Une autre voie lactée - L'Infirmière Magazine n° 314 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 314 du 01/01/2013

 

LACTARIUM D’ILE-DE-FRANCE

REPORTAGE

Situé à Paris, le lactarium d’Ile-de-France assure chaque année l’alimentation de quelque 2 500 bébés prématurés. Pour eux, le lait maternel est une nécessité vitale. Le dispositif repose exclusivement sur les dons de mamans bénévoles et sur une organisation et un traitement du lait sans failles.

Les trois congélateurs sont pleins à craquer. Quelque 200 litres de lait maternel y sont aujourd’hui conservés, prêts à être consommés. Karine Dufour, puéricultrice coordinatrice et responsable de la pasteurisation, ne cache d’ailleurs pas sa satisfaction. « Ça fait plaisir à voir ! », lance-t-elle. Quelques semaines avant les vacances d’été, les clayettes étaient pourtant désespérément vides, et un vent de pénurie planait sur Paris et sa région. « Au pire moment, nous ne disposions plus que de 400 ml de lait, soit l’équivalent de deux biberons », relate la puéricultrice. La situation était tellement critique que le lactarium d’Ile-de-France avait dépêché d’urgence un membre de l’équipe pour se procurer quelque 300 l du précieux breuvage à… Lille. Confronté à une impensable disette, le service de presse de l’hôpital Necker, auquel est rattaché le lactarium francilien depuis plusieurs mois, avait également adressé un communiqué de presse à toutes les rédactions de la région. Il sollicitait leur aide afin qu’elles relaient auprès des jeunes mamans son besoin impérieux de dons de lait maternel. L’appel avait été lancé par de nombreux médias, et entendu. Quelques jours plus tard, le secrétariat croulait sous les appels téléphoniques. L’opération avait permis d’identifier environ 150 donneuses potentielles. Une moyenne de 200 donneuses est en permanence nécessaire pour couvrir les besoins de la région. Recruter des mères donneuses est un enjeu de taille et un combat de chaque jour pour le lactarium francilien puisque sur les 10 000 prématurés qui naissent chaque année dans l’Hexagone, 2 500 voient le jour en Ile-de-France. Parmi eux, ceux pesant moins de 1 500 g et nés avant moins de 32 semaines de gestation doivent absolument être nourris au lait maternel, du fait, notamment, de l’immaturité de leur système digestif et des qualités naturelles de ce lait, en particulier pour lutter contre les infections. Or, durant les tout premiers jours qui suivent l’accouchement, les jeunes mères de ces nourrissons ne sont pas physiologiquement, ni parfois psychologiquement, prêtes à allaiter. Elles peuvent aussi être empêchées pour des raisons médicales, ou ne pas le souhaiter. Une seule solution alors : alimenter les nouveau-nés avec du lait maternel issu de dons. Chaque année, le lactarium en pasteurise ainsi quelque 6 000 litres.

