« Les infirmières doivent se saisir de leur destin » - L'Infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012

 

ÉVOLUTION DU MÉTIER

L’ENTRETIEN

Roselyne Vasseur, directrice des soins à la Direction générale de l’AP-HP, partage son analyse, ses incertitudes et ses espoirs sur l’évolution de la profession infirmière.

INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quels ont été, pour vous, les événements marquants de la profession infirmière depuis que vous exercez ?

ROSELYNE VASSEUR : Historiquement, j’ai été marquée par le mouvement de la coordination de 1988. Une fois n’est pas coutume, ce mouvement a rassemblé les infirmières autour de revendications partagées et légitimes. Plus récemment, je m’arrêterais sur l’universitarisation de la profession, élément majeur, attendu de longue date par les 520 000 infirmières françaises. Cette réforme est d’autant plus importante que la reconnaissance, en France, passe par l’université. Nous étions très en retard par rapport aux pays anglo-saxons, ou même par rapport aux pays émergents. Je regrette néanmoins que cette universitarisation se fasse par la « petite porte ». Les IDE ont désormais une équivalence de grade, mais pas directement une licence : elles doivent passer par la validation des acquis. L’université a considéré les infirmières avec une certaine condescendance, ce qui n’était pas justifié. Il faut désormais ouvrir plus largement ses portes, ce que font les infirmières en investissant les masters. Mais, la filière reste incomplète puisqu’il n’existe pas encore de doctorat en sciences infirmières dans notre pays. Les IDE doivent suivre leur doctorat dans une autre discipline, malgré un corpus en sciences infirmières particulièrement riche. Il faut donc s’atteler, à présent, à mettre en œuvre le « D » du « LMD ».

L’accès à la recherche est un autre élément marquant, dont les infirmières se sont saisies. Dans ce domaine aussi, la France était en retard. Le premier PHRI, lancé en 2009, a rencontré un vif succès. Parmi les nombreux projets présentés, des propositions passionnantes ont été retenues. Ce programme, reconduit en 2010 et 2011, s’est ouvert aux autres professionnels paramédicaux (PHRIP). L’engouement ne faiblit pas. Malgré leur charge de travail et la pénurie, les infirmières continuent à s’investir pour mener des recherches. Il fallait sortir de la culture orale pour écrire ce que l’on fait. Les infirmières hésitent à s’y résoudre, considérant que ce qu’elles font ne mérite pas d’être publié. J’encourage les équipes à écrire, car c’est fondamental, mais j’entends systématiquement « je ne saurai pas » ou « je n’ai rien d’exceptionnel à dire ». Il faut s’y autoriser et oser. Seul le premier pas coûte !

I. M. : Pensez-vous à d’autres éléments qui ont pu influencer la profession infirmière ?

R. V. : La profession est impactée par l’évolution de la société et de la médecine, peut-être davantage que par des éléments intrinsèques. La crise économique accompagnée de la paupérisation de la population, le vieillissement couplé à l’augmentation des pathologies chroniques sont des éléments qui font évoluer le métier infirmier, en première ligne de notre système de soins. La sécurité des soins, l’EPP, la prévention, la coordination des soins et l’éducation thérapeutique sont également des domaines investis par la profession dans tous ses secteurs d’activité.

I. M. : Quelle influence a eu la loi HPST sur les infirmières ?

R. V. : Cette loi visait, entre autres, à rapprocher les directeurs d’hôpitaux des médecins. La dimension paramédicale y est quasi inexistante, ce qui a été mal vécu par les intéressés. Bien que représentés au directoire et au conseil de surveillance, les paramédicaux s’estiment « oubliés » par cette réforme. Il faudra du temps pour stabiliser les choses.

I. M. : Estimez-vous que les coopérations entre professionnels de la santé vont faire évoluer le métier ?

R. V. : L’article 51 de la loi HPST ouvrait la porte aux coopérations entre médecins et paramédicaux. Face à ces perspectives intéressantes, les équipes médico-soignantes ont investi du temps et de l’énergie pour élaborer ces projets complexes. Nous n’avons pas de validation des tutelles pour l’instant. Les seuls projets, entérinés en province exclusivement, concernent des transferts d’actes ; mais les infirmières n’ambitionnent pas de devenir des « sous-médecins ». Elles veulent élargir le champ de leurs pratiques via les pratiques avancées, le suivi des patients et la coordination des soins. Le dispositif de coopération a surtout été pensé pour résoudre la problématique des déserts médicaux.

I. M. : Comment pensez-vous que le métier d’infirmière va évoluer ?

R. V. : Les rapports « Hénart, Berland et Cadet » préconisent la mise en œuvre de pratiques avancées et de métiers intermédiaires. Entre la formation sur trois ans d’une infirmière et celle, sur dix ans, d’un médecin, il y a un écart important, qui laisse place à des formations intermédiaires pour les paramédicaux. Selon les experts, on sur-hospitalise quand on pourrait faire davantage de médecine de ville. On recourt à des médecins spécialistes au lieu de s’adresser à des généralistes, et à des généralistes au lieu de faire appel à des infirmières. On est dans un système curatif hospitalo-centré, dont la prévention reste le parent pauvre. Á l’avenir, il y aura déplacement du centre de gravité de l’hôpital vers la ville, pour répondre aux attentes de proximité des usagers. Avec l’augmentation des pathologies chroniques et la diminution des durées de séjour hospitalier, les patients ne viendront à l’hôpital que pour des séjours aigus, techniques et ponctuels. Il faudra que les infirmières hospitalières interviennent aussi hors les murs de l’hôpital, en lien avec leurs collègues libérales et les réseaux, pour contribuer à la coordination des prises en charge.

I. M. : Quels sont, pour vous, les points faibles de cette profession ?

R. V. : Les infirmières se divisent plutôt que de se rassembler. L’Oni a des difficultés à se faire accepter, et la profession n’est pas représentée dans les instances décisionnaires. Le nombre de médecins députés ou sénateurs versus le nombre d’infirmières est emblématique de l’absence de ces dernières en politique. La profession infirmière, qui ne s’exprime pas et ne fait pas de lobbying, n’occupe pas la place d’acteur majeur qui lui revient au cœur du dispositif de santé. Elle n’en a ni les attributions ni le statut. Cela ne favorise pas l’attractivité de ce métier technique et relationnel exigeant, mais tellement diversifié et passionnant. Pour avancer, la profession dans toutes ses composantes doit se mobiliser et se saisir de son destin !