Les infections du site opératoire - L'Infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

Monsieur Paul L. doit être hospitalisé pour une prothèse de hanche gauche. Sa précédente intervention, sur la hanche droite, avait été suivie de complications infectieuses, et entraîné une hospitalisation prolongée. Il appréhende donc cette nouvelle opération. Que faire ?

C’est un contexte sensible face auquel les soignants doivent faire preuve d’une parfaite maîtrise technique des mesures préventives du risque infectieux pré, per et post-opératoire, afin de rassurer le patient et de le mettre en confiance.

Qu’est-ce qui caractérise une infection du site opératoire ?

Une infection du site opératoire (ISO) est une infection survenant dans les 30 jours qui suivent l’intervention, ou dans l’année en cas de pose d’une prothèse (valve cardiaque, prothèse articulaire, notamment). La classification des ISO retenue par les autorités sanitaires prend en compte les plans superficiels de l’incision (infections atteignant la peau, les tissus sous-cutanés ou situés au dessus de l’aponévrose), les plans profonds sous-aponévrotiques (fascia/muscles), mais également le site anatomique de l’intervention (organe/espace). Ces dernières nécessitent le plus souvent une reprise chirurgicale. Elles associent également les infections des séreuses, qui résultent directement de l’infection du site anatomique de l’intervention.

Les ISO sont-elles fréquentes ?

Selon le rapport du Raisin d’avril 2011(1), on constate que, pour tous types de patients et tous types de chirurgie confondus, l’incidence moyenne des ISO concerne un peu moins de 1 % des personnes opérées et qu’elle diminue régulièrement chaque année. Elle a régressé de 24 % entre 2006 (1,27 %) et 2010 (0,96 %). Cela dit, tous les patients ne sont pas égaux face au risque d’ISO, et toutes les chirurgies n’exposent pas au même risque (voir tableau ci-dessous).

Globalement, et bien que de mieux en mieux maîtrisée, l’ISO reste la complication la plus fréquente des interventions chirurgicales, la première cause de morbi-mortalité en chirurgie et parmi les infections nosocomiales (IN) les plus souvent observées puisqu’elle se situe, selon la dernière enquête nationale de prévalence (2006), en 4e position après les infections urinaires, de la peau et pulmonaires.

En 2009 et 2010, 51 % des ISO étaient superficielles, 31,2 % concernaient des infections profondes et 2,3 % l’organe/espace (15 % n’étaient pas renseignées). La majorité des ISO hors prothèses surviennent dans le mois qui suit l’intervention, dont deux tiers dans les 15 premiers jours, soit, pour la plupart d’entre elles, après la sortie de l’hôpital.

En quoi la surveillance des infections du site opératoire permet–elle d’améliorer la prévention ?

Le fait de mettre en place une surveillance, quel qu’en soit l’objet, induit des progrès et constitue un moyen efficace d’améliorer les pratiques de soins en général et la prévention des infections nosocomiales et des ISO en particulier. Ce phénomène est mis en évidence dans les données d’évolution des ISO (2). Il résulte de l’émulation et de la remise en cause entraînée par la surveillance. Celle-ci sensibilise les équipes et produit un effet étude très important qui provoque une démarche d’optimisation (meilleure identification des facteurs de risques, mise en œuvre de protocoles de prévention) et stimule la vigilance des soignants quant au respect des bonnes pratiques. La surveillance nationale et interrégionale des ISO permet également aux services de se situer, d’étudier et de comprendre pourquoi ils obtiennent ces résultats, de s’interroger sur leurs pratiques, d’évaluer précisément leur marge de progression, de se fixer des objectifs et de mettre en place les mesures pour les atteindre.

Les services de chirurgie ont des obligations pour garantir les bonnes pratiques en matière de prévention des ISO. En quoi consistent-elles ?

Depuis 2004, tous les établissements de santé participent aux tableaux de bord des IN, qui intègrent la surveillance des ISO organisée par le Raisin. Ces tableaux de bord sont pilotés par le ministère de la Santé, en lien avec les Cclin, et sont rendus publics. Les établissements qui ne disposent pas d’une organisation propre à la surveillance et au suivi des IN et des ISO s’exposent à des observations de l’ARS et à un refus d’accréditation. Cela implique une obligation de surveillance des ISO pour les services de chirurgie qui peut se traduire sous la forme d’une charte de fonctionnement réalisée par l’équipe opérationnelle d’hygiène, les différents services et le Clin. Les textes (circulaire N°DGOS/ PF2/2011/416 du 18 novembre 2011 relative à la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé, circulaire DGS-DHOS/E2/ n° 645 du 29 décembre 2000) prévoient que chaque établissement de santé doit disposer d’une équipe opérationnelle d’hygiène et, au sein de cette équipe, d’une infirmière hygiéniste pour 400 lits et d’un praticien hygiéniste pour 800 lits. En pratique, les services de chirurgie ont la possibilité de réaliser une surveillance globale de tous les types d’intervention ou encore, ce qui est le plus souvent le cas, de surveiller un groupe d’interventions traceuses ou « cibles » (prothèse de hanche et de genou en orthopédie, par exemple).

