La drépanocytose, un combat - L'Infirmière Magazine n° 306 du 01/09/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 306 du 01/09/2012

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Elle a forgé sa pratique durant « les années sida », et s’est ensuite lancée dans une lutte contre la drépanocytose, dont sa fille est atteinte. Le cheval de bataille d’Albertine Salcède : améliorer la qualité de vie des malades.

Infirmière. Et mère. Mère d’une enfant atteinte de drépanocytose…, une maladie qui a « surgi sans crier gare », un vécu éprouvant, qui l’a menée au combat associatif, avec la création, en 1988, de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (Apipd). Pour elle, cet engagement est une « histoire personnelle. » Pourtant, lorsque Albertine Salcède évoque son parcours professionnel et son vécu associatif, c’est avec les mêmes mots – « militance », « qualité de vie des patients », « lutte contre les tabous ». Si on le lui fait remarquer, elle s’en étonne presque, dans un éclat de rire. « Il faut dire que rien de tout cela n’était prévu. » Soignante et mère combative ? « Certainement, reconnaît-elle. Mais presque par un hasard de la vie. Parce que j’ai été forgée par mes premiers pas de soignante à l’époque de la découverte du VIH-sida. Et parce que ma fille souffrait, d’un mal lui aussi méconnu. »

Albertine ne se rêvait absolument pas infirmière. « C’était un métier inenvisageable pour la fille d’agriculteurs pauvres de Guadeloupe que j’étais. Moi, je me voyais couturière ! Comme l’était ma cousine. » Sauf que… Les difficultés financières de ses parents la poussent à partir en métropole. À 18 ans, direction la région parisienne, où réside sa sœur. Pour étudier, il lui faut d’abord travailler – intérim, vendeuse chez Potin… Les deux sœurs se lancent des défis pour se donner du courage. Albertine entame des études d’aide-soignante, et, sitôt son diplôme en poche, enchaîne pour obtenir celui d’infirmière. Et là, explique-t-elle, c’est la découverte du « prendre soin » du contact avec les patients, dès l’école d’aide-soignante. Puis celle d’un prendre soin engagé, dès son poste d’infirmière en maladies infectieuses à l’hôpital Bichat. « Nombre d’infirmières l’ont dit, écrit. Cétait une époque particulière. Qui a forgé une pratique. Le VIH-sida apparaissait alors comme une affection mystérieuse, de celles qui font peur, même aux soignants. Mais qui soudent aussi une équipe, et une équipe avec ses patients. »

Force et impuissance

Albertine se souvient… De son premier patient, un jeune Haïtien, dont le regard la hante encore. De cet autre jeune homme, « magnifique, happé par un sarcome de Kaposi – que j’ai vu s’affaiblir, perdre 30 kilos… » Elle garde de ces années-là un sentiment mêlé de force et d’impuissance. « C’était si douloureux, pour les patients, et pour nous, soignants. Nous nous sentions démunis, mais, en même temps, forts d’une volonté farouche de lutter pour nos malades », décrit-elle. Forts, aussi, du travail en équipe, soudée contre la maladie et le rejet qu’elle faisait naître. « Durant ces “années sida”, notre pratique a forgé une conception du soin », ajoute-t-elle. Une pratique dont il est difficile de se défaire ! Au bout de dix ans, l’infirmière s’essaie au changement : direction l’hôpital Lariboisière, et le service de chirurgie cardiaque. Elle y reste un an, puis passe une année en neurochirurgie. « Là aussi, la mort est présente. Là aussi, l’accueil et l’accompagnement des patients sont essentiels, commente-t-elle. Mais il me manquait quelque chose ! Je suis retournée à Lariboisière, au centre de dépistage et à l’hôpital de jour. » Et d’ajouter : « Ma démarche de soignante a sans doute forgé mon vécu de mère engagée contre la maladie. L’apprentissage de la remise en question et de la pugnacité face à une maladie méconnue font partie de moi. » Albertine souligne qu’elle a peut-être mis plus de temps à s’engager dans son combat, plus personnel, contre la drépanocytose. Parce qu’elle l’a mené, avant tout, comme mère d’un enfant malade. Mais aussi, continue-t-elle, par méconnaissance, par incompréhension. Sa fille, Ingrid, l’aînée de ses deux enfants, naît alors qu’elle est encore étudiante infirmière. Et très vite, la maladie est là. À 9 mois, Ingrid fait sa première crise comitiale. Pleurs, panique, et direction l’hôpital. Le médecin de garde pose son diagnostic : « Votre fille est certainement drépanocytaire. C’est une maladie génétique, du sang. Elle sera souvent fatiguée, anémiée, aura parfois besoin de transfusions. Il vous faudra être vigilante. » Sur le moment, Albertine « n’a pas compris ». Ou, du moins, elle n’a pas intégré le mot « drépanocytose ». Elle est rentrée chez elle, sous le choc. Sa fille était malade, c’est tout ce qui importait. « Je n’avais jamais entendu parler de cette maladie », confie-t-elle.

