La prise en charge de la douleur des plaies - L'Infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

DOSSIER

QUESTIONS SUR

Vous venez effectuer les pansements d’ulcère de jambe de Madame F. Elle est algique et cote sa douleur à 6/10 sur l’échelle numérique (EN). Que devez-vous faire ?

Vous assurez à Madame F. que ses pansements seront réalisés lorsqu’elle aura une intensité de douleur moins forte, et vous lui proposez des moyens non pharmacologiques pour la soulager en attendant que le traitement pris en prévention de la douleur provoquée par ce geste produise son effet antalgique.

Existe-t-il plusieurs types de plaies ?

Une plaie est une lésion de la peau qui s’effectue par déchirure des tissus et une effraction de la barrière cutanée (coupure, arrachement, brûlure, intervention chirurgicale). Les plaies sont classées en deux catégories : les plaies aiguës (traumatologie, morsures, gelures, brûlures) ; et les plaies chroniques (escarres, plaies du pied diabétique, ulcères). La prévalence des plaies est difficile à apprécier en France en raison du manque de chiffres et d’études réalisées par les infirmières. Une enquête épidémiologique de grande envergure a été réalisée par la Société française et francophone des plaies et cicatrisations(1) et a confirmé une grande prévalence en ville, dans les hôpitaux et dans toutes les structures de soins.

Pourquoi s’intéresser à la gestion de la douleur des plaies ?

Pendant longtemps, la gestion des plaies par les praticiens a été orientée sur la qualité de la cicatrisation jusqu’à la guérison complète, au détriment du confort et de la qualité de vie de la personne soignée. La gestion de la douleur, fondamentale pour garantir l’efficience des soins, nécessite que chaque professionnel comprenne l’impact des facteurs physiologiques, psychologiques, émotionnels et sociaux sur la douleur ressentie par le patient. En 2004, une initiative pédagogique de la World Union of Wound Healing Societies, regroupant un groupe de travail d’experts, a établi un document de référence(2) permettant aux soignants de comprendre les traumatismes liés aux plaies et d’apprendre à se recentrer sur le patient, avec comme priorité la gestion de sa douleur. Les effets délétères de celle-ci sur ses capacités physiologiques sont peu évalués, en raison du manque d’études, difficiles à réaliser sur le plan éthique.

Quels sont les différents types de douleur liée à la plaie ?

Il y a deux types de douleur : la douleur aiguë ou nociceptive et la douleur neuropathique.

→ La douleur aiguë est une douleur par excès de nociception (réponse physiologique à un stimulus douloureux), liée à une atteinte organique, de courte durée, d’intensité variable. Lorsque les plaies sont longues à cicatriser, la réponse inflammatoire peut entraîner une hypersensibilité sur le site lésionnel, dite hyperalgie primaire, et une hypersensibilité des tissus environnants, dite hyperalgie secondaire.

→ La douleur neuropathique est « initiée ou causée par une lésion primitive ou un dysfonctionnement du système nerveux »(3). Cette définition a évolué, et la douleur neuropathique est actuellement considérée comme « une douleur associée à une lésion ou à une maladie affectant le système somatosensoriel ». Elle est liée à une lésion d’origine traumatique, infectieuse, tumorale, médicamenteuse d’un ou plusieurs éléments du système nerveux (nerf, moëlle épinière, centres supérieurs, synapse…).

La douleur neuropathique est souvent associée à des sensations de brûlure, de froid intense ou de décharge électrique. Une douleur intense (allodynie) peut être déclenchée par un stimulus sensoriel : pression, contact ou changement de température.

Connaît-on les causes de ces douleurs ?

Il existe différentes causes de douleur, et il est fondamental de les identifier pour évaluer et prendre en charge la souffrance de la personne soignée en tenant compte de son expérience et de son environnement psychosocial.

→ La douleur de fond est celle que la personne ressent au repos, en dehors des interventions sur la plaie. Elle peut être continue ou intermittente, et liée à l’étiologie de la plaie, à des facteurs localisés sur celle-ci (ischémie, infection…) et à d’autres pathologies associées (neuropathie diabétique, arthrite rhumatoïde…). La personne soignée peut, par ailleurs, ressentir une douleur qui n’est pas en lien avec la plaie, mais qu’il faut relier à une douleur de fond (zona, arthrose, cancer, notamment).

→ La douleur soudaine survient dans les activités quotidiennes : mobilisation, toux, ou à la suite d’un déplacement du pansement.

→ La douleur procédurale correspond aux manipulations liées à la procédure de gestion de la plaie : retrait du pansement, nettoyage et application de celui-ci.

→ La douleur opératoire est liée à toute intervention réalisée par un spécialiste et dont la prise en charge nécessite une anesthésie (locale ou générale).

Quelle que soit la cause de la douleur, il ne faut pas oublier de tenir compte :

→ des facteurs psychosociaux : âge, sexe, culture, éducation, anxiété, dépression, peur… ;

→ des facteurs environnementaux : moment et lieu du soin, niveau de bruit, position de la personne soignée, ressources…

Quelle est la démarche d’évaluation de la douleur pour la gestion des plaies ?

