À la conquête des pôles - L'Infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012

 

ORGANISATION DE L’HÔPITAL

DOSSIER

Le regroupement des services par pôles a bien avancé. Il reste désormais à leur accorder des délégations de gestion conséquentes.

L’hôpital est soumis à d’infernales cadences législatives. Depuis 1991, 41 textes ont modifié son fonctionnement(1). Beaucoup d’entre eux prennent toutefois des directions identiques. Le regroupement des services, amorcé en 1983 et poursuivi en 1991 avec la départementalisation(2), est, ainsi, devenu obligatoire avec les pôles dans le plan Hôpital 2007, par l’ordonnance du 2 mai 2005, avant d’être consacré dans la loi Hôpital, patient, santé et territoires (HPST) de 2009 et inscrit à l’article L. 6146-1 du Code de la santé publique (CSP). Ce découpage s’inscrit dans « la nouvelle gouvernance » hospitalière.

D’autres modes de management ont pour objectif affiché de rendre la prise de décision plus claire, plus efficace, plus proche du terrain : l’élaboration de contrats entre la direction des établissements et les pôles portant sur les objectifs et les moyens des seconds, la possibilité accrue de délégation de gestion, l’intéressement collectif du personnel. Le tout concomitamment à la montée en puissance de la tarification à l’activité (T2A), outil de financement des établissements selon le nombre et le type des actes qui sont réalisés. « Ces innovations gestionnaires ont été utilisées de façon de plus en plus autoritaire et hiérarchique à partir de 2002, analyse Frédéric Pierru, sociologue au CNRS. Le mouvement s’est accéléré en 2004-2005. »

Pas de modèle unique

Le pôle ne se conçoit pas comme un échelon supplémentaire, mais comme la structure de gestion adéquate entre le service et le niveau central. En regroupant, en moyenne, près de cinq unités médicales, selon l’Igas(3), il doit permettre de mutualiser les moyens en personnel, de faire des économies d’échelle pour l’achat de matériel et, éventuellement, de mettre en commun des équipements (comme des plateaux techniques). Dans l’idéal, sa création se fonde sur des logiques médicales : selon l’organe traité (un pôle cardio-thoracique, par exemple), ou encore selon le type de malades (gériatrie, pédiatrie…). Mais certains pôles ont été bâtis en tenant compte d’autres critères, comme la qualité des relations entre tel ou tel médecin. Leur cohérence médicale ne saute pas toujours aux yeux, selon l’Igas, qui citait, en 2010, entre autres, un pôle baptisé « Santé publique, évaluation, qualité, information médicale, médecine légale, hygiène et vigilances ».

En 2011, selon la DGOS(4), près de 80 % des établissements publics de santé étaient divisés en pôles. C’est une obligation, sauf dérogation de l’agence régionale de santé, « quand l’effectif médical de l’établissement le justifie ». Le directeur de l’établissement (après concertation) a toute latitude sur le nombre de pôles, leur taille, leur nature. Un hôpital compte, en moyenne, sept pôles, tous types confondus (cliniques, médico-techniques, administratifs). Logiquement, ce nombre augmente avec la taille de l’établissement. L’Igas fait état de 300 employés, en moyenne, par pôle – 45,25 médecins, 264 agents non médicaux, 1,41 cadre supérieur de santé, 6,7 cadres soignants… Il n’y a pas de modèle unique de pôle, susceptible, également, de s’étendre sur plusieurs sites et d’avoir une dimension territoriale.

Nés avec la loi HPST (voir encadré p. 16), le directoire et le conseil de surveillance étaient en place à la tête de presque tous les établissements en 2011. Dans les pôles, la gouvernance est incarnée par un « chef ». À ce praticien hospitalier qu’elle désignait comme « responsable », l’ordonnance de 2005 adjoignait un cadre paramédical et, moins souvent affirmé concrètement, un cadre gestionnaire. Tous deux ont disparu dans la loi HPST, qui évoque « un ou plusieurs collaborateurs » possibles pour le chef de pôle, dont une sage-femme si le pôle comporte une unité obstétricale. Malgré cette marge de manœuvre laissée à l’organisation, le trio est resté en place dans la majorité des pôles. Son principe figure même dans le règlement intérieur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Plus généralement, des pôles comptent aussi un directeur référent.

La contractualisation à la traîne

Maintenant que les équipes sont installées, beaucoup espèrent le passage à l’étape suivante : donner de réels pouvoirs aux pôles. En 2009, l’Igas constatait que la discussion entre direction et pôles achoppait sur les objectifs d’activité ou les moyens des pôles à inscrire dans les contrats. Un an plus tard, selon la DGOS, seuls 21 % des établissements avaient paraphé au moins un contrat de pôle ; l’absence de signature s’expliquait par le fait qu’elle était en cours (36 % des cas) ; par un manque de proposition de contrat de la part du directeur (41 %) ; par une absence de projet médical (18 %) ; ou encore par un refus des chefs de pôle de signer (1 %). Détaillé à l’article R. 6146-8 du CSP, le contrat porte peu, dans les faits, sur les achats, plutôt sur les ressources humaines. À l’AP-HP, les contrats devraient être signés en ce début d’année. Sur la base de ce contrat, le pôle doit bâtir un projet qui encadre, notamment, les missions de ses services (R. 6146-9).

