Une autre carrière - L'Infirmière Magazine n° 294 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 294 du 01/02/2012

 

INFIRMIÈRE DANS L’HUMANITAIRE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

SANDRA MIGNOT  

L’environnement humanitaire évolue, le rôle qu’y joue l’infirmière également. Si les responsabilités ont toujours été au rendez-vous, on recherche de plus en plus de profils spécialisés. Et les possibilités de faire carrière sont toujours présentes, à condition d’accepter de quitter le soin.

Le milieu humanitaire a beaucoup évolué depuis les années 1980, résume à grands traits Amélie Courcaud, adjointe chargée des programmes santé à la direction des relations et des opérations internationales de la Croix-Rouge française et IDE. Au début, les gens qui partaient à l’international donnaient de leur temps, parfois sur leurs vacances. Ils n’étaient pas forcément rémunérés. Ils faisaient juste leur métier dans un contexte différent. » Au fil du temps, les fonctions se sont professionnalisées - même si l’expression plaît peu dans le secteur sanitaire. « Cela pourrait signifier qu’on faisait un peu n’importe quoi avant, commente Isabelle Bioh-Johnson, infirmière de par sa formation initiale et désormais adjointe au directeur des opérations internationales chez Médecins du monde. Ce qui n’était pas le cas. Mais pour ma première mission, en 1994, je n’avais pas de profil de poste, par exemple », se souvient-elle.

Progressivement, un statut du travailleur humanitaire - créé en 1995 puis précisé en 2005, via le volontariat en service international (VSI) - a d’abord défini un cadre d’emploi plus précis (lire encadré p. 22). Les infirmières sont passées du statut de bénévole à celui de volontaire, avec une rémunération, modeste certes, mais garantissant néanmoins un minimum et l’accès à une protection sociale. « Ensuite, à la fin des années 1990, se sont développées les formations (DU, masters…), et les infirmières ont de plus en plus endossé des rôles de coordination », poursuit Amélie Courcaud.

Fonctions d’encadrement

L’évolution de l’environnement humanitaire serait également à mettre sur le compte d’une structuration plus importante des organisations imposée par les bailleurs de fonds, selon Isabelle Bioh-Johnson. « En développant le financement de l’aide humanitaire, ils nous ont imposé des charges administratives et de gestion plus lourdes, explique-t-elle. Si les fonctions de coordination médicale existaient il y a quinze ans, elles nous permettaient de rester davantage auprès des équipes sur le terrain que dans notre bureau devant un ordinateur. »

Aujourd’hui, à l’expatriation, on retrouve des IDE aux postes de coordinateur médical, coordinateur de projet, voire chef de mission. Certaines se sont tout simplement formées sur le terrain. « Nous travaillons beaucoup sur le développement des parcours professionnels, explique Laurent Sabard, responsable de programmes chez Médecins sans frontières et Iade. Par le choix des missions que nous leur confions progressivement, nous poussons les infirmier (e) s à évoluer vers les fonctions d’encadrement. » C’est ce qui est arrivé à Tania Carrasco, engagée dans l’humanitaire depuis 2006, devenue coordinatrice de projet dès 2007 et actuellement adjointe au chef de mission en Haïti. Il faut dire que les fonctions d’IDE pures deviennent de plus en plus rares sur le terrain, sauf dans les missions d’extrême urgence, dont la durée est, par nature, courte. Chez MSF, on explique cette évolution par le fait que l’ONG s’investit de plus en plus dans de gros programmes hospitaliers : « Cela représente plus de 50 % de nos programmes », note Otto Ziwsa, responsable service gestion de pool chez MSF. Or, sur ce type de programmes, il existe généralement déjà un staff local. Du coup, pour 560 expatriés, seuls 60 occupent des postes d’IDE. Chez Médecins du monde, qui s’investit davantage dans le développement que dans l’action d’urgence, le mot d’ordre est la formation du personnel national. « Nous avons développé de plus en plus ce principe qu’il ne faut pas faire à la place de, et que notre spécificité, c’est de renforcer les compétences et d’apporter des moyens techniques », résume Isabelle Bioh-Johnson. Conséquence : « Actuellement, sur 180 expatriés, nous avons neuf infirmier (e) s sur le terrain (une sur un poste d’IDE, une sur un poste d’Ibode, sept sur des postes d’encadrement). »

Même si l’expérience de terrain est capitale dans l’évolution de carrière, beaucoup d’infirmiers ressentent aussi le besoin de confirmer leur compétence par un diplôme supplémentaire. « Plus on évolue dans la coordination, plus on a besoin de connaissances en matière administrative, logistique, financière, ressources humaines », justifie Tania, qui a suivi le master I en coordination de projet à l’Ifaid de Bordeaux après deux ans chez MSF, ainsi qu’un diplôme de médecine tropicale à Anvers. Isabelle BIoh-Johnson avait, elle, préféré acquérir d’abord un DU de médecine tropicale et suivre une formation en gestion des soins à l’institut Bioforce avant de s’investir dans sa toute première mission.