Haute traçabilité

Ce matin, la pasteurisation bat son plein. Karine Dufour et deux agents hospitaliers sont à la manœuvre. Elles doivent traiter le plus rapidement possible le lait maternel qui a été collecté ces derniers jours et conservé au congélateur. « Nous mélangeons le lait de chaque maman dans un même lot afin d’homogénéiser sa composition. Ensuite, tous les lots sont pasteurisés le plus vite possible. Ce n’est pas une obligation, mais une précaution supplémentaire, afin que le lait ne séjourne pas dans les réfrigérateurs une fois décongelé, explique Karine. Au préalable, des échantillons de lait cru sont prélevés. Ils seront ensuite comparés aux résultats des échantillons prélevés, eux, sur les lots pasteurisés, et qui nous parviennent par informatique 48 heures plus tard, provenant directement du laboratoire de l’hôpital Necker. Si tout est normal, le lot pourra alors être vendu aux établissements. » « En revanche, si, par exemple, un lot pasteurisé ne révèle pas de traces de certains germes, tel le staphylocoque doré, mais que ce germe est présent dans l’échantillon témoin de lait cru, le lot entier sera systématiquement détruit. Certaines souches possèdent, en effet, des toxines thermo-stables qui ne seront pas éliminées par la pasteurisation. Là aussi, on ne prend aucun risque, l’état de santé du nourrisson peut en dépendre. Et la donneuse est immédiatement prévenue et mise sous traitement pour éradiquer le germe », indique Sylvie Aubry, cadre de santé du service. En outre, les résultats font l’objet d’une double lecture. Chaque lot est dûment étiqueté et anonymisé. Sa traçabilité est conservée sans limite de temps dans des banques de données informatisées et sécurisées. « Ainsi, dit Karine Dufour, si, dans trois mois, cinq ans, dix ans et plus encore, un enfant ou un adulte développe une maladie, nous sommes en mesure de déterminer si son origine est ou n’est pas le lait qu’il a absorbé lorsqu’il était bébé. » Une fois conditionné par biberons de 200 ml, le lait est plongé dans l’eau durant trente minutes et chauffé à 62,5 degrés. « C’est le standard recommandé à l’échelon international et par l’Agence européenne des banques de lait. Ce procédé permet de détruire une forte concentration d’agents bactériens, et aussi certains agents viraux, tout en conservant le maximum de propriétés anti-infectieuses », détaille le Dr Virginie Rigourd, pédiatre à l’hôpital Necker-Enfants malades et qui dirige le lactarium depuis dix ans. Après ce traitement, le lait maternel peut être conservé durant six mois. Généralement, il n’a pas le temps d’atteindre cette date de péremption car, malgré une demande à peu près stable, l’établissement présente un déficit chronique de 50 l à 100 l de lait par mois.

Multiples précautions

Mais, n’est pas donneuse qui veut… Le lait maternel est, en effet, considéré comme un produit de santé. Sa collecte, son traitement et sa vente sont strictement régis par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ex-Afssaps) et par le code de la santé publique. Les 19 lactariums de France, regroupés au sein de l’Association des lactariums(1), sont ainsi soumis aux mêmes règles et exigences de qualité. Avant d’être recrutées, les candidates au don(2) doivent passer une série d’examens et remplir un dossier médical, de type déclaratif, qui, avant d’être transmis au lactarium pour validation, doit également être contrôlé par le médecin traitant ou la sage-femme de la donneuse. Les professionnels de santé doivent s’assurer que la maman a bien renseigné le dossier et compris l’ensemble des items. « C’est un processus analogue au don de sang. Sont, par exemple, exclues les mamans qui se droguent ou se sont droguées par voie intraveineuse ou autre, ou consomment du cannabis, de l’alcool… Mais aussi celles qui ont reçu une transfusion sanguine ou une trans-plantation d’organe, ou encore celles qui ont bénéficié d’une dialyse rénale. Bref, des situations qui ont pu favoriser l’acquisition d’un virus », explique Sylvie Aubry. Et de détailler : « En revanche, peu de médicaments contre-indiquent le don de lait. Les candidates doivent aussi subir un examen sérologique attestant un résultat négatif au test du VIH 1 et 2, au HTLV 1 et 2, à l’HBS, aux anticorps HBc et à l’HCV. Cette sérologie sera renouvelée tous les trois mois, si la maman est encore donneuse. Une fois toutes ces précautions prises et que l’on s’est également assuré que la maman possède un congélateur, on peut alors organiser la collecte. Nous lui remettons un guide de bonnes pratiques sur l’hygiène corporelle, le matériel (tire-lait et récipient), les précautions à prendre au moment du conditionnement et de la conservation du lait jusqu’au passage du collecteur, qui, en général, se déplace à domicile tous les quinze jours. » Les mères qui tirent leur lait pour leur propre enfant son soumises aux mêmes conditions d’examen, qu’elles soient chez elles ou hospitalisées. « À tout moment, les mamans donneuses peuvent nous appeler pour obtenir un conseil, ou si elles souhaitent passer nous voir. Toute mère, d’ailleurs, qui s’interroge sur l’allaitement a la possibilité de nous contacter ou de venir nous rencontrer puisque l’une de nos missions est de promouvoir l’allaitement maternel auprès des mères comme auprès des professionnels qui œuvrent dans le domaine de la petite enfance ou de la santé néonatale et périnatale », indique Karine Dufour. À la demande des Ifsi et des écoles d’auxiliaires de puériculture, l’infirmière anime des sessions de formation et d’information sur l’allaitement. « Les infirmières sont nos meilleures ambassadrices auprès de mamans pour relayer la nécessité du don de lait, mais peu connaissent le travail et les missions des lactariums », confie Sylvie Aubry. De même, elles son peu nombreuses à se rendre compte du combat quotidien de cette petite équipe, qui ne compte que sept personnes, pour approvisionner les services de réanimation pédiatrique ou de néonatalogie. S’il est anonyme et gratuit, on comprend mieux que le don de lait est avant tout un geste de solidarité aussi essentiel que le don de sang et d’organe.

