Quel avenir pour la santé ? - L'Infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012

 

ET DEMAIN

POINTS DE VUE

LA SANTÉ DU FUTUR

Interrogées sur le devenir de leur métier, les soignantes disent craindre que la dimension économique l’emporte sur l’aspect humain. Les dessinateurs avec qui nous collaborons vous proposent leur vision du futur.

Brigitte Hérisson

57 ans, infirmière clinicienne dans une équipe mobile de soins palliatifs et de prise en charge de la douleur en gériatrie

« Il va falloir changer les méthodes de prise en charge afin de beaucoup améliorer la prévention. Il faudra travailler dès la période scolaire sur l’hygiène de vie, l’alimentation, le tabagisme, pour prévenir la survenue des maladies chroniques. On connaît certains facteurs de risques, et il faudrait utiliser cette connaissance pour offrir une qualité de vie beaucoup plus agréable. L’éducation thérapeutique ne s’appliquerait donc plus seulement aux maladies déjà installées.

Je voudrais aussi qu’il y ait une approche plus humaine de la gériatrie. Quelle prise en charge de qualité et quelle qualité de vie va-t-on offrir aux personnes âgées ? Avec toutes ces questions sur l’euthanasie, je me désole de ce regard sur la vieillesse, ces personnes qu’on considère comme « coûteuses » et « plus utiles »… Aux infirmières de demain, je voudrais dire de garder espoir et de rester créatives. Nous avons un rôle propre merveilleux et une autonomie dans le prendre soin et l’apport de bien-être aux patients : il ne faut jamais l’oublier, même lorsque la charge de travail est lourde. C’est ce qui fait la valeur et l’art de notre profession. »

Anthony Grand

25 ans, infirmier en neurologie dans un CHU

« Dans l’avenir, je me vois travailler de la même façon qu’aujourd’hui, c’est-à-dire du mieux possible, mais dans des conditions de plus en plus difficiles. Je ne sais pas si le problème de la pénurie de personnel pourra s’arranger… C’est le point noir de notre profession. Tant qu’il n’y aura pas plus de personnel, on ne pourra pas améliorer la qualité de la prise en charge. Je me fais aussi du souci à propos des futurs collègues qui arriveront sur le marché du travail. Nous n’avons pas vraiment le temps de les accompagner. Avec la réforme des études, ils ont aussi moins de lieux de stage différents et vont arriver sur le marché du travail sans avoir pratiqué certains soins et sans pouvoir être opérationnels rapidement. Cela risque de se répercuter sur la qualité des soins. Une de mes autres interrogations porte sur la transmission des informations entre soignants et médecins. Il faudrait peut-être donner davantage d’importance à la parole des soignants car nous sommes ceux qui passons le plus de temps au chevet des patients. Cela devrait constituer une priorité. »

Mathilde Daeschler

23 ans, jeune diplômée de l’Ifsi de Strasbourg (Bas-Rhin)

« J’ai peur que la dimension économique l’emporte sur l’aspect humain. On va peut-être évoluer vers une multiplication des petits centres de soins, où les infirmières auront des compétences élargies pour pallier la pénurie de médecins. Il faudra repenser le financement de la santé, car on n’aura pas les moyens de construire assez d’hôpitaux et former assez de soignants pour faire face au vieillissement de la population : il faut privilégier l’hôpital de jour, les soins à domicile, favoriser la solidarité intergénérationnelle pour aider les personnes âgées à rester chez elles, et travailler sur l’éducation thérapeutique. »

Catherine Soulat

50 ans, infirmière anesthésiste dans une clinique du secteur privé non lucratif

« Je suis un peu inquiète pour l’avenir. On observe des avancées fabuleuses, on va de plus en plus loin dans la connaissance intime du corps, de la cellule… Au point d’en oublier parfois la personne humaine. Cela peut poser un problème éthique – à force de chercher des maladies, on en trouve – et aussi sur le plan de l’acceptation de la maladie et de la mort : on ne veut plus être vieux, on veut tout réparer… Cela pose aussi des problèmes financiers. Finalement, est-ce que tout cela vaut le coup, est-cela la vie ? On ne peut pas aller contre le progrès, mais je crains qu’en s’occupant de plus en plus du corps, on s’occupe de moins en moins des personnes… Il faudrait peut-être penser à agir davantage dans la prévention, à changer de point de vue par rapport à la vie et à ses aléas. Dans le futur, j’espère aussi qu’il n’y aura pas cette médecine à deux vitesses. La technicité sera toujours nécessaire, mais il faut que les infirmières croient en leur humanité et en elles, qu’elles résistent à la pression de la rentabilité et n’oublient pas l’essentiel. »