Quels sont les principaux germes en cause et les signes d’alerte ?

Le germe le plus souvent en cause dans les ISO est le staphylocoque doré ou Staphylococcus aureus (35 % des ISO). Viennent ensuite, à égalité, Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa (10 %), et, enfin, le staphylocoque coagulase négatif (8 %)(3). Cette répartition varie en fonction du site opératoire et de l’écologie locale. Le signe clinique d’alerte d’une ISO est la survenue d’une fièvre. Celle-ci peut être précédée ou associée à des symptômes visibles non spécifiques au niveau de la cicatrice : douleur à la palpation, rougeur, augmentation de la chaleur locale, écoulement anormal, désunion des sutures. Ces signes justifient une vigilance et une prise en charge rapprochées.

Que sait-on des réservoirs de contamination ?

D’une manière générale, deux tiers des ISO sont liées à la flore endogène du patient et moins d’un tiers à la flore exogène transmise par l’eau, l’air, le matériel chirurgical, le chirurgien, l’environnement, les pratiques… au décours de l’intervention.

Quels sont les facteurs de risque favorisant les ISO ?

La survenue des ISO est influencée par de nombreux facteurs de risque généraux, locaux et opératoires, que l’on peut classer en fonction de leur accessibilité ou non à des mesures préventives.

Facteurs accessibles à la prévention

Ils concernent la préparation et la réalisation de l’acte chirurgical ainsi que l’environnement de l’opération et consistent à agir sur :

– la durée de séjour préopératoire (plus elle est longue, plus le risque est important) ;

– la durée de l’intervention(4) ;

– la préparation cutanée ;

– l’expérience de l’opérateur ;

– l’asepsie des opérateurs ;

– la qualité et la pertinence de l’antibioprophylaxie ;

– l’organisation et l’entretien du bloc ;

– le bon état de fonctionnement des équipements de prévention.

Facteurs difficiles à ajuster, voire non accessibles à la prévention

Ils comprennent :

– le risque lié à l’urgence (deux fois plus important qu’en chirurgie programmée) ;

– l’âge du patient (âges extrêmes de la vie) ;

– son état de santé général ;

– son état nutritionnel (maigreur ou obésité) en situation d’urgence ;

– sa sensibilité particulière à l’infection, en lien avec l’existence d’une pathologie immunodépressive, d’un traitement immunosuppresseur ou d’une comorbidité non équilibrée avant l’intervention (diabète, tabagisme, alcoolisme) ;

– l’affection elle-même (cancer) ;

– la classe de contamination de la chirurgie ou classification d’Altemeier – propre (I), propre contaminée (II), contaminée (III), sale contaminée (IV).

Dispose-t-on d’un outil permettant d’évaluer précisément l’importance du risque infectieux d’une intervention ?

Oui. L’index NNIS (National Nosocomial Infections Survey System). Cet index possède trois variables indépendantes identifiées comme étant associées de façon significative à la survenue d’une ISO. Elles sont, au sens strict, des « facteurs de risque » d’infection, et un coefficient égal à 1 leur a été attribué. Ces trois variables sont : un score ASA de 3, 4 ou 5 (patient avec une atteinte systémique sérieuse mais non invalidante ; patient avec une atteinte systémique engendrant une menace constante pour la vie ; patient moribond) ; une durée d’intervention supérieure à un temps T déterminé sur des centaines de milliers d’interventions ; une chirurgie contaminée ou sale.

L’index NNIS (de 0 à 3) est calculé en additionnant les coefficients correspondant aux variables présentes. Par exemple, le risque infectieux en chirurgie propre (classe I) est de 1 % pour un patient ayant un index NNIS de 0, alors qu’il est de 5,4 % pour un patient ayant un index NNIS de 2.

En préopératoire, quelles mesures préventives générales doit-on mettre en place pour éviter les ISO ?