Rare et… cher

En moyenne, l’équipe traite entre 25 et 30 l de lait maternel par séance de pasteurisation, y compris celles consacrées à la pasteurisation du lait maternel dit « personnalisé », lait d’une mère uniquement destiné à son nouveau-né. Le lait maternel est tellement rare et précieux qu’une collecte peut être mise en place pour recueillir seulement 1,5 l. Au-delà de 37 semaines de vie et d’un poids minimum de 1 500 g, les nouveau-nés peuvent, en toute sécurité, être alimentés avec du lait maternisé. Bien que nés à terme, d’autres nourrissons bénéficient des dons de lait maternel, tels les enfants atteints d’une pathologie digestive, d’une malformation congénitale ou cardiaque. D’un coup d’œil donné à un biberon, Karine Dufour est capable de déterminer si le lait donné par une maman est un lait de colostrum, de transition ou de suite. Mais, quelle que soit l’étape de lactation, le lait maternel n’a pas les apports caloriques et protidiques suffisants pour faire grossir les prématurés (entre 32 et 37 semaines), et, singulièrement, les grands prématurés (entre 28 et 32 semaines) ou les prématurissimes (entre 24 et 28 semaines). Sur prescription médicale, le lait est systématiquement enrichi avec des lipides, des glucides, des protéines et des vitamines au sein des biberonneries. « Ces apports sont indispensables pour favoriser, également, le développement cérébral de l’enfant », explique la puéricultrice. Comme ce qui est rare est cher, le litre de lait maternel est actuellement facturé 80 euros(3). Ici, on n’en perd donc pas une goutte. En octobre dernier, le lactarium a définitivement quitté les locaux de l’Institut de puériculture de Paris, au sein duquel il avait été créé après la Seconde Guerre mondiale. Il a pris ses nouveaux quartiers à l’hôpital Necker. Pour lui aussi, et pour toute l’équipe, une nouvelle vie a commencé…

1– http://sdp.perinat-france.org/ADLF/lactariums_adlf.php

2– L’équipe du lactarium d’Ile– de-France peut être contactée par téléphone pour toute question ayant trait au don et à l’allaitement : lundi au vendredi de 8 h 30 à 16 h 30 au 01 40 44 39 14 ou au 01 40 44 39 16. Elle prodigue ses conseils aux professionnels comme au grand public.

3– Remboursés par la Sécurité sociale.

RECHERCHE CLINIQUE

Vers un lait maternel labellisé ?

Actuellement, la recherche scientifique sur le lait maternel porte, notamment, sur la pharmacologie et les mécanismes de passage des médicaments dans le lait de la femme. Ces investigations sont conduites dans le cadre de programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC). Une partie de la recherche se concentre aussi sur les qualités nutritionnelles et la variabilité du lait sur le plan virologique et bactériologique, et, particulièrement, les oncovirus de type HTLV (virus des leucocytes et humains 1 et 2). Les pathologies dues à ce virus (la leucémie-lymphome T de l’adulte et la paraplégie spastique tropicale – une neuromyélopathie chronique, invalidante) peuvent apparaître entre 20 et 60 années après la contamination. Le risque de transmission demeure cependant assez faible. « La recherche s’intéresse aussi à d’autres processus de pasteurisation, qui permettraient de mieux conserver les qualités anti-infectieuses et nutritionnelles du lait. L’enjeu est d’obtenir un lait de qualité optimale et, pourquoi pas, un label nutritionnel », espère le Dr Virginie Rigourd, responsable du Lactarium d’Ile-de-France.