Des profils experts

DU ou masters sont cependant loin d’être une exigence dans toutes les ONG. À l’exception de la Croix-Rouge, où les infirmiers sont recrutés au niveau master II pour des postes de coordination. « L’humanitaire est devenu un métier, avec une expertise particulière », explique Amélie Courcaud. Ailleurs, c’est l’évolution des profils des candidats qui dicte le changement. « Par la force des choses, de plus en plus d’infirmières postulent avec un DU en médecine tropicale, voire un master en santé publique. Alors, on privilégie ces profils », explique Hortense Bayaert, chargée des ressources humaines chez Médecins du monde.

Une autre évolution, concomittante à celle de l’action humanitaire en général, est celle de la multiplication des postes spécialisés. « Les moyens techniques disponibles sur le terrain ont beaucoup progressé », résume Florence Fermon, IDE et référent vaccination chez MSF. « Par exemple, autrefois, pour une fracture du fémur, on posait une broche, et ensuite, le patient restait six mois en traction, immobilisé, se souvient Laurent Sabard. Aujourd’hui, on pose un clou centro-médullaire. En anesthésie, on a maintenant des respirateurs tropicalisés, on dispose de davantage de molécules… Quant à la stérilisation, les autoclaves se sont généralisés. » Les personnels formés à l’utilisation de ces techniques ont désormais leur place en mission : Ibode, Iade, puéricultrices, sages-femmes, infirmières hygiénistes sont, désormais, également recherchées par les ONG. « En terme de qualité des soins, c’est plus intéressant », ajoute Laurent Sabard.

Professionnels locaux

L’inconvénient, pour une ONG comme MSF, où cette tendance se fait plus particulièrement sentir, c’est que les profils d’infirmiers spécialisés évoluent rarement vers des postes de coordination. « Ce sont davantage des gens qui vont faire une, ou deux expériences professionnelles. Or, chez nous, ce sont plutôt les profils généraux qui évoluent vers les postes d’encadrement, et nous en avons de moins en moins. » Environ 30 % des infirmiers engagés par MSF ne partent pas plus de deux fois en mission sur toute leur carrière. Ils sont le même nombre à effectuer plus de cinq missions. Or, il faut au moins douze mois de terrain pour devenir coordinateur de projet… Du coup, l’ONG tourne désormais son regard vers les professionnels de santé des pays du Sud. « À chaque fois que c’est possible, nous recrutons des professionnels de santé locaux qui, ensuite, peuvent devenir des expatriés sur d’autres missions en tant que coordinateurs », résume Laurent Sabard. Les compétences en soins infirmiers ne sont pas présentes dans tous les pays. « Et, localement, des situations peuvent se dégrader très vite, souligne Isabelle Bioh-Jonhson. À l’occasion d’une catastrophe naturelle ou de migrations, les professionnels de santé peuvent disparaître très rapidement. » Dans des situations de conflit, la formation peut être stoppée pendant plusieurs années et engendrer une perte importante en personnel qualifié. « Ainsi, en Centre-Afrique ou au Malawi, nous avons globalement du mal à recruter du personnel paramédical », note Florence Fermon. En revanche, Médecins sans frontières a pu recruter d’excellents infirmiers en Côte d’Ivoire. Il faut préciser que l’ONG, bien que spécialisée dans l’urgence, s’investit de plus en plus dans de gros projets hospitaliers. « D’ailleurs, cela crée une autre évolution dans notre recrutement : le besoin en cadres de soins, pour superviser toutes les équipes infirmières et aides-soignantes, précise Otto Siwsa.

Engagement et vie familiale

Enfin, comme le montrent les cursus professionnels des personnes que nous avons rencontrées dans cette enquête, les évolutions au siège des organisations sont largement ouvertes aux infirmières désireuses de s’engager. Isabelle Bioh-Johnson avait effectué sa première mission dans un poste d’infirmière en 1994 en Bosnie, elle est aujourd’hui adjointe à la direction chez MDM, après avoir travaillé dans d’autres ONG à des postes de coordinatrice médicale, voltigeuse médicale puis responsable de desk. Au fil de l’évolution, certains postes permettent même de combiner engagement professionnel et vie familiale, et il reste possible de partir sur le terrain, mais moins souvent. « Je pars encore une à deux fois par mois, note Isabelle, qui est maman d’une petite fille. Mais cela n’a rien à voir avec le poste de voltigeuse médicale où il fallait partir en urgence - parfois dans les douze heures - pour évaluer les besoins sur des situations de conflit ou de catastrophe naturelle. Je passais 60 % de mon temps sur le terrain, je n’aurais pas pu le faire plus de deux ans. »