Personne n’en parle

Le déclic a lieu quelques années plus tard, grâce à un médecin – Frédéric Galactéros, rencontré par l’intermédiaire d’une amie médecin. Touchée par la prise en charge attentive du praticien, Albertine prend aussi conscience des non-dits et de la méconnaissance qui entourent la drépanocytose. « C’est la première maladie génétique en France, quelque 250 enfants naissent chaque année porteurs de syndromes drépanocytaires majeurs. Pourtant, qui la connaît, même parmi les soignants ? Qui en parle ? Personne, ou presque ! », s’emporte-t-elle. Pour briser ce silence, pour rompre l’isolement des familles, Albertine décide alors de lutter. Et crée, en 1988, l’Apipd, avec quelques médecins. « Cette association, explique-t-elle, devait servir de trait d’union entre les patients, leurs familles et les soignants. Devait être un lieu d’échanges, aussi, où se réexpliquent les symptômes, les signes d’alerte des crises, la gestion de la douleur… Où obtenir des réponses aux questions : « Peut-on trouver un bénévole disponible pour rester au chevet de son enfant hospitalisé si l’on est contraint d’aller travailler ? » « Une aide pour monter un dossier d’aide financière ? »… L’association compte aujourd’hui quelque 7 000 adhérents, et 42 antennes dans le monde. Et elle a essaimé, en Aquitaine, à Mayotte, en Martinique… et en Guadeloupe, où Albertine est retournée vivre en 1996. Elle y a fondé, en 1999, l’Apipd Guadeloupe. Hormis la région parisienne, les départements antillais sont les plus concernés par la drépanocytose, qui touche essentiellement les populations de couleur. « Et les non-dits, les tabous sont toujours très présents », souligne-t-elle. La drépanocytose alimente encore nombre de croyances ancestrales. « Beaucoup continuent dy voir une malédiction. Elle exclut. À l’Apipd Guadeloupe, qui compte quelque 300 membres, la plupart des familles sont monoparentales, le couple ayant volé en éclats à l’annonce du diagnostic », remarque l’infirmière. « J’ai eu de la chance, poursuit-elle. Dans ma famille, les langues se sont déliées, j’ai pu en parler. Apprendre que, du côté de mon père, certaines personnes étaient porteuses de la maladie, que d’autres en avait été atteintes. De la chance aussi, car ma fille, aujourd’hui mariée et mère de deux enfants, est considérée comme “pleinement femme” par sa belle-famille. Mais, pour une histoire comme la nôtre, combien d’autres, plus douloureuses ? » Alors, Albertine milite, inlassable. Comme en métropole, l’association multiplie actions de sensibilisation, groupes de parole, visites aux patients. L’infirmière veut œuvrer au mieux-vivre. Elle récolte des fonds pour équiper de téléviseurs les chambres des enfants hospitalisés. Propose des massages aux malades… « J’ai suivi une formation en toucher-massage dans le cadre de mon exercice actuel en psychiatrie. J’ai vu le bien-être que cela procure aux patients du service. Cela vaut toujours la peine de se battre ! »

MOMENTS CLÉS

1954 Naissance à Sainte-Rose, en Guadeloupe.

1972 Départ pour Paris.

1978 Naissance de sa fille, Ingrid.

1979 Diplôme d’infirmière. Travaille auprès de patients atteints de VIH-sida, à Bichat.

1988 Fonde l’Apipd.

1990 Exerce en chirurgie cardiaque et neuro­chirurgie, à Lariboisière.

1992 Travaille auprès de patients atteints de VIH-sida à Lariboisière.

1996 Retour en Guadeloupe. Exerce en médecine du travail.

1999 Création de l’Apipd Guadeloupe. Travaille en psychiatrie au CH de Monteran.