Une source d’apaisement - L'Infirmière Magazine n° 304 du 01/07/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 304 du 01/07/2012

 

ACCUEIL MÉDICO-SOCIAL

REPORTAGE

La Maison des Sources, à Montrodat, en Lozère, permet à des personnes en situation de handicap et à leur famille de souffler, de faire le point. Elle propose des solutions d’urgence ou de transition et apporte des réponses innovantes à des demandes précises.

Située en pleine campagne, la Maison des Sources domine une rivière. Toutes ses baies vitrées plongent sur la verdure, les collines. C’est dans cette atmosphère apaisante que les personnes accueillies trouvent ou retrouvent un environnement protecteur. Un lieu pour respirer, pour prendre du recul. L’établissement est l’un des rares en France qui soit dédié à l’accueil temporaire. Il s’adresse aux personnes en situation de handicaps psychique, moteur, sensoriel, associés ou non. Familles, aidants ou établissements et services sanitaires et médico-sociaux peuvent confier, pour un temps, leur proche ou usager. Quant à la personne accueillie, qu’elle traverse un moment difficile, soit en passe de changer de lieu de vie ou de type de prise en charge, elle peut effectuer cette transition en douceur et redéfinir ses besoins, soutenue par une équipe pluridisciplinaire.

La matinée est ensoleillée. Dans la salle de vie du rez-de-chaussée, Cécilia, 27 ans, va et vient. Virginie, aide-soignante, la questionne en l’invitant à s’asseoir près d’elle : « Vous avez mieux dormi cette nuit ? » La jeune femme répond : « Je peux rester une semaine de plus ? » « C’est possible. On va commencer par faire une évaluation. Ensuite, on préparera un contrat de prolongation », propose Virginie. Cécilia, qui souffre de troubles de la personnalité, a besoin de rupture avec son quotidien. Le travail qu’elle effectue dans son Esat(1) lui pèse, et elle a une mauvaise estime d’elle-même. « Cécilia vient régulièrement ici, réfléchit, reprend des forces, explique Évelyne, monitrice éducatrice. C’est aussi l’occasion de travailler avec elle sur la question de l’esthétique : la coiffer, lui proposer de porter un collier… Elle est actuellement en transition et doit être réorientée vers un foyer de vie. » Dans la salle d’esthétique, elle installe la patiente derrière des panneaux de bambous colorés. À sa disposition, des pinceaux, un sèche-cheveux, des crèmes, un miroir…

Portée par l’association du Clos du Nid(2) dirigée par Sébastien Pommier, qui gère 20 établissements et services pour personnes en situation de handicap, la structure est une ancienne clinique restructurée et modernisée. Depuis 2010, elle accueille des adultes venus de leur domicile comme d’autres établissements médico-sociaux. L’accueil temporaire peut durer jusqu’à 90 jours par an et s’effectuer de façon séquentielle : les séjours sont en moyenne de quinze jours. « Séjourner plusieurs fois permet à l’aidant et à la personne accueillie de mieux profiter de leur moment de répit, de se ressourcer. L’objectif est, notamment, de soulager le proche qui a en charge la personne handicapée, et qu’il se sente rassuré », explique Isabelle Buisson, la directrice. Chacun vit quelque chose qui change de son quotidien. Découvrir la collectivité, travailler sur un projet d’orientation, bénéficier d’une évaluation : le séjour temporaire impulse une dynamique.

Pathologies diverses

« En 2011, la majorité des 109 personnes accueillies sur l’année, souffrant notamment de troubles psycho-pathologiques associés, issus de 35 départements, venaient du domicile, et très peu ont utilisé les 90 jours consécutifs », développe Virginie Boissonnade, cadre de santé. Les pathologies sont diverses : sclérose en plaques, maladie de Huntington, IMC (infirmité moteur cérébrale), troubles psychiques ou du comportement… Les motifs de séjour : 72 % pour du répit ; 12 % pour de l’urgence ; 8 % dans le cadre d’une évaluation dans la perspective d’une orientation ; et 8 % pour une convalescence. « Les réservations se font soit directement auprès de l’établissement, soit via le Grath(3), réseau national auquel adhèrent les sites d’accueil temporaire, dont le portail permet aux familles de rechercher des places en ligne », poursuit-elle. Les procédures d’admission se font sur dossier. Le tarif est de 140 euros par jour, et peut être pris en charge par l’aide sociale ou par l’assurance maladie, dans le cadre d’une dotation globale versée à l’établissement. 47 % des séjours sont financés par les conseils généraux. Enfin, pour une personne vivant à domicile et en voie d’orientation, si la demande est faite de bénéficier d’une orientation à la MDPH avec la mention « accueil temporaire », les frais de séjour sont totalement pris en charge.

