Du sevrage au maintien de l’abstinence - L'Infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Au-delà de l’aide que peut représenter la prescription de certains médicaments, il convient de souligner l’importance cruciale de l’accompagnement psychologique et social du patient en phase de sevrage ou de maintien de l’abstinence.

1. TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX

Médicaments d’aide au sevrage

→ Les benzodiazépines (BZD), médicaments anxiolytiques, bénéficient d’une bonne tolérance, mais peuvent provoquer une insuffisance respiratoire, des ictus amnésiques, à dépendance et à tolérance si leur prescription est inutilement prolongée. Leur administration dans le traitement du sevrage alcoolique ne devrait pas excéder 8 jours.

→ Les antipsychotiques peuvent être administrés comme sédatifs dans les états d’agitation, y compris ceux induits par le sevrage : le tiapride (Tiapridal) bénéficie d’une AMM dans ce sens. Ces médicaments exposent à des effets indésirables neurologiques et endocriniens susceptibles de limiter l’observance du traitement.

→ Les normothymiques anticonvulsivants : diverses molécules sont parfois utilisées en lieu et place des BZD lors du sevrage alcoolique (hors AMM) : la carbamazépine (Tégrétol) prévient les crises comitiales chez les sujets vulnérables, mais expose à une iatrogénie parfois sévère (troubles hématologiques, hépatiques, cardio-vasculaires et dermatologiques). Valproate de sodium (Dépakine, Micropakine), vigabatrine (Sabril), topiramate (Epitomax), gabapentine (Neurontin) sont prescrits par certains spécialistes hors AMM.

→ Les bêta-bloquants : plus connus comme anti-hypertenseurs, aténolol (Ténormine) ou propranolol (Avlocardyl) réduisent les manifestations somatiques du sevrage (tremblements, tachycardie, hypertension artérielle…). Dépourvus d’effets psychoactifs et sans action sur l’agitation, les convulsions ou les hallucinations et délires, ils ne doivent pas être administrés isolément. Leurs effets indésirables potentiels expliquent que leur usage, hors AMM, soit réservé aux patients présentant une dépendance physique légère à modérée.

→ La vitaminothérapie : une carence en vitamine B1 (thiamine), fréquente en cas d’alcoolodépendance (négligence alimentaire, mauvaise absorption), peut provoquer des troubles neurologiques ou cardiaques graves, souvent décompensés à l’occasion du sevrage. Face à des signes cliniques de carence, elle sera administrée de préférence en perfusion intraveineuse une ou deux fois par jour pendant une semaine. Un relais per os peut être pris pendant plusieurs semaines (500 mg/j).

→ La vitamine B6 (pyridoxine) peut donner lieu à l’administration prophylactique des crises comitiales. Ces vitamines permettent de prévenir la survenue d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Certains spécialistes y associent de la vitamine PP (nicotinamide) comme cofacteur.

→ L’apport d’acide folique peut être discuté en cas de carence, particulièrement chez la femme enceinte, pour réduire le risque de malformation fœtale.

Maintien de l’abstinence

Le traitement médicamenteux intervient en complément de la prise en charge psychosociale : utile dans diverses situations, il ne peut se suffire en lui même.

→ L’acamprosate (Aotal) : apparenté au glutamate, l’acamprosate bloque les effets renforçants négatifs liés au manque après sevrage : il n’a aucun effet aversif et n’a aucune action de « substitut ». Ce médicament facilite donc ainsi le maintien de l’abstinence. La tolérance du traitement est bonne : l’effet indésirable dominant est une diarrhée transitoire. Sa prescription, pendant au moins un an, ne se conçoit qu’avec un accompagnement psychologique et, au besoin, social.

→ La naltrexone (Revia) : la naltrexone, un antagoniste opiacé prescrit dans l’aide au maintien de l’abstinence chez les ex-héroïnomanes (Nalorex), bloque l’effet de renforcement positif induit par la sécrétion d’opiacés endogènes : elle n’a pas d’effet aversif et prévient les rechutes en les rendant moins « gratifiantes ». Sa prescription, limitée par l’AMM à 3 mois, concerne essentiellement les patients présentant une dépendance psychique à l’alcool, en association à un soutien psychologique. Elle limite l’impériosité du craving.