Dans la surveillance et la prévention des infections associées aux soins, les recommandations(5) préconisent, en période préopératoire, les mesures suivantes :

– limiter la durée du séjour hospitalier avant l’intervention ;

– contrôler l’absence d’infection préexistante (dentaire, urinaire) et reporter l’intervention si nécessaire (sauf si l’infection motive la chirurgie) et la traiter ;

– réaliser une bonne préparation cutanée (douche antiseptique, dépilation) (voir encadré p. 33), y compris en chirurgie ambulatoire ;

– prescrire une antibioprophylaxie lorsqu’elle se justifie ;

– s’assurer que le matériel est parfaitement stérilisé et que le bloc opératoire répond aux exigences de la chirurgie.

Les mesures préventives à respecter en peropératoire sont de quel ordre ?

Ces mesures reposent sur la préparation du personnel (voir encadré ci-contre) ; la préparation du site opératoire (polyvidone iodée alcoolique ou chlorhexidine alcoolique) en respectant le temps d’action de l’antiseptique pour optimiser son efficacité ; l’antibioprophylaxie peropératoire afin de réduire en fréquence et en gravité le risque d’infection en inhibant la croissance des bactéries susceptibles de pénétrer dans l’organisme au décours de la chirurgie ; et le respect des règles générales d’hygiène au bloc opératoire (réglementation des entrées et sorties au bloc, port conforme de la tenue, lavage des mains, stérilisation/ désinfection du matériel, contrôles réguliers de la contamination des surfaces, de l’air et de l’eau).

Quels sont les principes et la place de l’antibioprophylaxie (ABP) dans la prévention des ISO ?

Les principes qui régissent l’utilisation de l’ABP ont fait l’objet d’une conférence de consensus (Andem 1999), actualisée en 2010 par la Société française d’anesthésie réanimation (Sfar)(6). L’ABP est parfaitement codifiée, et son efficacité prouvée dès lors que les prescriptions recommandées sont scrupuleusement appliquées. Dans ce cas, elle diminue d’environ 50 % le risque d’ISO. La cible bactérienne doit être identifiée et dépend du type de chirurgie, de la flore endogène du patient et de l’écologie de l’unité d’hospitalisation. L’indication de l’ABP est posée lors de la consultation pré-interventionnelle.

L’administration doit précéder l’incision d’environ 30 minutes afin d’obtenir des concentrations tissulaires d’antibiotiques maximales au site de l’incision. La dose initiale est le double de la dose usuelle. Les protocoles d’ABP doivent être écrits, cosignés par les anesthésistes-réanimateurs et les opérateurs, validés par le Clin et par la Commission des médicaments et des dispositifs médicaux stériles ou par la commission des agents anti-infectieux. Ils doivent éviter les molécules qui favorisent l’émergence rapide de résistances bactériennes et celles qui sont fréquemment utilisées en traitement curatif. Les malades à risque infectieux élevé doivent faire l’objet d’une ABP personnalisée.

Certaines consignes sont à respecter en matière d’organisation et d’entretien des locaux et du matériel de bloc opératoire. Lesquelles ?

L’entretien du matériel (stérilisation /désinfection de niveau adapté à la chirurgie), de même que l’organisation et l’entretien du bloc opératoire (avant la première intervention, entre deux interventions et en fin de programme opératoire) doivent faire l’objet de protocoles évalués et formalisés par écrit tenant compte de niveaux d’exigence spécifiques. En moyenne, la préparation d’un bloc entre deux interventions nécessite 30 minutes. Les circuits concernant les déplacements du personnel de bloc, l’acheminement du matériel propre et sale et l’évacuation des déchets de soins doivent être scrupuleusement respectés, en évitant les déplacements et les ouvertures de portes inutiles. D’autre part, les installations de traitement et de renouvellement de l’air (climatisation, filtres à air, flux en pression positive, flux laminaires) doivent être régulièrement contrôlés, de même que la qualité de l’eau (en situation de travail et au repos). Les infirmières de bloc ont un rôle majeur à jouer dans le respect des consignes d’organisation et la surveillance des règles générales d’asepsie (voir encadré p. 34).

Comment prévenir l’ISO en post-opératoire ?

Les infections acquises en post-opératoire sont beaucoup moins fréquentes que celles générées pendant les périodes pré et peropératoires. Leur prévention repose essentiellement sur l’asepsie rigoureuse pour la manipulation des drains et les soins de cicatrice (pansement).

1– Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales – Surveillance des infections du site opératoire en France, 2009-2010 Cclin Est, www.cclin-est.org/

2– BEH 25 décembre 2007.

3– Source : Cclin Paris Nord.