Samiha Manceau

36 ans, infirmière dans un service de soins de suite et de réadaptation, au centre hospitalier de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher)

« Moi, je veux rester optimiste. J’espère que les petits hôpitaux locaux seront toujours là, parce qu’il y a une proximité avec les patients, qui ne sont pas de simples numéros de chambre, et une grande entraide entre équipes de jour et de nuit, et entre cadres de santé et soignants. Et pourquoi ne pas recourir davantage aux médecines alternatives ? Les médecins sont déjà moins prescripteurs de médicaments. On commence à soulager les escarres avec du miel. En Yougoslavie, d’où je viens, on soigne une grippe avec des tisanes ! Mais, j’ai peur qu’on donne des responsabilités illimitées aux infirmières. »

Charlène Fleury

25 ans, infirmière aux urgences de l’hôpital pédiatrique Necker (Paris)

« Mon espoir pour demain, c’est que l’on puisse travailler dans de meilleures conditions, avec les effectifs de soignants nécessaires. Pour ne plus avoir à remplacer les collègues au pied levé ou travailler plus de week-ends. C’est possible, on l’a vu avec l’arrivée des équipes de l’hôpital Saint-Vincent, qui a permis de presque doubler les effectifs. Améliorer les conditions de travail, cela devrait être une priorité pour l’hôpital public, surtout pour une structure qui accueille des enfants. Je voudrais aussi continuer de venir travailler de bonne humeur le matin, rester motivée et savoir changer de service s’il le faut. Je souhaite que la douleur de l’enfant soit prise en charge à 100 % et soulagée plus rapidement. Je suis référente douleur dans mon service, et je vois que ce n’est pas parfait. Cela me fait mal au cœur. C’est difficile de mesurer la douleur de l’enfant, mais on met tous les outils en place pour l’évaluer.

Corinne Martins

43 ans, infirmière dans une maison de retraite publique à Gien (Loiret)

« J’espère que les gens ne souffriront plus du tout. J’ai peur que le système de santé évolue vers le modèle américain, avec une sécurité sociale qui ne rembourse que très peu, qu’on perde les petits hôpitaux au profit de grands complexes dans les villes, où l’on ira vers plus de technique et moins d’humain. Les personnes âgées resteront au maximum chez elles et n’arriveront que pour mourir dans les maisons de retraite, de plus en plus médicalisées. Je pense aussi qu’il y aura de plus en plus de soignants étrangers, à cause de la pénurie de personnel. »

Philippe Houzet

48 ans, infirmier devenu attaché de direction du Groupe hospitalier de l’Institut catholique de Lille sur les services à domicile (Nord)

« Je pense que le monde de la santé va évoluer de plus en plus dans un milieu contraint en termes qualitatif et quantitatif. Un gros travail de management pour éviter trop de distorsions entre les attentes des tutelles et ce que pourront offrir nos organisations. D’autant que les 35 heures ont fait évoluer les comportements au travail et que les équipes ont perdu en solidarité. Il y a une course au repos et une fatigabilité très prégnante… Je crois aussi qu’avec la concurrence entre établissements, le marketing en santé va se développer. Avec les TIC, on va pouvoir sécuriser la prise en charge des patients à domicile et améliorer la communication entre soignants. Mais il faut veiller à ne pas favoriser la communication à distance au détriment des échanges et du travail d’équipe…, et à ce que les soignants ne deviennent pas de simples producteurs de soins. Il faudra aussi trouver la façon d’articuler les moyens de l’hôpital et des soins à domicile, surtout libéraux, condition sine qua non de la qualité de la prise en charge à domicile. »