→ Le baclofène (Liorésal) : il constituerait une aide importante au maintien du sevrage selon des observations médiatisées. Il n’existe aucune preuve validant son usage mais des perspectives inéressantes sont ouvertes.

→ Le disulfirame (Espéral) : il induit, environ dix minutes après l’assimilation d’alcool, une réaction physiologique désagréable avec rougeur faciale, céphalées, sueurs, nausées, tachycardie et hypotension, l’ensemble durant entre une demi-heure et plusieurs heures. En induisant ainsi une aversion à l’égard de l’alcool, ce médicament peut constituer une incitation pour un patient volontaire à demeurer abstinent. Son emploi a fait l’objet de critiques relatives au caractère coercitif de la pratique, expliquant un usage désormais controversé.

2. Stratégie de prise en charge

Constituant une rupture radicale avec le vécu de l’alcoolodépendance, le sevrage permet au patient de prendre conscience de sa dépendance. La première démarche du médecin vise à préciser la nature comme l’authenticité de la demande du patient, en essayant de cerner son vécu de l’alcoolisation (antécédents de traitement, usage de l’alcool, effets ressentis, désir de reconstruire des liens sociaux, situation familiale et professionnelle, plaintes somatiques…). L’absence de demande et de motivation du patient et/ou l’impossibilité de mettre en œuvre un projet cohérent et durable de suivi constituent une non-indication au sevrage. S’inscrivant nécessairement dans la durée, le protocole du sevrage doit être programmé et élaboré dans un contexte d’alliance thérapeutique. Il repose avant tout sur le soutien psychologique. Ses modalités doivent être expliquées oralement et sous forme d’un livret d’information.

En ambulatoire ou en institution ?

→ Le sevrage ambulatoire. Bien accepté par le patient, le sevrage ambulatoire permet le maintien d’activités sociales et professionnelles normales. Il n’est compatible qu’avec un syndrome de sevrage modéré et requiert une participation active des proches. Au total, il est proposé à environ 80 % des patients.

→ Le sevrage en institution. Il dure généralement une dizaine de jours, sauf complications somatiques ou psychiatriques. Il permet de surveiller le patient et de le soustraire à un environnement non coopératif. Il est pertinent en cas d’échec des sevrages ambulatoires, de complications sévères à des tentatives de sevrage antérieures, de codépendance (BZD, opiacés) ou chez les sujets en situation de précarité sociale.

Modalités classiques

Le traitement médicamenteux de première intention du syndrome de sevrage alcoolique repose sur la prescription d’une benzodiazépine par voie orale. Le consensus actuel, en ambulatoire, invite à prescrire du diazépam (Valium) 10 mg : 1 cp/6 h pendant 1 à 3 jours, puis réduction progressive sur 4 à 7 jours ; ou : 6 cp le premier jour, puis réduction de 1 cp/j jusqu’à arrêt en 7 jours (risque de somnolence excessive et de surdosage le premier jour).

La prescription de BZD ne doit pas excéder 8 jours, sauf si une codépendance aux anxiolytiques accompagne l’alcoolodépendance. Lorsque le sevrage s’accompagne d’une agitation importante, insuffisamment calmée par une BZD, voire d’hallucinations, il est possible d’administrer un antipsychotique sédatif (tiapride à posologie forte : jusqu’à 1,8 g/j).

Ce traitement est accompagné d’une hydratation suffisante – soit 3 l/j pendant 3 à 4 jours. L’apport hydrique est idéalement oral (eau, jus de fruit). S’il est réalisé par voie veineuse avec du glucosé, il faut impérativement y associer de la vitamine B1 (thiamine 500 mg/j), car le glucosé induit une déplétion vitaminique. Les apports ioniques ne doivent pas être négligés (sodium, potassium, voire magnésium et calcium si déficit avéré).