L’évaluation de la douleur est une étape indispensable, afin d’orienter le traitement antalgique et d’apprécier son efficacité.

→ Une évaluation initiale doit être réalisée, pour identifier les douleurs de fond, soudaine, procédurale et opératoire. Cette première analyse permet de s’informer sur l’expérience de la personne soignée, son ressenti, son vécu dans le contexte de soins, et de mieux connaître la plaie.

→ L’évaluation continue s’effectue à chaque fois qu’un soin lié à la plaie est réalisé. Une douleur de fond liée à la plaie, ainsi que toute autre douleur apparaissant autour du site lésionnel, doit être évaluée, et son intensité mesurée avant, pendant et après le soin. Pour mesurer l’intensité de la douleur(4)(5), les principes de base de l’évaluation sont identiques pour tous les types de plaies.

→ Pour le patient communicant et l’enfant de plus de 6 ans, utiliser un outil d’auto-évaluation de l’intensité adaptée à l’âge :

– pour l’enfant : EVA(6), FPS-R(7) (échelle des visages) ;

– pour l’adulte : EVA, EN(8), EVS(9).

→ Pour le patient non communicant et l’enfant de moins de 6 ans, utiliser un outil d’hétéroévaluation (différentes échelles comportementales peuvent être utilisées) :

- chez l’enfant : OPS(10) (à partir de 2 mois), NFCS(11) (jusqu’à 18 mois) et CHEOPS(12) (de 1 à 6 ans) ;

– chez l’enfant handicapé : FLAAC(13) ;

– chez l’adolescent ou l’adulte handicapé : EDAAP(14) ;

– chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale : Algoplus.

Les éléments recueillis (mesure de l’intensité, et tous les signes observables) doivent être notés dans le dossier de soins afin que la continuité de la prise en charge soit assurée et que l’on puisse apprécier dans le temps si la douleur liée à la plaie est en diminution ou en augmentation.

Pourquoi et comment évaluer la douleur pendant le soin ?

Prévenir le soin douloureux pendant sa réalisation donne au soin une dimension relationnelle de qualité, et cela passe par la recherche du confort du patient, en s’autorisant un temps de pause, voire l’arrêt du soin si celui-ci se révèle trop inconfortable.

L’action en binôme, avec un soignant centré sur le contact, la détente, la relaxation, l’évaluation de la douleur et/ou l’observation des signes d’alerte, et un autre, attentif au geste, est à privilégier pour répondre le mieux possible aux besoins du patient.

Quels sont les moyens de prévention et de traitement de cette douleur ?

→ Les moyens indépendant de la prescription médicale, relevant de la mise en œuvre du rôle propre :

– comportement attentionné du soignant ;

– organisation des soins : anticipation, respect de l’efficacité des moyens antalgiques, travail en binôme ;

– anticipation de la mise en œuvre des moyens antalgiques, respect du délai d’efficacité des antalgiques ;

– recherche du matériel le plus adapté ;

– maîtrise du geste ;

– information du patient ;

– évaluation de la douleur ;

– mise en œuvre des méthodes non pharmaco– logiques(15) : distraction (musique, rêve éveillé…), relaxation, hypnose, sophrologie, utilisation du froid, du chaud, massages de confort…

→ Les traitements dépendant d’une prescription médicale :

– antalgiques locaux et généraux : Emla®, anesthésiques locaux, médicaments du palier 2, morphiniques ;

– Meopa(16) ;

– anesthésie : loco-régionale, générale si nécessaire ;

– anxiolytiques.

1– www.sffpc.org.

2–  « Principles of best practice : minimising pain at wound dressing-related procedures. A consensus document ». London : MEP Ltd, 2004.

3– International association for the study of pain (IASP), 1994.

4–  « Recommandations pour la pratique clinique : standards, options et recommandations pour l’évaluation de la douleur chez l’adulte et l’enfant atteints d’un cancer », sept. 2003, Rapport intégral.

5–  «  Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant de 1 mois à 15 ans », Service recommandations et références professionnelles, Anaes, mars 2000.

6– Échelle visuelle analogique.

7– Faces pain scale – revised (FPS-R).

8– Échelle numérique.

9– Échelle verbale simple.

10– Objective pain scale.

11– Neonatal facial coding system.

12– Children’s hospital of eastern Ontario painscale.

13– Face legs activity cry consolability.

14– Edaap : expression de la douleur chez l’adolescent ou l’adulte polyhandicapé.

15– Thibault P., Fournival N. Moyens non pharmacologiques de prise en charge de la douleur. Coll. Soins. Éd. Lamarre, août 2012.

16– Mélange équimolaire oxygène protoxyde d’azote.

