L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT - L'Infirmière Magazine n° 308 du 01/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 308 du 01/10/2012

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

En France, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) se développe depuis une vingtaine d’années. Elle est de plus en plus souvent évoquée dans le milieu médical et dans les medias ; pourtant, sa pratique n’est pas toujours clairement perçue, y compris chez les professionnels de santé. Un rapport remis au ministre de la Santé en 2008, relevait que « dans le langage courant autant que dans les affirmations de certains professionnels, ce qui est plus surprenant, l’éducation thérapeutique et l’observance se confondent »(1).

Au travers d’une formation aujourd’hui intégrée dans le cursus initial, l’infirmière est un acteur essentiel, qui intervient dans toutes les étapes d’un programme d’éducation thérapeutique. Dans ce contexte, la collaboration constante avec le patient place les professionnels de santé au cœur d’un nouveau mode de relation soignante très apprécié des infirmières.

1. QU’EST-CE QUE L’ETP ?

Définition

Une approche différente

En 1998, l’Organisation mondiale de la santé a défini l’ETP comme une approche permettant aux patients atteints d’une maladie chronique, ainsi qu’à leur famille, d’acquérir ou de maintenir les compétences dont ils ont besoin pour conserver et améliorer leur qualité de vie(2). L’ETP est encore considérée comme un transfert de savoirs et de compétences d’un soignant vers un patient ou une personne qui, même en situation asymptomatique, présente des risques pour sa santé (risque cardio-vasculaire ou situation de pré-diabète, par exemple).

Toutes les maladies chroniques

L’ETP s’adresse à toute personne atteinte d’une pathologie chronique, quels que soient le type, le stade ou l’évolution de la maladie. En novembre 2011, les 26 agences régionales de santé avaient autorisé 2 653 programmes d’ETP : le diabète est la pathologie la plus représentée (29,4 %), suivi des maladies cardio-vasculaires (14,7 %), respiratoires (12 %) et de l’obésité (7,1 %). L’ETP s’applique aussi à des situations assimilées à des maladies chroniques, à l’adresse de patientes traitées pour un cancer du sein, par exemple, ou à des problématiques de santé publique telles la consommation non justifiée de benzodiazépines et les difficultés du sevrage (voir encadré p. 34).

Intégrée au parcours de soins

L’ETP est considérée comme intégrée à la prise en charge thérapeutique si elle est complémentaire et indissociable des traitements et des soins, du soulagement des symptômes et de la prévention des complications. C’est l’un des critères de qualité d’un programme d’éducation thérapeutique.

Développement en France

L’augmentation des maladies chroniques

L’ETP s’est principalement développée en milieu hospitalier, par l’action d’équipes soignantes et de médecins se trouvant confrontés aux maladies chroniques. Aujourd’hui, elle est proposée par des établissements de santé à des patients hospitalisés ou non, ou par les équipes des réseaux de santé. Trois facteurs principaux ont favorisé son développement :

– les progrès de la médecine, qui permettent de vivre plus longtemps avec une maladie ;

– l’augmentation du nombre de malades chroniques, qui rend impossible une prise en charge individuelle permanente ;

– la revendication d’autonomie des individus en général, qui amène les patients à réaliser eux-mêmes certains soins.

Les pionniers

À la fin des années 1990, en l’absence de cadre réglementaire, l’ETP est pratiquée par le biais de programmes expérimentaux. S’ils permettent de répondre précisément aux attentes d’une population ciblée, la Haute Autorité de santé (HAS) estime qu’ils présentent de (trop) larges disparités dans les pratiques(4). Pour garantir la qualité des programmes, la HAS et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) ont édité un guide méthodologique détaillé de l’organisation et du contenu d’un programme d’ETP(5). Depuis 2010, la loi en encadre les conditions d’exercice.

La loi de 2010 marque une étape

→ Évaluation des programmes : la loi de 2010(6) dispose que les programmes d’ETP doivent être autorisés par les agences régionales de santé (ARS). Ils sont réévalués tous les quatre ans par la HAS. Les professionnels estiment que la loi ne doit pas être considérée comme un obstacle mais plutôt comme une étape. Du moins, tant que l’interprétation de la loi par les ARS n’empêche pas les expérimentations originales qui sont nécessaires au développement de la pratique de l’ETP. À ce sujet, Françoise Castor, cadre supérieur de santé à l’hôpital Charles-Foix (Ivry-sur-Seine), évoque des disparités entre les régions : « L’ARS d’Ile-de-France a autorisé notre programme d’aide au sevrage des benzodiazépines chez les patients âgés bien qu’il s’agisse d’un problème de santé publique, alors que l’ETP est normalement tournée vers les maladies chroniques. Ce n’est pas le cas dans d’autres régions. »

→ Formation des professionnels : « Une formation d’une durée minimale de quarante heures » est désormais requise pour la pratique de l’ETP(7). Depuis 2009, elle est intégrée à la formation initiale des infirmières. Cette formation, jugée insuffisante pour une réelle compétence par les spécialistes, permet toutefois d’intégrer une équipe d’ETP. Les instituts de formation proposent différents niveaux de formation, et les infirmières peuvent aussi accéder à des diplômes universitaires (DU) et des Masters professionnels, plutôt tournés vers la conception et la mise en œuvre d’un programme d’ETP dans leur contexte professionnel.

