Être mère en terre étrangère - L'Infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

PÉRINATALITÉ

DOSSIER

Les difficultés d’accès à une couverture médicale font courir aux femmes migrantes, déjà fragilisées par l’exil, des risques en matière de santé périnatale.

Quelques chaises en guise d’arbre à palabres, dédié aux femmes, au sein de l’austère cité des Francs-Moisins à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Pendant quelques années, sous l’impulsion de Christine Davoudian, médecin, et d’Agnès Delage, sage-femme, la PMI du quartier a été habitée par un groupe de paroles « Accoucher en terre étrangère »(1), où les femmes migrantes suivies par les professionnels des lieux ont pu partager leur vécu de la grossesse. « Un lieu comme une enveloppe protectrice autour des futures mères et jeunes mamans », explique Christine Davoudian, où peuvent se dire les joies, certes, mais aussi les difficultés de devenir mère en exil.

C’est que, si la grossesse est un bouleversement pour toute femme, une période de vulnérabilité spécifique, la migration n’est pas sans incidences sur cette fragilité singulière. Surtout quand le quotidien précaire rend l’avenir peu lisible. Fragilité économique, mal-logement, isolement, mauvaise maîtrise de la langue française, entre autres, viennent s’ajouter aux difficultés d’accès aux droits, et, parfois, aux refus de soins et à l’incompréhension des professionnels de santé. « Les éléments des parcours migratoires rendent souvent problématiques l’accès aux soins et la prise en charge médicale et sociale », commente Claire Mestre, médecin et anthropologue, fondatrice de l’association Mana, espace de soins transculturel situé au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, qui a mis en place une consultation à la maternité de l’hôpital.

Cette fragilité des femmes migrantes se traduit d’abord en risque en matière de santé périnatale, comme le souligne une étude de l’Inserm(2) parue en janvier dernier dans le bulletin de l’Institut national de veille sanitaire (INVS). Les femmes originaires d’Afrique subsaharienne, notamment, « ont un taux de césariennes élevé et des risques de mortinatalité, de prématurité et d’hypotrophie plus élevés que ceux des femmes françaises. Hors Europe et Maghreb, le taux de mortalité maternelle est deux à trois fois plus élevé chez les femmes étrangères que chez les Françaises (pour lesquelles il est de 7,9 pour 100 000 naissances vivantes », révèle cette étude. Des résultats qui soulignent « les besoins de prévention et de prise en charge pour certains groupes de femmes étrangères, et tout particulièrement les femmes d’Afrique subsaharienne, assez nombreuses en France », commentent les chercheurs.

Suivis de grossesse

Or, cet accès aux soins prénataux est loin d’être aisé pour les futures mères migrantes – « les femmes étrangères bénéficient moins souvent des sept consultations prénatales prévues pour un suivi de grossesse sans complications », indique d’ailleurs l’Inserm. « 68 % des femmes enceintes qui nous consultent n’ont pas accès aux soins prénataux, et plus de la moitié présentent un retard de suivi de grossesse », souligne, pour sa part, Jean-François Corty, responsable des missions France de Médecins du monde (MDM), qui reçoit, dans ses centres d’accueil, de soins et d’orientation, 92 % de migrants. « Certaines femmes peuvent arriver tardivement aux soins parce que, pour elles, la grossesse est si “naturelle” qu’elle ne nécessite pas de recours au suivi médical. Mais le retard de suivi de grossesse est avant tout affaire de difficultés d’accès aux droits », commente Sylvie, sage-femme membre de la mission menée par MDM auprès des Roms en Seine-Saint-Denis. Médiatrice santé au réseau d’accès aux soins Ressource (Hauts-de-Seine), Pauline Ngamaleu fait le même constat : « Pour nombre de femmes migrantes, l’accès à une couverture médicale est de plus en plus compliqué. S’y ajoute le manque de places en maternité, surtout lorsque le suivi de grossesse est tardif. Couplé au refus, fréquent, des cliniques privées d’accueillir les plus précaires, titulaires de l’AME. » Et si aucun établissement de santé ne refusera d’accès à une femme sur le point d’accoucher, le parcours post-natal des femmes migrantes est rarement plus aisé que le suivi prénatal. « Là encore, précarité socio-économique et difficultés d’accès aux droits sont des facteurs prédominants. Et, là encore, l’incompréhension entre patientes et équipes sociales et soignantes peut peser », ajoute Pauline Ngamaleu.