4– Pour chaque acte chirurgical, une durée de référence est fixée au-delà de laquelle le risque d’ISO augmente. Elle est de 5 heures pour un pontage coronarien ou une chirurgie cardiaque ; de 4 heures pour une chirurgie pancréatique, biliaire ou hépatique ; de 3 heures pour une chirurgie thoracique, vasculaire ou gastrique ; de 2 heures pour une cholécystectomie ; et de 1 heure pour une césarienne, par exemple. Source : Dr L. Simon www.cclin-est.org/

5– Surveiller et prévenir les infections associées aux soins, sept 2010. A télécharger sur www.sf2h.net (adresse du document : http://bit.ly/IEPcNR)

6– www.sfar.org rubrique référentiels.

DOUCHES ANTISEPTIQUES ET DÉPILATION PRÉOPÉRATOIRES

Les bonnes pratiques

→ Douches : l’intervention doit être précédée d’une douche antiseptique du corps et des cheveux, la veille et le jour de l’intervention, en insistant tout particulièrement sur les aisselles, les zones ombilicale et génito-anale, les plis inguinaux et les pieds. Le savon antiseptique utilisé doit être du même type que celui employé au bloc opératoire car il peut y avoir des réactions antagonistes entre les produits antiseptiques à base d’iode (Bétadine scru®) et ceux à base de chlorhexidine (Hibiscrub®).

→ Dépilation : utiliser la tondeuse avec tête à usage unique, voire la dépilation chimique sous réserve d’avoir réalisé un test de sensibilité préalable. Le rasoir est proscrit (sauf urgence) car il provoque des micro-coupures et des saignements constituant des points d’entrée pour les germes et un risque de pullulation microbienne. En urgence, son utilisation doit être limitée à la zone d’incision la plus proche de l’intervention et associée à un savon antiseptique du même type que celui utilisé au bloc opératoire.

À SAVOIR

Les ISO augmentent en moyenne de 7,3 jours la durée d’hospitalisation. Elles sont au premier rang des IN en durée de séjour supplémentaire et en coût. Chaque ISO coûte entre 3 000 € et 8 000 €.

IBODE

DES INFIRMIÈRES GARANTES DE L’ASEPSIE

L’infirmière instrumentiste et l’infirmière circulante sont plus particulièrement garantes de l’asepsie, du début à la fin de l’intervention, qu’il s’agisse de la stérilité des instruments (vérification des dates de péremption, intégrité des sachets, échange du matériel en cas de doute) ; de la préparation des chirurgiens et de leur poste de travail (positionnement des éclairages, par exemple.) ; de la limitation des allers et venues pour éviter les ouvertures de portes inutiles ; ou du nettoyage du bloc, avant, entre et après les interventions. L’infirmière veille également au respect des bonnes pratiques, signale et corrige les fautes d’asepsie et remplit la fiche d’ouverture et de fermeture de salle, qui permet de tracer les interventions afin d’établir des relations entre la survenue d’une ISO et ce qui s’est passé au bloc.

De même, après l’intervention, les Ibode et l’aide-soignante vérifient et assurent la traçabilité du lavage, de la décontamination, du rinçage, du séchage, de la mise en sachet et de la stérilisation du matériel. La cadre infirmière assure le suivi de la qualité de l’eau et vérifie la classe ISO des salles concernant la qualité de l’air. Au-delà de cet aspect technique, les infirmières assurent l’aspect éducatif environnant l’intervention. L’explication des consignes d’hygiène préopératoire, voire l’aide à la douche lorsque le patient n’est pas en mesure de laver correctement la zone d’incision (rachis, notamment), l’organisation du retour à domicile et la sensibilisation du patient au fait que devant tout signe d’infection (rougeur, douleur, écoulement, température), il faut revenir le plus rapidement possible à l’hôpital… font de l’Ibode un acteur prépondérant dans la prévention des IN et des ISO durant chaque phase opératoire.

INFECTIONS NOSOCOMIALES

Des dispositifs pour limiter les risques

→ Afin de lutter contre les infections associées aux soins et aux gestes chirurgicaux, les Cclin ont été créés en 1992. Ils participent à l’élaboration des plans nationaux de lutte contre les IN et veillent à leur mise en œuvre dans tous les établissements de soins.

→ En 1999, les Cclin et l’INVS ont créé le réseau d’alerte d’investigation et de surveillance des IN (Raisin), afin de surveiller plus particulièrement certaines IN justifiant un contrôle accru telles que les ISO.

→ Ainsi, les recommandations, protocoles, formations et programmes de surveillance contribuent à limiter au maximum les ISO et à rassurer les patients.