Les intoxications par les fumées d’incendie - L'Infirmière Magazine n° 299 du 15/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 299 du 15/05/2012

 

FORMATION CONTINUE

FICHE TECHNIQUE

La France a subi, en 2010(1), 336 867 feux (dont 88 607 feux d’habitation) pour un total de 27 417 victimes (dont 438 décès). Ces chiffres montrent, s’il en est besoin, l’importance de connaître les signes d’une intoxication aux fumées d’incendie et la prise en charge médico-secouriste qui en découle.

La physiopathologie des victimes de feux met en évidence trois types d’agression :

– l’agression thermique (brûlure) ;

– l’agression traumatique (explosion et défenestration) ;

– l’agression toxique (fumées d’incendie).

C’est cette dernière que nous allons développer ci-après.

La pyrolyse des matériaux, lors d’un feu en espace clos, produit de la chaleur, des fumées contenant des gaz toxiques et une raréfaction de l’oxygène dans l’air ambiant. Les fumées sont un milieu complexe et hétérogène comprenant :

– une phase gazeuse (150 gaz actifs) ;

– une phase particulaire (les suies) ;

– de la vapeur d’eau.

Les gaz toxiques dégagés lors des incendies sont classés en deux grandes catégories, les gaz asphyxiants (les cyanures, l’hydrogène sulfuré et le monoxyde de carbone), entraînant une dépression du système nerveux central ; et les gaz irritants (le chlore, les aldéhydes et les dérivés azotés), entraînant des lésions caustiques des muqueuses respiratoires.

LE MONOXYDE DE CARBONE

• Connu sous le symbole chimique CO, il est la résultante d’une combustion incomplète des matériaux. Inodore, incolore, insipide, ce gaz asphyxiant est réputé pour être un tueur sournois car il ne se détecte pas sans instrument. Le CO entre en concurrence avec l’O2 pour sa fixation sur l’hème de l’hémoglobine. Son affinité est 200 à 250 fois supérieure à celle de l’O2.

• Les céphalées sont le premier signe prouvant l’intoxication et doivent mettre la victime en alerte afin qu’elle se soustrait du milieu qui l’agresse. Les autres signes cliniques, essentiellement neurologiques, d’apparition plus ou moins rapide, participent à la signature diagnostique de l’intoxication mais signent également la gravité de l’intoxication. Le Rad 57(r) est un appareil, non invasif, de détection de la carboxyhémoglobine. Il permet de réaliser un tri rapide des intoxiqués au CO. Il existe d’autres appareils détecteurs d’ambiance ou de CO expiré.

• Le traitement de l’intoxication au CO est l’oxygène. Il peut être normobare sur les intoxications légères, ou hyperbare (caisson) sur les intoxications les plus sévères.

LE CYANURE ET DÉRIVÉS

• Autre gaz asphyxiant, tout aussi dangereux que le CO, le cyanure est le résultat de la pyrolyse des matériaux de synthèse (polyuréthane, résines, polyamide) et des matériaux naturels (bois, laine, soie). C’est un inhibiteur du cytochrome oxydase, enzyme participant à la chaîne respiratoire mitochondriale. L’arrêt de la production d’ATP entraîne un métabolisme anaérobique affectant les tissus tels que cardiaques et nerveux.

• L’intoxication aux cyanures se caractérise par une détresse respiratoire pouvant aller jusqu’à l’apnée, une détresse circulatoire pouvant aller jusqu’à l’état de choc et une lactatémie augmentée. Le traitement associe l’hydroxocobalamine (cyanokit(r)), l’oxygène et les traitements symptomatiques de la détresse respiratoire et circulatoire en fonction de la gravité.

LES DÉRIVÉS CHLORÉS, AZOTES ET ALDÉHYDES

• Gaz irritants, ils participent aux lésions des muqueuses, principalement respiratoires et ORL. Leurs manifestations cliniques sont d’ordre respiratoire (insuffisance respiratoire retardée, ronchis ou sibilants), circulatoire (tachypnée ou bradypnée), ORL (dysphonie, stridor, toux) et oculaire.

