DES INFIRMIÈRES DEROUTÉES - L'Infirmière Magazine n° 316 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 316 du 01/02/2013

 

CHÔMAGE

ACTUALITÉ

Les témoignages de soignantes surprises par des difficultés d’accès à l’emploi affluent depuis septembre. Panorama de la situation et tentative d’explication.

« Quand je dis que je suis au chômage, les gens me regardent avec un drôle d’air… » Olivier Mere, 42 ans, infirmier diplômé d’État depuis 2008, est le premier « surpris » par sa situation. Il a fait le choix de travailler en intérim, mais, depuis septembre, « l’emploi a plongé » et son téléphone reste silencieux. Il s’est mis en quête « d’un CDD ou d’un CDI », mais les offres sont rares à Angers, où il habite. « Les postes proposés sont compliqués. Souvent dans des Ehpad isolés, avec des journées coupées, par exemple de 8 heures à midi et de 17 à 20 heures. » Les témoignages similaires affluent sur les forums ou encore sur la page Facebook intitulée « Infirmier(e)s au chômage ? ». Créée fin octobre, elle vise à pallier le « manque d’informations sur ce phénomène déroutant » pour la profession. Il y a quelques mois encore, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) prévoyait la création nette de 90 000 emplois d’ici à 2020…

Il n’y a pas de chiffres officiels récents sur le chômage des infirmières mais, sur le terrain, le ralentissement est tout à fait perceptible. Christophe Bougeard, directeur général de L’Appel médical, principale agence d’intérim et de recrutement des professionnels de santé en France, confirme une « conjoncture difficile, inédite depuis douze à quinze ans ». Seule la profession infirmière est concernée, puisque « toutes les autres qualifications sont en progression d’activité ». Selon ce dernier, il y a eu un retournement de situation dans le courant du second semestre 2012. « La baisse est généralisée, constate-t-il. Elle est accentuée dans l’Ouest et dans l’Est. » En Bretagne, en Aquitaine ou en Rhône-Alpes, « les CV s’accumulent sur les bureaux des CHU et des grandes cliniques privées », lance-t-il. La demande en infirmières reste, en revanche, plus soutenue « en Ile-de-France ou dans l’extrême Sud-Est », et toujours forte « dans les établissements secondaires et les Ehpad isolés ».

Au CHU de Bordeaux, en 2012, il y a eu « un basculement total, explique Luc Durand, coordonnateur général des soins. Il y un an, on craignait le pire et aujourd’hui, nous avons plus de 700 dossiers en attente de postes, à tel point que l’on ne sait plus comment les gérer. »

« Basculement »

Même constat au CHU de Nantes, où tous les postes ont été pourvus, y compris « en psychiatrie et en gériatrie, deux services où le recrutement est habituellement difficile », précise Ariane Benard, directrice du pôle personnel. Aux Hospices civils de Lyon, sur 4 000 postes d’infirmière, seuls 38 sont vacants, dont 11 postes de nuit, 6 de bloc et 17 en gériatrie. Même en Ile-de-France, l’AP-HP, habituée à la pénurie, affirme être en situation de « plein emploi » depuis septembre. « C’est exceptionnel, admet Nicolas Pruvot, directeur des soins à la direction des soins et des activités paramédicales. En novembre 2011, nous avions 800 postes infirmiers vacants ; un an plus tard, nous avons recruté 270 infirmières supplémentaires par rapport à nos prévisions budgétaires, pour anticiper des difficultés futures. » « Des infirmières doivent changer de région, certaines sont contraintes d’accepter des postes d’aide-soignante », s’inquiète Ève Guillaume, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), alertée dès le mois de juillet par les nouveaux diplômés arrivés sur le marché de l’emploi. La fédération a réalisé sa propre enquête auprès des agences d’intérim et constate « de grandes disparités géographiques. Certaines régions, comme la Bretagne, l’Aquitaine, le Nord-Pas-de-Calais, l’Alsace et la Normandie, n’emploient plus, alors que des offres d’emplois existent en Ile-de-France ou en région Centre. »

Trois facteurs d’explication sont avancés. Le premier est la réforme LMD de 2009, qui a raccourci la formation. En 2012, les promotions de l’ancien programme et ceux du nouveau programme sont arrivées sur le marché de l’emploi à quelques mois d’intervalle. Le nombre de diplômés a été plus important. En Aquitaine, par exemple, il a été supérieur de 9,5 % par rapport à 2011.

Restrictions budgétaires

Pour Christophe Bougeard, de L’Appel médical, c’est le « principal facteur explicatif. Cette surdemande est limitée dans le temps ». L’agence constate déjà « des premiers indices d’amélioration » et prévoit « un retour à l’équilibre dans le courant du premier semestre 2013 ». Mais, pour la Fnesi, l’emploi infirmier est aussi une variable d’ajustement pour des établissements en difficulté économique. La Fédération hospitalière de France (FHF), qui a interrogé les DRH de ses établissements, admet que les difficultés d’accès à l’emploi infirmier « recoupent des situations de restriction budgétaire ». En Gironde, l’ARS note une différence significative de 100 recrutements en moins en 2012 par rapport à 2011 dans les établissements sanitaires publics et privés. Le directeur de l’Appel médical relativise, cependant, « ce facteur structurel, qui n’est pas nouveau, et qui, jusque-là, n’avait pas ralenti le marché de l’emploi infirmier ».

Numerus clausus

Ponctuelle ou non, cette situation de tension conduit la Fnesi à s’interroger sur le numerus clausus infirmier : « Au niveau national, les quotas d’entrée en Ifsi n’ont cessé d’augmenter ces vingt dernières années. De 18 466 en 1995, le nombre de places d’admission au concours d’entrée en Ifsi est passé à 30 846 en 2011 », rappelle la fédération. Au niveau régional, la gestion des quotas n’est pas toujours optimale. « Des régions qui ont des difficultés à recruter obtiennent une augmentation de leurs quotas, sans que soit prise en compte la situation de l’emploi dans les régions alentour. Pourtant, les infirmiers se déplacent », estime Ève Guillaume. Pour la FHF, au contraire, cette progression du numerus clausus est nécessaire, car « les effectifs de départs à la retraite vont croître dans les années à venir ». La pénurie guette toujours.

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