Le sevrage impose, dans les dix jours environ, une aide psychologique importante (thérapie de soutien ou thérapie de groupe) et durable.

Un défi : ne pas rechuter

→ Le sevrage ne constitue pas une fin en soi, mais un moyen, celui de l’abstinence conquise, permettant d’améliorer la qualité de vie et les relations avec l’entourage. L’arrêt de la consommation d’alcool s’accompagne, puis se prolonge impérativement par un travail psychologique sur plusieurs mois ou années. Devant être entrepris dans les dix jours suivant le sevrage, ce travail est généralement réalisé en ambulatoire par un médecin généraliste exerçant en réseau, en liaison avec un centre d’alcoologie, un centre médico-psychologique (CMP) ou avec un groupe d’entraide.

→ En cas de problèmes psychopathologiques ou sociaux, le patient peut demeurer 1 à 3 mois, parfois jusqu’à 6 mois, dans un centre de soins de suite et de réadaptation (SSR) (antérieurement dit de « post-cure ») de façon à améliorer sa forme physique et à mûrir son évolution psychologique pour optimiser sa réintégration familiale et sociale. Des hospitalisations partielles peuvent être envisagées.

→ L’intérêt d’une psychothérapie (systémique, familiale, cognitive, comportementale ou d’inspiration analytique, selon le cas) est reconnu. Les thérapies de groupe sont facilitées par une prise en charge institutionnelle (groupes de parole, groupes de relaxation, art-thérapie, musicothérapie) ou par l’inclusion dans un groupe d’entraide. Les troubles du comportement alimentaire, fréquents, se traduisent par une appétence inusitée pour les produits sucrés : ils peuvent justifier un accompagnement diététique et psychothérapeutique spécifique.

→ L’administration d’acamprosate ou/et de naltrexone facilite l’abord psychothérapeutique et sa pérennisation en aidant au maintien de l’abstinence. Le risque suicidaire étant élevé chez l’ex-alcoolo-dépendant, il n’est pas exceptionnel de devoir prescrire, après environ 4 semaines de sevrage, un traitement antidépresseur.

→ Les rechutes, fréquentes, font partie de la dynamique du traitement. Elles sont liées à l’environnement social, aux conditions de travail, à la pression du groupe et à la persistance du besoin irrépressible de boire. Simple écart, consommation sur plusieurs jours ou dépendance nouvelle, il importe de ne pas les dénier, de ne pas culpabiliser le malade et, plutôt, de l’inviter à en parler pour en reconnaître les causes et pouvoir développer des stratégies d’évitement.

→ Il est difficile de comparer les diverses stratégies thérapeutiques, faute d’indicateurs probants. Les programmes imposant une contrainte et prévoyant un suivi au long cours semblent les plus constructifs. Une durée prolongée de prise en charge après le sevrage améliore sensiblement le taux d’abstinence (> 80 % si le suivi est d’un an ; < 55 % chez les patients suivis moins de 6 mois).

Les accidents de sevrage

→ Delirium tremens. Un delirium tremens indique l’administration d’une BZD (diazépam ou midazolam) par voie IV, à posologie dictée par la clinique, à proximité de moyens de réanimation (risque de dépression respiratoire). Il est possible d’associer un antipsychotique injectable (halopéridol = Haldol, en général). Le tiapride n’a pas d’indication ici. Une poussée hypertensive peut être traitée par clonidine injectable (Catapressan), après correction de l’hypovolémie.

Nursing, détection et prophylaxie des complications du décubitus (thrombose, pneumopathie…), correction d’une éventuelle hyperthermie, rééquilibration hydro-électrolytique sont indispensables.

→ Crises comitiales. Les crises de type grand mal, observées dans les 48 heures suivant l’arrêt de l’alcool, volontiers récidivantes, imposent, sous couvert de moyens de réanimation respiratoire adéquats, l’injection intraveineuse de diazépam ou de clonazépam. Le retour de la conscience autorise le passage à la voie orale.