• L’oxygène, associé aux aérosols de bêta-2-mimétiques, peut limiter ou lever un bronchospasme. Un rinçage des yeux, au sérum physiologique, participera au soulagement des irritations oculaires.

TRI DE VICTIMES INTOXIQUÉES PAR LES FUMÉES

Pour les sapeurs-pompiers et l’infirmier sapeur-pompier en particulier, il est important, dans un premier temps, de regrouper les victimes et impliqués en un lieu unique et protégé du sinistre, appelé le point de regroupement des victimes.

• Un premier tri visuel séparera les victimes valides des invalides. Les actions de réanimation, de conservation des fonctions vitales et de stabilisation seront entreprises en fonction du ratio intervenants/victimes.

L’examen pour rechercher une intoxication par les fumées portera sur la face et les orifices bucco-nasaux.

• On recherchera des suies signant l’inhalation de fumées, on confirmera la présence de suies en demandant aux valides et aux invalides qui le peuvent de se moucher : la présence de suies dans le mouchoir doit faire administrer de l’oxygène sans délai, au masque à haute concentration et à fort débit (15 L/min pour l’adulte, jusqu’à 9 L/min pour l’enfant), et ce jusqu’à la réalisation d’examens complémentaires pour confirmer ou non la présence de carboxyhémoglobine.

• La découverte de troubles neuro-logiques associés à des signes cardiovasculaires doit faire penser à une intoxication aux cyanures et entreprendre l’administration de 5 g d’hydroxocobalamine pour l’adulte (70 mg/kg pour les enfants).

• Si le monitorage standard (pouls, PNI) a son intérêt, il faut se méfier des résultats faussement rassurants de la SpO2, qui peut être normale alors que l’intoxication au CO est bien présente ; ce biais est dû à la non-différenciation de l’oxyhémoglobine et de la carboxyhémoglobine par les appareils de mesure de la SaO2.

Le meilleur moyen de confirmer une intoxication au CO est de la détecter en expiré ou en transcutané.

• L’accueil en SAU doit répondre aux mêmes recherches de signes évocateurs d’intoxication par les fumées. La prise en charge hospitalière sera la même que sur le terrain, avec la possibilité d’effectuer des examens complémentaires plus poussés tels que les gaz du sang artériel, la lactatémie, une radio pulmonaire, un ECG…

L’intoxication aux fumées d’incendie n’est pas anodine. Pour le professionnel de santé, le danger vient d’une confiance aveugle en la SpO2, faussement rassurante.

Les traitements existent et sont efficaces si le diagnostic est posé rapidement. Les détecteurs de fumée et de CO font leur entrée dans nos maisons (voir encadré ci-contre). Ce matériel n’a pas vocation à éviter les incendies mais est un atout indéniable pour sauver des vies, les personnes étant alertées suffisamment tôt du péril qui les guette.

1- Statistiques des Services d’incendie et de secours édition 2011, Direction générale de la sécurité civile, gestion des crises p. 15.

LÉGISLATION

→ L’Assemblée nationale a adopté, le 13 octobre 2005, la proposition de loi de MM. Morange et Meslot donnant obligation à chaque propriétaire ou occupant d’une habitation d’installer et d’entretenir au moins un détecteur avertisseur autonome de fumée.

→ Le décret fixant les modalités d’application a été publié le 10 janvier 2011. Chaque occupant a jusqu’au 8 mars 2015 pour installer un détecteur de fumée dans son logement.

→ L’art. R. 129-12 du Code de la construction et de l’habitation stipule que chaque logement, individuel ou dans une habitation collective, doit est équipé d’au moins un détecteur de fumée normalisé. Il est alimenté par piles ou fonctionne à partir de l’alimentation électrique du logement, sous réserve, dans ce cas, qu’il soit équipé d’une alimentation de secours.

→ Le détecteur de fumée doit détecter les fumées émises dès le début d’un incendie et émettre immédiatement un signal sonore suffisant permettant de réveiller une personne endormie dans le logement où la détection a eu lieu.

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