La délégation de gestion, peu développée, concerne surtout les dépenses de formation et de remplacement du personnel non permanent. Plus que d’une délégation, l’Igas a parlé de « simple prise en compte des “priorisations” ou des souhaits des pôles ». Les propositions de pôle les plus facilement acceptées, concernant les postes, sont les suppressions… Un pôle peut gérer ses effectifs selon des objectifs assignés par la direction, mais, sur le recrutement, n’avoir qu’un mot à dire. « Une IDE est recrutée par l’établissement avant de l’être par le pôle, témoigne Jean-Marc Grenier, coordonnateur général des soins au CHU de Grenoble et président de l’AFDS(5). Mais c’est bien que les pôles puissent donner leur avis sur un candidat. » Enfin, l’intéressement (qui ne peut être que collectif) est lui aussi peu développé, sans doute, en partie, en raison de la mauvaise santé budgétaire des hôpitaux… Le degré d’application de tous ces dispositifs dépend des établissements, voire des pôles, de leur taille, de leur histoire et du facteur humain.

Dans quelle mesure le personnel s’implique-t-il dans la nouvelle gouvernance ? Des managers, en particulier les chefs de pôle, suivent des formations. Selon la DGOS, trois quarts des chefs de pôle organisent des réunions de travail avec leur équipe. Et certains pôles se retrouvent en assemblée. Nombre d’établissements ont déclaré que les conseils de pôle seraient maintenus, mais ceux-ci ne sont plus obligatoires. Sans plus de contraintes ni de précisions, la « concertation interne » est confiée au chef de pôle (R. 6146-9-1). De surcroît, Jean-Marc Grenier souligne la difficulté grandissante à réunir le personnel : avec les 35 heures, les délais de chevauchement entre équipes ont fondu, entre midi et 14 heures, d’une heure et demie à trente minutes. Bref, « malgré le réel effort de communication » de certains établissements, les réformes polaires sont restées méconnues du personnel soignant hors cadres, constatait l’EHESPlus(6) en 2008. La loi HPST n’a sans doute qu’en partie comblé ce retard.

Une démocratie chamboulée

Et que dire de la participation du personnel aux prises de décision ? À l’hôpital, le directeur, mu en grand patron (même si, en réalité, il ne décide pas systématiquement seul), a pour numéro 2 le médecin présidant la commission médicale d’établissement. La commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-technique (CISRMT), elle, est uniquement informée ou consultée. « Une chambre d’enregistrement, déplore Philippe Crépel, IDE et syndicaliste CGT. Il n’y a plus de place pour les infirmières dans la démocratie des pôles. » Pourtant, plusieurs responsables l’assurent : du fait de leur passage au niveau licence, les infirmières devront être prises en compte de façon plus sensible. Que le président de la CSIRMT siège au directoire et qu’un de ses membres participe au conseil de surveillance suffira-t-il à y imposer la voix des IDE ? Il faudra plusieurs années pour répondre à cette question, comme à bien d’autres. Si un premier bilan des pôles est possible, le descriptif exhaustif attendra, d’autant que leur périmètre peut évoluer. Et que nombre d’acteurs souhaiteraient, avant l’irruption du 42e texte, apprivoiser les 41 précédents.

1– Selon le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG). Les principales références de ce dossier sont à lire dans notre bibliographie.

2– Hôpitaux. Les vents contraires du changement, Claude Quantin, éditions Lamarre, 2010.

3– Inspection générale des affaires sociales.

4– Direction générale de l’offre de soins.

5– Association française des directeurs des soins.

6– EHESPlus (désormais EHESP Conseil), association d’élèves de l’École des hautes études en santé publique.

INSTANCES DE DECISION

Le directeur tient les rênes

→ La loi HPST a modifié les instances de gouvernance à l’hôpital. Terminé le conseil exécutif, où siégeaient médecins et administratifs : place au directoire. Composé en majorité de membres du personnel médical, pharmaceutique, maïeutique et odontologique (article L. 6143-7-5 du Code de la santé publique), il conseille le directeur de l’hôpital. Celui-ci « conduit la politique générale de l’établissement » (L. 6143-7). Conformément au désir du président de la République, il apparaît comme le principal maître à bord. Adieu également au conseil d’administration et place au conseil de surveillance, présidé le plus souvent par un élu, et qui « se prononce sur la stratégie et exerce le contrôle permanent de la gestion de l’établissement » (L. 6143-1). Parmi les autres instances, la commission médicale d’établissement, (CME) ou encore celle des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT), consultée sur « l’organisation générale des soins infirmiers » (R. 6146-10).