LA FIBROMYALGIE - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

La fibromyalgie, telle qu’elle est actuellement reconnue et identifiée, est une maladie décrite en 1977 par Smythe et Moldofsky, bien qu’elle semble avoir existé et été décrite depuis longtemps sous d’autres termes (voir encadré p. 35). Elle a souvent été considérée comme « une maladie dans la tête » des patients qui en souffraient en raison du manque d’éléments permettant de confirmer le diagnostic. Du fait de l’absence de compréhension et d’éléments objectivables, elle fait plus que jamais l’objet de nombreux travaux. Sa reconnaissance demeure difficile, et les éléments disponibles à ce jour sur le plan physiopathologique font débat. Cette situation a conduit, en France, à l’élaboration d’un rapport par la Haute Autorité de santé, en 2010, qui fait suite aux conclusions de l’Académie de médecine de 2007. Il faut noter le rôle fondamental des associations de patients qui souffrent de cette affection dans les avancées pour améliorer leur qualité de vie et inciter à sa reconnaissance parmi les maladies chroniques.

1. DESCRIPTION

La fibromyalgie ou syndrome fibromyalgique a été classé depuis 2006, par l’OMS, parmi les maladies musculo-squelettiques et du tissu conjonctif. Son nom vient de l’association de « fibro », en référence aux tissus fibreux (tendons, ligaments), « my », pour l’atteinte musculaire, et « algie », pour les douleurs qui caractérisent ce syndrome. Des études, dont les résultats sont parfois contradictoires, ne permettent pas, à l’heure actuelle, d’en déterminer la cause. Les hypothèses demeurent nombreuses. Parmi elles, est signalé un dérèglement de la perception de la douleur, sans que l’on puisse déterminer si les anomalies de perception sont la cause de la fibromyalgie ou la conséquence d’une douleur devenue chronique.

Le rôle de la génétique a également été évoqué, sans identification d’un ou plusieurs gènes responsables de la maladie. Il existe, en outre, une corrélation entre le syndrome fibromyalgique et la dépression, associés à des environnements stressants et exigeants. Mais, là aussi, il est difficile de préciser ce qui est la cause ou la conséquence de la maladie. Pour certains auteurs, un rapprochement a été fait avec une forme moderne de l’hystérie, de la spasmophilie, ou de ce qui était autrefois nommé la neurasthénie. Ces syndromes posent la question de la relation entre le corps et le psychisme et des difficultés de la médecine à considérer l’individu dans sa globalité « corps/psychisme », qu’il s’agisse des soignants exerçant préférentiellement dans un contexte de « médecine d’organes » ou de professionnels (médecins, psychologues, infirmiers) exerçant une médecine orientée vers la prise en considération du psychisme. Dans l’un ou l’autre cas, le risque est grand d’essayer de trouver une explication exclusivement « organique » ou « psychique » à cette affection complexe.

Sémiologie

La fibromyalgie est un syndrome qui associe des douleurs diffuses chroniques, une fatigue souvent intense, des troubles du sommeil caractérisés par un sommeil jugé non réparateur. Ces signes s’accompagnent, de façon variable, de troubles anxieux et dépressifs. Il n’existe pas d’atteinte articulaire ou neurologique. La douleur est principalement localisée en des points douloureux à la pression, sans compréhension, à l’heure actuelle, des mécanismes physiopathologiques qui la génère. Le Dr Éric Serra, responsable de la consultation de la douleur au CHU d’Amiens, souligne que « la majorité des patients souffrant de fibromyalgie présentent une histoire médicale de généralisation d’une douleur chronique initialement localisée ». Il n’est pas retrouvé d’anomalie biologique ou radiologique. Le scanner comme l’IRM n’apportent aucun élément permettant d’orienter le diagnostic ni la cause de la douleur.

Epidémiologie

Ce syndrome touche de 2 à 5 % de la population dans les pays occidentaux, plus fréquemment les femmes (80 %) que les hommes (20 %). Les femmes atteintes ont le plus souvent entre 30 et 50 ans. Longtemps ignoré chez l’enfant et l’adolescent, il semble aujourd’hui faire l’objet d’une identification dans cette population, bien qu’il faille rester prudent sur les chiffres de prévalence car il existe à cette étape de la vie de nombreuses causes différentielles de douleurs. Il s’agit d’un syndrome classifié en rhumatologie, et il représente environ 10 % des prises en charge des consultations spécialisées douleur.

2. DIAGNOSTIC

Le diagnostic de fibromyalgie s’appuie essentiellement sur la clinique puisqu’il n’existe ni lésion anatomique, ni anomalie biologique ou radiologique.

