans frontières opère chaque mois une vingtaine de ces femmes. Démunies, elles n’auraient pas les moyens de payer des traitements dans des cliniques privées, et beaucoup font plusieurs jours de voyage pour venir se faire soigner ici. En tant qu’infirmière expatriée, Nathalie gère la salle d’hospitalisation, la pharmacie, et assiste l’équipe nigériane – soit huit infirmières et une superviseuse, qui travaille avec elle dans l’hôpital public. « Le niveau de formation est bon dans le pays, ce qui facilite les choses. Mais l’infirmière en chef est jeune, alors je l’aide à prendre ses marques. Je donne aussi des formations sur les soins infirmiers, l’hygiène, la gestion de la pharmacie… », décrit Nathalie. Une collaboration avec le personnel national qui permet aussi d’échanger expériences et points de vue. Souvent, grâce à l’aide apportée par les collègues nigérianes, le contexte culturel et donc les besoins sont mieux compris.

Pas de fatalité

La chirurgie réparatrice de la fistule obstétricale nécessite une hospitalisation de plusieurs semaines. Après l’intervention, les patientes bénéficient d’une rééducation et d’un suivi psychosocial pour se réinsérer. « L’objectif est aussi de briser le tabou autour de cette infirmité : la fistule n’est pas une fatalité et peut être guérie », déclare l’infirmière. Traversant la salle d’un pas décidé, la jeune femme distribue quelques sourires et petits gestes de la main aux patientes alitées. Bon nombre de ces femmes n’avaient jamais vu de personne blanche avant leur admission à l’hôpital. « Le contact est assez facile, malgré la barrière de la langue », constate Nathalie. Le vécu de ces femmes est souvent très douloureux. Pour se protéger, l’infirmière s’efforce de toujours conserver une distance. Mais elle est souvent touchée par certaines histoires. Comme celle de cette jeune fille violée quotidiennement par son mari, avec une brutalité telle qu’une lésion s’est formée entre son vagin et son rectum, mais qui préfère se taire plutôt que de risquer un divorce et la honte qu’il entraînerait. « Le plus frustrant, c’est lorsque nous ne pouvons rien faire pour aider ces femmes, avoue l’infirmière. Par exemple, lorsque la nécrose est trop importante pour être opérée. » C’est la fin de sa longue journée de travail. Nathalie a le visage fatigué. « Je me dis souvent que j’aurais dû faire un autre métier », déclare-t-elle avec un sourire ironique.

Depuis, l’infirmière a quitté le Nigeria. Elle assure une nouvelle mission à Goma, à l’est de la République démocratique du Congo.

MOMENTS CLÉS

1969 Naissance à Toulouse.

1989-1991 Elle entre à l’École d’infirmières Purpan de Toulouse.

1999 Elle suit une formation en pathologies tropicales donnée à Lyon par l’Association médicale missionnaire (AMM).

2000-2001 Elle travaille dans un dispensaire géré par les sœurs Notre-Dame-du-Calvaire en Côte d’Ivoire.

2005 Elle part pour sa première mission avec MSF, en Côte d’Ivoire, comme infirmière de bloc.

2012 Mission de six mois à Jahun, au Nigeria.

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