Le parcours de Laurent Sabard n’est pas moins intéressant. Parti pour une première mission après dix années d’expérience hospitalière et une spécialisation en anesthésie, il a ensuite alterné les missions exclusivement pour MSF (grâce à des employeurs particulièrement enclins à lui accorder des mises en disponibilité) avant de démissionner définitivement de l’hôpital, en 2010. Après quelques missions courtes comme infirmier, il est passé coordinateur de projet, chef de mission, puis a enchaîné différentes missions de desk : coordinateur d’urgence, responsable des ressources humaines (avec l’acquisition d’une licence en RH au passage), puis responsable de programme… Il a évidemment expérimenté tous les types de statut : volontaire, CDD, CDI. Avec, à la clé, un parcours qui amène à quitter réellement la profession d’infirmier. « Je ne me suis plus sentie infirmière à partir du moment où je suis devenue responsable de desk, résume Isabelle Bioh-Johnson. Mais je trouve que mon parcours est co­hérent, j’ai appris beaucoup dans chacun de mes postes, et je reste totalement en accord avec la philosophie et l’engagement de l’ONG pour laquelle je travaille. »

SE FORMER

→ Un diplôme de coordonnateur de projet de solidarité internationale et locale (niveau Master I), proposé, à Bordeaux, par l’Institut de formation et d’appui aux initiatives de développement (Ifaid).

www.ifaid.org

→ Un master européen de santé tropicale-santé internationale, ouvert à Bordeaux-2.

www.troped.org

→ Les masters en santé publique de l’Institutde médecine tropicale d’Anvers.

www.itg.be

→ Un diplôme de coordinateur de projet de solidarité internationale (niveau master II), proposé par Bioforce, à Lyon.

www.bioforce.asso.fr

→ Les DU de médecine tropicale : Bordeaux-2, Marseille, Montpellier-1, Paris-7, Rennes-1…

EXPATRIÉS

Statuts et conditions d’emploi

Dans la plupart des ONG, les premières missions sont effectuées sous le statut de volontaire de solidarité internationale (régi par une loi de février 2005), qui permet une rémunération sous la forme d’une indemnité, non imposable et non soumise aux cotisations sociales. Sa rétribution s’échelonne, en fonction des organisations et des responsabilités assumées, entre 487 € (Croix-Rouge française) et 915 € (Médecins du monde). La protection sociale est prise en charge par l’employeur. Après plusieurs mois d’expérience sur le terrain (par exemple, 12 chez MSF, 24 chez Action contre la faim), les professionnels peuvent accéder à un poste salarié. Un « CDD d’usage » sera généralement d’abord proposé, contrat de travail dont le terme peut être facilement reconduit et pour lequel la loi n’exige pas de délai de carence : il est ainsi possible d’enchaîner deux CDD sur deux missions différentes sans que cela crée une obligation légale d’embauche définitive. Sur le terrain, les salaires peuvent s’échelonner de 1 300 à 3 100 € bruts. À l’indemnité du volontaire comme au salaire de l’expatrié s’ajoutent un per diem ou une allocation pour les dépenses du quotidien. La Croix-Rouge ne recourt pratiquement pas au statut de volontaire et signe un CDD pour chaque « délégué ». Pour en savoir plus : www.clong-volontariat.org

SUR LE TERRAIN

Fonctions d’encadrement

Chef de mission

Il est le responsable final de la mission. Il chapeaute tous les projets installés dans un même pays. Il s’agit d’un poste de gestion (budget, RH, finances, administration…), avec une forte dimension de représentation politique auprès des autorités et des partenaires locaux. Il peut avoir une formation de base médicale, paramédicale ou non médicale, selon les activités développées par l’ONG dans le pays. Chez MSF, un tiers des chefs de mission sont de formation paramédicale.

Coordinateur de projet

Sous l’autorité du chef de mission, il se consacre à la supervision d’un des projets de terrain de l’organisation. Il veille au bon fonctionnement des activités, à l’utilisation correcte des ressources et à la progression vers les objectifs fixés. Il s’assure également du respect des principes, de l’éthique et des règles de sécurité. Chez MSF, 57 % d’entre eux sont de formation infirmière.

Coordinateur médical

Il a nécessairement une formation de médecin ou d’infirmier. Il développe tout l’encadrement médical des projets : mise en place des protocoles, recueil des données statistiques et de l’information médicale, évaluation de la qualité, rapport d’activités… Il assure l’encadrement, la supervision et la formation des équipes médicales et évalue le personnel sous sa responsabilité. Chez MSF, 17 % d’entre eux ont une formation paramédicale.

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