Au Sénégal, des compétences assez floues et étendues - L'Infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012

 

INTERNATIONAL

Des pratiques proches de celles des médecins lorsqu’elles travaillent dans les postes de santé et un taux de chômage paradoxalement élevé comparé aux besoins caractérisent la profession infirmière.

Ici, vous formez des médecins avec des petits “m” . » Cette formule, Abdou Gueye s’en souvient très bien, même si elle remonte déjà à quelques années : « Ce sont des étudiants en soins infirmiers français venus chez nous qui l’ont prononcée. Ce n’est pas complètement faux. C’est même tout notre malheur », confie le président de l’Association nationale des infirmiers et infirmières diplômés d’État du Sénégal (Aniides). Si le souvenir relève de l’anecdote, il résume cependant bien la situation de bon nombre d’infirmiers exerçant au Sénégal. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le plus petit échelon de l’organisation du système de santé est le district sanitaire. Si ce dernier est dirigé par un médecin, les 1 000 postes de santé sont presque exclusivement occupés par des infirmiers qui ont, de fait, des compétences très larges. En fonction de la densité de la population du territoire concerné, en pleine brousse par exemple, l’infirmier peut être seul en poste et se trouver à 250 km d’un médecin. « Une infirmière prescrit, vaccine, fait des accouchements, réalise même des actes de chirurgie », détaille Abdou Gueye. « En milieu communautaire, les infirmiers assurent la consultation des malades, la plupart de leurs actes relèvent de la pratique médicale », confirme Awa Seck, infirmière sénégalaise titulaire d’un master et d’un doctorat en santé communautaire obtenu à l’université de Laval au Québec.

Au Sénégal, toute la difficulté réside dans le fait que très peu de textes réglementent la profession infirmière. « Il existe bien la nomenclature des actes infirmiers, qui date de 1989, mais celle-ci est peu connue, non adaptée à la pratique infirmière et n’a pour ainsi dire jamais servi », poursuit Awa Seck. Avec des compétences aussi mal délimitées, il n’est pas rare de voir des infirmiers faire l’objet de procès. « Pas plus tard que ce matin, je viens d’apprendre qu’un infirmier allait pouvoir sortir de prison dans une affaire où il était mis en cause par la famille d’un diabétique décédé dans un poste de santé. Ce n’est pas aux infirmiers de porter le chapeau d’une organisation des soins qui n’est pas optimale », considère Abdou Gueye.

Le président de l’Aniides milite d’ailleurs pour que soit créé un ordre infirmier sénégalais, avec pour objectif premier d’améliorer le cadre juridique fixant les compétences infirmières. « Nous aimerions faire en sorte qu’il y ait suffisamment de personnel soignant pour que les infirmiers trouvent leur juste place », commente-t-il. Autre sujet de préoccupation : le chômage qui touche la profession. Selon l’Aniides, 1 200 infirmiers diplômés d’État sont sans emploi. « Un véritable paradoxe », estime Abdou Gueye. En effet, le nombre d’écoles préparant au métier d’infirmier a augmenté de manière exponentielle ces dernières années (surtout dans le secteur privé, où il existe plus de 60 écoles, contre seulement 8 publiques), mais l’État, qui reste le principal recruteur, n’embauche pas autant de personnes qu’il sort de diplômés à chaque promotion. Pourtant, les besoins sont là, autant à l’hôpital qu’en santé communautaire. D’ici à 2018, le programme national de développement des ressources humaines du ministère de la Santé estime que les besoins atteindront 10 462 postes infirmiers.

Contact : Association nationale des infirmiers et infirmières diplômés d’État du Sénégal (Aniides) – www.aniides.com

« Une infirmière sénégalaise prescrit, vaccine, fait des accouchements, et réalise même des actes de chirurgie. »

Abdou Gueye

EN BREF

→ 2,53 millions d’habitants

→ Capitale : Dakar

→ 3 287 infirmiersen 2004

→ Espérance de vie (h/f) : 60/63 ans

→ Quotient de mortalité infanto-juvénile : 93 (pour 1 000 naissances vivantes en 2009)

→ Dépenses totales consacrées à la santé (en 2009) : 5,7 % du PIB

(Source : OMS)