Pas de routine à la Maison des Sources, il faut s’adapter avec rapidité. Une trentaine de personnes accompagnent les résidants, dont deux infirmières et un infirmier. À chacune des trois unités de huit chambres individuelles sont dédiés un moniteur éducateur, un aide médico-psychologique et deux aides-soignantes. Des intervenants extérieurs prennent en charge les ateliers, les activités sportives, les séances de danse, de coiffure ou de pédicure. « On fait souvent le point, explique Jérémy Parent, infirmier à temps plein. Notamment avec le kinésithérapeute, pour ceux qui viennent du domicile. Cela nous permet de donner des conseils ergonomiques ou anti-escarres, de parler de fauteuils roulants plus adaptés… Beaucoup d’informations qui peuvent améliorer leur confort de vie au quotidien. Cette représentation médicale sécurise l’usager et sa famille. » Enfin, chaque semaine, une réunion d’équipe permet de parler des résidents, d’échanger.

Une fois par mois, l’équipe bénéficie de séances d’analyse de la pratique professionnelle dispensées par un psychologue extérieur. L’accueil temporaire étant différent de l’accompagnement sur la durée, c’est à chaque fois une prise en charge différente, un nouvel enjeu. Il faut une grande adaptabilité. « L’équipe apprivoise progressivement le projet, le porte, et reçoit en retour la satisfaction des familles. Et puis, des partenariats avec des hôpitaux, des établissements se mettent en place et fonctionnent bien… Une telle implication démontre notre utilité sociale », affirme Isabelle Buisson.

Musique et concentration

L’heure du déjeuner approche. Dans la salle de musique, Frédéric, 27 ans, passe et repasse une baguette sur un faisceau lumineux rouge étiré entre deux arcs métalliques. Le va-et-vient donne le tempo : « Emportée par la foule qui nous traîne, nous entraîne / Écrasés l’un contre l’autre / Nous ne formons qu’un seul corps… » Très simple à utiliser, l’instrument de musique répond à l’intention de celui qui tient la baguette. Son nom ? Le BAO-PAO. Il permet de travailler la dextérité des membres supérieurs, l’orientation de la bouche pour ceux qui ne peuvent pas se servir de leurs mains, la concentration et la mémorisation. Handicapé moteur de naissance, Frédéric est guidé par Virginie. Il rit, et garde le rythme. Dans un coin de la salle aux tons orangés, djembés et autres instruments attendent l’heure de l’atelier de percussions. « Lors de leur séjour ici, nous remarquons que les usagers qui ont entre 18 et 35 ans sont souvent traités comme des enfants dans leur lieu de vie. Ils se conduisent donc comme tels, alors que leurs velléités sont autres, analyse Farid, AMP, au moment de la transmission. Nous essayons de les guider pour qu’ils passent dans un monde d’adultes. Il s’agit là d’une maturation très intéressante. » Malgré la spécificité de l’accueil temporaire, les accompagnants tissent des relations fortes. Une façon, aussi, de faire en sorte que l’usager adopte les lieux et ait envie de revenir. Un peu plus loin, Jean-Luc Mastras, kinésithérapeute, réajuste le fauteuil roulant de Frédéric, atteint d’une sclérose en plaques : « Il y a des patients très lourds ici, qui viennent pour des séjours de rupture. Tout a été mis en place pour qu’ils se sentent bien. L’équipe a pour objectif d’améliorer, en peu de temps, leurs conditions de vie, selon leur handicap. » Pour cela, les remarques de chaque intervenant sont notées sur des fiches de liaison, et les prises en charge se font en fonction du projet de vie et de la déficience des accueillis, au cas par cas. L’interrelation inhérente à toute l’équipe permet de rectifier, de vérifier, de faire remonter les informations jusqu’aux médecins. « À son domicile, il m’est parfois difficile de savoir si un patient handicapé se comporte comme à son habitude, explique Alain Masseguin, médecin généraliste salarié de l’établissement. Ici, on me donne des informations médicales, les infirmiers me décrivent les comportements de chacun. Il y a une réelle intrication entre données psychiques, organiques et comportementales de la vie quotidienne. Cela permet de préparer les courriers de sortie, en concertation avec le kinésithérapeute et grâce aux fiches de liaison. » Bilans réguliers et observations peuvent être utiles pour une réorientation, pour désamorcer un conflit ou pour mettre en place des projets par rapport à des parents vieillissants.