Les critères pour poser le diagnostic

→ Une douleur diffuse (des deux côtés du corps, au-dessous et au-dessus de la taille) depuis plus de 3 mois ;

→ 11 des 18 points douloureux à la pression digitale (4 kg). Ces points correspondent à une localisation précise (voir schéma ci-contre). Leur présence peut varier d’un jour à l’autre chez un même patient ;

→ l’absence d’autres pathologies permettant d’expliquer les signes de douleur et de fatigue. Le diagnostic s’appuie sur l’utilisation du FIQ : Fibromyalgia Impact Questionnaire (voir p. 39). Rempli par le patient lui-même, il mesure le retentissement du syndrome sur ses capacités : activité physique, possibilités de travail, dépression, anxiété, sommeil, douleur, raideur, fatigue et sensation de bien-être. Les patients peuvent souffrir de façon variable de troubles associés : colopathie fonctionnelle, cystalgie sans infection urinaire, douleurs pelviennes, migraine et céphalées de tension, hypotension orthostatique, difficultés d’attention et de mémorisation, perturbation émotionnelle. La difficulté principale est d’identifier s’il s’agit de signes faisant partie du syndrome ou des effets de la maladie, et, en particulier, de conséquences de la permanence d’un état douloureux.

Les patients soulignent l’influence de certains facteurs sur la présence des signes de fibromyalgie : les changements climatiques, le froid, l’insomnie, les activités répétitives et intenses physiquement, les stimulis sensoriels tels que le bruit, la luminosité, les odeurs, les perturbations émotionnelles.

Diagnostics différentiels

Un certain nombre de pathologies ou de syndromes proches de la fibromyalgie devront être évoqués pour confirmer le diagnostic. On peut citer : le syndrome de fatigue chronique, la polyarthrite rhumatoïde, l’hypothyroïdie, les infections chroniques (tuberculose, brucellose, maladie de Lyme), les cancers et les maladies neurologiques, les effets secondaires de certains médicaments.

3. CONSÉQUENCES

Les conséquences de la maladie sont variables selon les capacités des personnes atteintes à y faire face. Néanmoins, on peut noter une limitation des activités tant domestiques qu’au travail, un isolement social, voire une marginalisation. L’isolement sera d’autant plus important que la personne dispose de faibles ressources tant financières qu’environnementales ou personnelles. Les patients soulignent fréquemment des difficultés relationnelles avec le corps médical en raison de l’absence de signes objectivables et d’éléments de compréhension de la maladie, ce qui engendre le doute chez les soignants concernant les signes exprimés par les patients.

S’agissant de son évolution, la présence constante de troubles comme la douleur, les troubles du sommeil, la dépression engendrent une forme d’entretien et d’aggravation des symptômes sans que l’on puisse toujours clarifier ce qui est à l’origine de l’état du patient. La maladie en elle-même n’évolue pas vers une aggravation. Il n’existe aucune mortalité par fibromyalgie.

HISTOIRE

Syndrome connu ou nouvelle maladie ?

→ Il est fréquent d’entendre que la fibromyalgie est une maladie récente, voire une maladie à la mode, liée à nos modes de vie occidentaux. Pourtant, les travaux des historiens de la santé mettent en évidence que les signes décrits par les patients ont intéressé bien des soignants au cours de l’histoire. Ainsi, il semble que la fibromyalgie ait été décrite par les Égyptiens et par Hippocrate. Plus près de nous, Bichat, puis Freud, au XIXe siècle, se sont intéressés à des patients décrivant une symptomatologie proche de la description actuellement établie du syndrome fibromyalgique.

→ En 1904, William Gower propose le terme de « fibrosite ». D’autres auteurs montreront ensuite des liens entre le syndrome douloureux et l’angoisse ou les troubles du sommeil. Il faut attendre 1976 pour que le terme de « fibromyalgie » soit proposé par le Dr Hench afin de regrouper les patients atteints de signes identiques dans des études permettant de mieux comprendre le syndrome.

→ À partir des années 1980, les publications concernant cette pathologie se développent, en particulier à l’intention des rhumatologues. En France, en 1981, il est question de « syndrome polyalgique idiopathique diffus ». Cette terminologie est rapidement remplacée par le terme de « fibromyalgie », choix des Anglo-Saxons.

→ Cette pathologie se développe dans un contexte social favorable, en particulier la reconnaissance des contraintes quotidiennes subies par les femmes et une évolution du mode de diffusion des connaissances médicales par l’intermédiaire des sociétés savantes et le développement de « l’evidence-based medicine » (médecine fondée sur les preuves).

→ Depuis les années 1990, les associations de patients se sont considérablement développées et ont favorisé la prise en considération de ce syndrome par les pouvoirs publics.

→ En 2006, il est reconnu par l’OMS et bénéficie de l’attribution d’un code spécifique (M79,7) dans la classification internationale des maladies (CIM).

Parallèlement, les firmes pharmaceutiques ont développé leur intérêt pour son traitement.

→ En 2010, les députés européens signent « une déclaration invitant les États membres à reconnaître la fibromyalgie comme une maladie et à œuvrer à sa prise en charge, à la recherche, au dépistage et au dénombrement des malades ».

→ D’un point de vue sociologique, la fibromyalgie pose la question de la médicalisation d’un syndrome dans l’évolution de nos sociétés contemporaines. Cette médicalisation se fait suite à la pression conjointe de l’industrie pharmaceutique, des associations de malades, des compagnies d’assurance et du corps médical, qui vise à la transformation de maux « ordinaires » en problèmes médicaux (concept de « disease mongering »).

Sources bibliographiques : Rapport de la HAS – 2010 – « La fibromyalgie : une si longue route – Histoire de la maladie et réponses aux questions des patients ». Dr Bruno Halioua, Pr Serge Perrot, Carole Robert, Éditions In Press, 2010.