LA POLYARTHRITE RHUMATOÏDE - L'Infirmière Magazine n° 298 du 01/04/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 298 du 01/04/2012

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune dont le retentissement est avant tout articulaire. Son évolution est imprévisible. Elle voit des phases aiguës suivre des phases de rémission plus ou moins prolongées. La dégradation articulaire expose à un handicap souvent rapide dont le retentissement psychologique est important. Le traitement par méthotrexate constitue depuis longtemps une référence dans les formes actives quelle qu’en soit la sévérité. Les biothérapies – notamment les anticorps monoclonaux – offrent des solutions innovantes, permettant d’obtenir des rémissions prolongées même dans les formes actives sévères. Idéalement, une équipe pluridisciplinaire doit suivre le patient dans le cadre d’un programme d’éducation thérapeutique coordonné par une infirmière, dont le rôle essentiel est de l’aider à s’adapter à son traitement en vue de la plus grand autonomie possible.

1. DESCRIPTION

La polyarthrite rhumatoïde (PR) est une maladie auto-immune dont le déterminisme reste largement méconnu. Il dépend pour partie de facteurs génétiques, et la participation du complexe majeur d’histocompatibilité à son développement semble établi : le HLA de classe II, associé au tabagisme, constitue un facteur de risque d’auto-immunité articulaire agressive reconnu. Si 96 % des patients présentant une polyarthrite active sévère sont porteurs d’un allèle déterminant une susceptibilité génétique, 55 % des porteurs de ce même allèle ne développent qu’une forme bénigne de la maladie.

Par ailleurs, des antigènes infectieux (ex : virus de la rubéole, cytomégalovirus, rétrovirus, virus d’Epstein-Barr, infections parodontaires par Porphyromonas gingivalis…) ainsi que d’autres antigènes (protéines du choc thermique, protéines de liaison aux protéoglycanes, collagène de type II…) sont probablement impliqués dans son étiologie. Il faut y ajouter l’influence de facteurs hormonaux (voir prédominance féminine de l’affection, action pro-inflammatoire de la prolactine), psychologiques (stress, notamment) et environnementaux (tabagisme).

Les mécanismes physiopathologiques expliquant les symptômes

La polyarthrite débuterait par la présentation d’un antigène, probablement localisé dans la membrane synoviale, aux lymphocytes T par l’intermédiaire d’une molécule HLA. Une réaction immunitaire chronique se développe alors, aboutissant à une rupture dans l’homéostasie entre des médiateurs pro-inflammatoires (IL-1, TNF) et anti-inflammatoires (IL-6, IL-8…). La dominance pro-inflammatoire explique la destruction progressive des articulations : les neutrophiles, attirés par des facteurs chimiotactiques, puis activés in situ par des complexes immuns et des débris de phagocytose, libèrent enzymes et radicaux libres oxygénés, et les cellules synoviales libèrent des protéases concourant à la destruction du cartilage articulaire. L’agression auto-immune peut se généraliser et être à l’origine d’atteintes systémiques, à distance des articulations.

Les signes articulaires

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie articulaire, même si environ 10 % des cas la voient affecter tout l’organisme pour devenir une maladie systémique. L’affection est caractérisée par une atteinte inflammatoire articulaire avec dérouillage matinal prolongé (souvent une heure), gonflement affectant au moins quatre articulations, globalement symétriques (petites articulations des mains, des poignets, des pieds) et durant plus de 3 mois. Les déformations articulaires peuvent devenir rapidement invalidantes : « coup de vent cubital » affectant doigts et poignet, déformations des doigts, avec pouce en « Z » ou « adductus ». L’atteinte du poignet donne un aspect en « touches de piano ». Les ténosynovites associées donnent un crissement caractéristique lors de la mobilisation des tendons. En phase d’état, les déformations affectent, de plus, les pieds, les épaules, les coudes, le rachis cervical. Les articulations inter-phalangiennes distales, le rachis thoraco-lombaire et l’articulation sacro-iliaque sont respectés.

Les signes extra-articulaires

La polyarthrite s’accompagne de signes extra-articulaires inconstants, signant son évolutivité. Sans exhaustivité, il faut signaler :

→ Un syndrome canalaire affectant banalement le canal carpien.

→ L’apparition de nodules rhumatoïdes après plusieurs années d’évolution, chez 10 % à 20 % des patients ; ils apparaissent sur les faces d’extension des coudes, avant-bras et doigts, mais peuvent par la suite se développer, de façon plus rare, sur des viscères (poumons, valves cardiaques, cordes vocales).