Travail d’adaptation

C’est le début de l’après-midi, Ludovic, AMP, se prépare à accompagner quelques résidents au cinéma de Marvejols. Dans la salle de vie du premier étage, Muriel, monitrice éducatrice stagiaire, s’est installée face à Didier, autiste de 37 ans, allongé sur un canapé. Elle se met à jouer du djembé. Lui, sans changer de position, reproduit les rythmes, d’une main. Quelques instants plus tard, il s’asseoit, joue des deux mains en même temps que Muriel. Il la regarde. « À toi, lui dit-elle. Je te laisse faire ce que tu veux, vas-y… » Elle lui caresse les mains, ils croisent leurs doigts, rejouent. « Fais-moi un petit sourire… Voilà, murmure-t-elle. Tu chantes quelque chose ? » Il scande : « Lundi matin / l’empereur/ sa femme / et le p’tit prince… », en fixant Muriel. « Bravo Didier ! », lance-t-elle. Et tous deux applaudissent. Le jeune homme est arrivé il y a trois semaines. C’est un travail sur l’adaptation qui est privilégié. « Il a accepté le contact, il ne le faisait plus, explique Sandra, aide-soignante. Didier est dans une situation de repli, il se met souvent en position fœtale, reste en pantoufles toute la journée, car il ne sait pas ce qu’il va devenir. Il est passé de famille d’accueil en famille d’accueil et souffre d’un sentiment d’abandon. Il a pris 10 kg en peu de temps, quelque chose le travaille. Le centre est une solution transitoire en attendant qu’un foyer puisse l’accueillir. »

À la Maison des Sources, la relation est donc très importante, en plus du traitement. Il est nécessaire que les activités et les soins soient bien orchestrés. Un maître mot : la réactivité. Car tout se passe dans l’instant, l’immédiat. Lorsqu’une personne accueillie repart stabilisée, c’est encourageant pour toute l’équipe. « Ce qui est intéressant, c’est justement le turnover et cette mixité médicale et éducative », s’enthousiasme Jérémy Parent. Il travaille avec trois infirmières : Nelly Brassac, présente à 80 % ; Agnès Pernet, à 20 %; et Céline Barthelot, en troisième année d’études infirmières. « Il faut sans cesse réajuster l’organisation et la planification. La prise en charge est globale, c’est une dimension intéressante de notre rôle », complète-t-il.

« Tout en douceur »

Face à des pathologies différentes, il est important que l’équipe soit soudée. Virginie Jacques, psychologue, travaille en lien avec Patrick Thomas, psychiatre, et Alain Masseguin, qui vient au centre tous les après-midis : « Mon rôle est de voir comment le séjour se déroule, surtout quand la séparation est douloureuse, notamment pour les usagers qui vivent à domicile. Pour certains, c’est la première fois qu’ils quittent leurs parents. Ils se confrontent alors à une distanciation de leur milieu de vie naturel. Cette séparation est intéressante si elle est de courte durée. C’est l’une des spécificités du lieu : tout en douceur. »

Rencontres informelles, aide aux aidants, énorme travail de lien avec les institutions, soutien des équipes, des familles…, l’engagement de l’établissement est multiple. « Pour qu’un tel lieu puisse perdurer, il faut que la pertinence du projet soit reconnue, affirme Virginie Boissonnade. De plus, un lieu d’accueil temporaire et d’urgence permet de désengorger les hôpitaux, de préparer le passage du domicile à l’institution. Enfin, le repos de l’usager comme de l’aidant réinjecte une dynamique. »

Pascale, hémiplégique d’une soixantaine d’années, reçoit tous les soirs la visite de son mari. La journée, il travaille et s’occupe de l’aménagement de leur nouveau logement adapté au handicap de son épouse. « Ça me libère l’esprit de la savoir ici, c’est d’un grand réconfort. Et puis, grâce à l’équipe qui s’occupe d’elle, ma femme s’ouvre à nouveau, elle parle avec d’autres personnes. Je trouve dommage qu’il n’y ait pas assez de lieux comme celui-ci. Quand vous avez besoin de souffler un peu, c’est quelque chose un lieu comme ça ! »

1– Etablissement et service d’aide par le travail

2– www.closdunid.-asso.fr

3– www.accueil-temporaire.com