→ Une équipe pluridisciplinaire : l’organisation en équipe pluridisciplinaire et le partage des compétences sont privilégiés. Au minimum, la loi prévoit qu’un programme d’ETP peut être mis en œuvre par deux professionnels de santé, dont l’un au moins est médecin. Ainsi, le programme pour aider au sevrage des benzodiazépines de l’hôpital Charles-Foix est organisé par un médecin et deux infirmières. En général, les équipes réunissent plusieurs professionnels (médecins, infirmières, diététiciennes, kinésithérapeutes, psychologues…), la pluridisciplinarité étant un des premiers critères évalués par l’ARS.

2. LA DÉMARCHE

Le patient, acteur de sa prise en charge

Pour atteindre cet objectif, l’ETP doit apporter au patient les compétences dont il a besoin pour (mieux) gérer sa situation.

→ Acquisition de compétences d’autosoins

Elles permettent au patient de prendre des décisions afin de modifier l’effet de la maladie sur sa santé. Parmi leurs objectifs : soulagement des symptômes ; prise en compte des résultats d’une autosurveillance ou d’une automesure ; adaptation des doses de médicaments ou initiation d’un autotraitement ; réalisation de soins et de gestes techniques ; modifications du mode de vie ; prévention des complications évitables.

→ Acquisition de compétences de sécurité

Indispensables et prioritaires, elles font partie des compétences d’autosoins et sont destinées à sauvegarder la vie du patient dans les situations à risque.

→ Acquisition de compétences d’adaptation

Également appelées compétences psychosociales, elles aident les patients à vivre dans leur environnement, voire à le modifier si nécessaire. Elles permettent de prévenir ou d’atténuer les difficultés d’adaptation des personnes à leur situation de santé et favorisent l’acquisition des compétences d’autosoins. Par exemple : avoir confiance en soi, pour ne plus avoir la sensation de ne pas se reconnaître dans la personne malade que l’on est devenu ; ou encore se fixer des buts à atteindre et faire des choix face à la nécessité de consentir des renoncements parfois essentiels.

Plusieurs offres

L’ETP nécessite des adaptations permanentes liées à l’évolution de la maladie, à l’expérience du patient et à ses propres demandes. Différentes offres en continuité les unes avec les autres sont possibles.

→ L’ETP initiale, la première offre, est proposée après l’annonce du diagnostic de la maladie ou après une période de la maladie sans prise en charge éducative préalable. En fin de programme, si les objectifs éducatifs ont été atteints, une ETP de suivi régulier ou de renforcement peut être proposée. Si ces objectifs ne sont pas satisfaits, une ETP de suivi approfondi (ou de reprise) est nécessaire.

→ L’ETP de suivi régulier vise à consolider les compétences du patient et à les actualiser pour les adapter, si besoin, à un changement de situation personnelle. Elle l’encourage dans la mise en œuvre des compétences acquises en ETP initiale, et permet de fixer avec lui de nouveaux objectifs en lien avec l’évolution de la maladie, des traitements ou de sa situation.

→ L’ETP de suivi approfondi est nécessaire en cas de difficultés dans l’apprentissage ou de non-atteinte des objectifs éducatifs de l’ETP initiale.

Une autre attitude soignante

La démarche d’ETP est parfois considérée comme une révolution culturelle(8) :

– elle place le soignant dans une position de partage de connaissances, d’accompagnement et de délégation d’une partie de sa démarche de soins ;

– elle exige du patient qu’il entre dans un processus actif nécessitant de sa part un investissement qui dépasse le simple respect des prescriptions thérapeutiques.

3. DES RÉSULTATS PROBANTS

L’intérêt de l’ETP a été établi dans le cas de l’asthme : diminution des épisodes d’asthme nocturne et de l’absentéisme professionnel et scolaire. Dans le diabète de type 1, elle a un impact significatif et durable sur le contrôle métabolique et la prévention des complications. Elle permet également une réduction du nombre d’hospitalisations, de passages aux urgences et de visites médicales non programmées. Dans d’autres situations de santé, les équipes constatent des compétences accrues chez les patients à l’issue des programmes d’éducation thérapeutique.

1- « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient », rapport présenté au ministre de la Santé, de la jeunesse, des sports et de la Vie associative, Christian Saout, Bernard Charbonnel, Dominique Bertrand, septembre 2008.

2- « Éducation thérapeutique du patient », Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour l’Europe, Copenhague, 1998.

3- « Éducation thérapeutique : faciliter l’autoévaluation des programmes », Lettre de la Haute Autorité de santé n° 31, avril-juin 2012.

4- « L’éducation thérapeutique dans la prise en charge des maladies chroniques : analyse économique et organisationnelle », Haute Autorité de santé, novembre 2007.

5- « Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques », Haute Autorité de santé, Juin 2007.

6- Décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes d’éducation thérapeutique du patient.

7- Arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient.

8- « Éducation thérapeutique du patient et disease management : pour une 3e voie à la française », François Baudier et Gilles Leboube, Santé publique, 2007/4 Vol. 19.

TÉMOIGNAGE

« Un partenariat avec le patient »

AMÉLIE BOIREAU INFIRMIÈRE, PARTICIPE À TROIS PROGRAMMES D’ETP DE L’ÉCOLE DU CœUR DE PONTOISE (95)

L’ETP permet une autre approche dans la prise en charge des patients atteints d’une maladie chronique.

Le soignant n’est plus dans une relation directive, mais dans une recherche des informations utiles à chaque patient et de propositions thérapeutiques adoptées d’un commun accord dans une relation de partenariat. L’ETP s’insère complètement dans le rôle propre infirmier, mais aussi dans les transferts de compétences, à travers les protocoles de coopération.