LÉGISLATION

La responsabilité infirmière

Rôle propre

→ Concernant la douleur provoquée par les soins, il est important de rappeler le texte régissant l’exercice de la profession d’infirmier(1), précisant le cadre de travail de ces professionnels dans la prise en charge de la douleur, qu’ils exercent en milieu hospitalier ou en secteur libéral. Il y est mentionné que l’évaluation de la douleur relève du rôle propre infirmier (articles R. 4311-2 point 5 et R. 4311-5 point 19).

→ Par ailleurs, la notion de douleur provoquée par les soins a été introduite dans le plan de lutte contre la douleur 2002-2005 dont l’une des priorités était « la prévention et le traitement de la douleur provoquée par les soins, les actes quotidiens et la chirurgie », avec l’objectif de « renforcer le rôle infirmier, notamment dans la prise en charge de la douleur provoquée ».

→ Dans le troisième plan de lutte contre la douleur, l’axe 3 invite les acteurs de santé à « améliorer la prévention des douleurs induites par les actes de soins »(2) et à « développer les traitements physiques ou les méthodes psycho-corporelles »(3).

Obligation

Sur le plan législatif, l’article L. 110-5 dispose que « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, prise en compte et traitée ». Soulager la douleur, en toutes circonstances, est donc une obligation pour les personnels médicaux et paramédicaux : « Si un/e patient(e) ressent une douleur sévère au cours d’une procédure de changement de pansement, répéter la procédure sans anti-douleur adéquat relève de la négligence. »

1– Articles R. 4311 – Faces Pain Scale – Revised (FPS-R)1 à R. 4311-15 du Code de la santé publique – Livre III : auxiliaires médicaux – Titre 1 : Profession d’infirmier ou d’infirmière. http://www.codes-et-lois.fr/code-de-la-sante-publique/toc-professions-sante– auxiliaires-medicaux-aides-soignants-auxi-1cc02fb-texte-integral.

2– Mesure 19, page 28.

3– Mesure 20, page 29.

CONDUITE À TENIR

COMMENT UTILISER LA XYLOCAÏNE ?

Aucune recommandation n’encadre l’utilisation de la xylocaïne en pulvérisation lors de la réfection des pansements. Proposition pour la pratique infirmière *.

Contexte

– Il n’existe pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’utilisation de la xylocaïne en prévention de la douleur lors de la réfection des pansements.

– Les sociétés savantes concernées (SFFPC, SFGG, SFETD, SFAR, HAS, CNRD) ** n’ont pas émis de recommandations sur la prévention de la douleur lors de la réfection des pansements de plaies d’ulcère.

– La HAS a établi des recommandations pour la réfection des pansements d’escarres : crème anesthésique, antalgiques.

– On ne dispose pas de travaux de recherche confirmant l’efficacité de ces produits dans ce contexte de soins, ni de travaux de recherche confirmant les risques souvent évoqués, en particulier celui de passage dans la circulation sanguine et de surdosage.

– L’utilisation par les équipes hospitalières et les infirmiers libéraux est fréquente.

– L’efficacité clinique et l’absence d’effets secondaires sont observées.

– Il n’y a aucun intérêt, de la part des équipes, à prouver l’efficacité de ces produits dans ce contexte compte tenu des éléments précédents (comité scientifique du CNRD) : « Personne ne va prendre le temps de faire une étude clinique sur une pratique ancienne et jugée cliniquement efficace, sans effet secondaire observé. »

Indications

– Il existe de nombreux exemples de traitement antalgique et de prévention de la douleur utilisés hors AMM.

– Ne pas utiliser la xylocaïne en priorité (préférer l’Emla®, qui dispose d’une AMM pour cette indication).

– Quel que soit le contexte, lorsqu’un médicament est prescrit, et même si l’infirmière doit vérifier la prescription, c’est le médecin qui a la responsabilité de son utilisation dans le contexte. La soignante doit vérifier le produit, le dosage, la quantité, la date de péremption. Elle doit s’assurer des indications de son utilisation et, au besoin, solliciter le médecin. La non-application d’une prescription doit être tracée et argumentée dans le dossier de soins.

– Dans ce contexte, si des recom­mandations étaient réalisées, on peut penser que l’utilisation de la xylocaïne en gel ou en spray pour prévenir la douleur des plaies chroniques serait fondée sur « un accord entre les experts ».

– La mise en œuvre d’un groupe élaborant des recommandations pour la prévention des douleurs (aiguës et neuropathiques) lors de la réfection des pansements chez les patients porteurs de plaies d’ulcère est souhaitable.

* Ce document a été réalisé par Pascale Thibault-Wanquet et Nathalie Fournival, et soumis à l’équipe soignante du Dr Jean-Marie Gomas, gériatre à l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP), membre de la SFGG et du comité scientifique du CNRD.

** Société française et francophone des plaies et cicatrisations, Société française de gériatrie et de gérontologie, Société française d’étude et de traitement de la douleur, Société française d’anesthésie et de réanimation, Centre national de ressources de lutte contre la douleur.