Portage de la communauté

« Pourquoi refuse-t-elle l’échographie ? », « pourquoi refuse-t-elle que son mari soit là lors de l’accouchement ? », « pourquoi refuse-t-elle que je baigne son nouveau-né ?, « pourquoi a-t-elle l’air renfrogné lorsque je la complimente sur la beauté de son fils ? », « pourquoi la famille au grand complet refuse-t-elle de sortir de la chambre ? », « pourquoi le nourrit-elle ainsi ? »… La difficulté des équipes soignantes à appréhender des schémas culturels qui leur sont étrangers peut d’autant plus peser que la grossesse est, pour une femme, une période de fragilité durant laquelle l’étayage par les proches est particulièrement mobilisé. Or, l’exil, de par l’éloignement familial, vient justement compromettre ce portage, à la fois par la mère et par la communauté. « Devenir mère pour une femme migrante, cela signifie donc souvent réactiver le sentiment de solitude et de manque des figures de soutien », souligne Berenise Quattani, psychologue à Mana. « Par méconnaissance, manque de temps, impatience ou indifférence, l’on peut donc parfois être dans le “non-soin” si l’on ne cherche pas à comprendre qui est l’autre, la patiente en face de soi », commente Delphine, infirmière dans une maternité parisienne. « Les soignants manquent d’ailleurs d’armes pour appréhender l’autre dans son altérité », souligne Claire Mestre. Qui sait que, pour certaines femmes migrantes, c’est un pêché de vouloir voir ce que Dieu cache, l’enfant dans le ventre de sa mère ? Que pour d’autres, le premier bain doit être donné par une aïeule – la grand-mère, souvent ? Ou bien que dire à certaines que leur enfant est beau peut attirer sur lui le mauvais œil ? Et combien les femmes, déjà fragilisées par l’exil, synonyme d’absence des proches, peuvent souffrir de ce non-respect de rites de passage.

« Pour que cette incompréhension s’estompe, il est donc essentiel de co-construire du sens sur des comportements qui pourraient paraître “aberrants”, aussi bien pour les soignants que pour des patientes qui ne connaissent pas les codes des équipes soignantes et sociales, ne comprennent pas le sens de l’étayage qui leur est proposé », souligne Alia Zaouali, directrice de l’association bordelaise Promo-femmes, lieu d’accueil et d’accompagnement des femmes migrantes. À l’origine, l’association a d’ailleurs été créée pour répondre aux difficultés de compréhension entre femmes migrantes et professionnelles de la PMI. Aujourd’hui, à mille lieues des seuls cours de langue qui étaient prévus au départ, elle propose un accompagnement social global, y compris en matière de santé. « Promo-femmes a notamment créé deux groupes de paroles avec les PMI du secteur. L’un pour les femmes enceintes et mères de jeunes enfants, l’autre sur le thème “nourrir son bébé”. Objectif : que les unes et les autres puissent se parler… et se comprendre », explique Alia Zaouali. Un pas vers la compréhension mutuelle, pour lever, autant que faire se peut, ce qui fait obstacle aux soins.

1– Créé en 2004, le groupe est en stand-by, suite au départ d’Agnès Delage. Mais il devrait reprendre, espère Christine Davoudian. Deux documentaires lui ont été consacrés : « Accoucher en terre étrangère », réalisé par Claude Bagoe-Diane, filmé en 2005 ; et « Terre d’avenir », réalisé par Christine Davoudian.

POUR ALLER PLUS LOIN

→ www.invs.sante.fr

Le site de l’Institut national de veille sanitaire. L’étude sur l’état de santé et le recours aux soins des migrants est datée du 17 janvier 2012.

→ www.medecinsdumonde.org

/En-France/Observatoire-de-l-acces-aux-soins

Le site de l’Observatoire de l’accès aux soins de Médecins du monde.

→ www.comede.org

Le site du Comité médical pour les exilés.

→ www.leciss.org

Le site du Collectif interassociatif sur la santé. Voir son plaidoyer « Egaux devant la santé : une illusion ? ».

→ www.odse.eu.org

Le site de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers.

→ www.gisti.org

Le site du Groupe d’information et de soutien des immigrés.

→ www.igas.gouv.fr/

spip.php?article135 : le rapport de l’Igas sur la réforme de l’AME.

→ www.aides.org

Le site de l’association Aides, auteur d’un rapport sur le droit au séjour des étrangers malades.