→ La survenue posssible d’un syndrome de Goujerot-Sjögren (avec xérostomie, xérophtalmie), d’un phénomène de Raynaud (chez 10 % des patients), d’adénomégalies (30 % des patients), notamment médiastinales, de bronchectasies.

→ Le développement de signes généraux grevant parfois le pronostic vital : vascularite rhumatoïde, fibrose pulmonaire, manifestations cardiaques (péricardite, myocardite), oculaires (sclérite, épisclérite), hématologiques (anémie, lymphocytose avec infections récurrentes), rénales (amylose), compressions médullaires…

Le handicap, souvent significatif dès les deux premières années dans les formes actives sévères, devient majeur dans la décennie suivant l’apparition de la maladie. Environ 30 % des patients sont alors invalides.

2. POSER LE DIAGNOSTIC

Le diagnostic repose sur un faisceau de présomptions : il est souvent impossible de l’affirmer de façon formelle dans la première année suivant l’apparition des signes cliniques, mais il est important – et c’est une difficulté pour le rhumatologue – de le poser précocément afin que le patient bénéficie d’un traitement de fond avant que la maladie n’en soit à sa phase d’état.

Signes cliniques

La clinique, importante pour le diagnostic, met en évidence les signes articulaires, mais également les signes extra-articulaires témoignant de l’évolution de la maladie.

Examens complémentaires

Si la clinique est fondamentale, elle doit être confortée par divers examens complémentaires : prélèvements du liquide articulaire (confirmation de l’existence d’une arthrite), éventuelle biopsie synoviale (pour éliminer une infection en cas de signes monoarticulaires), radiographies, voire échographie articulaire ou IRM. Le bilan biologique classique repose sur :

– un hémogramme ;

– le dosage des enzymes hépatiques, de l’urée et de la créatininémie ;

– la recherche du facteur rhumatoïde, un anticorps anti-Fc d’igG (souvent une IgM). Ce facteur, aspécifique, constitue une aide au diagnostic ;

– la recherche d’anticorps antiprotéines citrullinées (anti-CCP), ayant une valeur prédictive certaine.

La positivité de l’un de ces deux tests ne constitue qu’un élément présomptif et, inversement, la négativité des deux tests ne permet pas d’éliminer le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde.

– le dosage de la protéine C réactive (témoin d’inflammation des jours précédents) ;

– la mesure de la vitesse de sédimentation (témoin d’inflammation des mois précédents) ;

– des examens (ex. : dosage des anticorps anti-nucléaires) permettant d’écarter d’autres diagnostics : spondylarthrite, arthropathie infectieuse ou microcristalline, connectivite, syndrome de Gougerot-Sjögren isolé, lupus, néphropathie, voire hépatite C susceptible de produire un tableau clinique d’arthrite.

Évolution

La majorité des polyarthrites demeurent bénignes et régressent spontanément en moins d’un an. Dans environ 25 % des cas, elles s’aggravent, sous forme de poussées successives, mais il est impossible de prédire l’évolution ultérieure en début de maladie. Toutefois, des lésions progressant rapidement à l’imagerie, un handicap d’installation rapide ou l’apparition précoce de lésions systémiques signent la sévérité de l’affection. Inversement, certaines polyarthrites donnent lieu à des rémissions durables spontanées.

Les manifestations cardiaques sont à l’origine de l’essentiel de la surmortalité par polyarthrite : elles relèvent de l’évolution propre de la maladie ou constituent une conséquence iatrogène du traitement (corticoïdes). Par ailleurs, la polyarthrite rhumatoïde accroît le risque d’ostéoporose (instaurer un traitement spécifique si besoin).

Les possibilités offertes par les biothérapies retardent le développement de la maladie et améliorent son pronostic, au prix d’une surveillance étroite des patients et d’un risque iatrogène non négligeable (voir Prise en charge p. 34).

CHIFFRES

→ La PR est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques.

→ En France, elle concerne 0,4 à 0,8 % de la population.

→ Sa prévalence atteint 1,2 % dans d’autres pays développés.

→ La polyarthrite touche 4 fois plus de femmes que d’hommes et reste généralement moins sévère chez ces derniers.

→ Elle débute souvent entre la quarantaine et la soixantaine.

→ Ni l’âge de survenue des premiers signes, ni les manifestations inaugurales ne permettent d’anticiper son évolution.